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du salut pour la royauté et pour l'Église. Les aveugles! Cette fatale union faisait de l'État l'instrument de l'intolérance catholique, tandis que le premier droit que la Révolution inscrivit sur son drapeau, fut celui de la liberté de penser. Demander en 89 le maintien de l'ancien ordre de choses, l'intégrité de l'établissement catholique et lier les destinées de la royauté à celles de l'Église, c'était montrer une inintelligence complète des besoins nouveaux de la société, c'était courir au devant de l'abîme!

Le catholicisme a toujours confondu l'Église avec la religion; pour lui l'Église est aussi sacrée que le dogme. Si cette solidarité avait été pendant l'époque de violence et de force brutale qu'on appelle moyen âge, une sauvegarde pour la religion, il n'en était plus de même à la fin du dix-huitième siècle. Ce qui avait été une garantie, devenait un danger; la société ne voulait plus à aucun prix la domination de l'Église, et l'Église ne voulait pas, elle ne pouvait pas renoncer à son prétendu pouvoir spirituel; or, ce pouvoir implique une action plus ou moins étendue sur le temporel, elle implique surtout l'intolérance civile aussi bien que l'intolérance religieuse. Cependant, en 89, le clergé demande que l'on maintienne toutes les lois et ordonnances reçues dans le royaume, qui en forment le droit public, ecclésiastique et canonique (1). C'était demander l'exécution de l'édit de Louis XIV qui révoqua l'édit de Nantes, alors que déjà avant 89 la royauté absolue avait été obligée par la pression de l'opinion publique de rendre aux réformés la liberté civile, dont les déclarations odieuses du grand roi les avaient privés.

Il fallait être frappé de l'aveuglement qui caractérise la décrépitude, pour ne pas voir que l'édit de 1787 était un premier pas vers une liberté complète. La liberté religieuse la plus absolue allait être proclamée, et le clergé trouvait que l'édit de 1787 donnait trop aux protestants! Il ne leur rendait que l'état civil; il ne leur permettait que de naître, de vivre, de se marier et de mourir ! Le clergé demanda que l'édit fût révoqué, comme [contraire aux lois ecclésiastiques; ou que du moins il fût révisé, interprété et modifié, conformément aux principes établis dans les remontrances de l'Assemblée générale de 1788 (2). On va voir quelle liberté

(1) Résumé général des cahiers, t, I, pag. 34.

(2) Idem, ibid., pag. 75.

auraient eue les réformés, si l'on avait fait droit aux exigences du clergé. D'abord il ne veut point que les protestants puissent aspirer à des offices de judicature, réservés par les lois, à ceux-là seulement qui professent la religion du prince; puis il demande que les choses soient remises en l'état où elles étaient sous le règne de Louis XIV (1). Voilà l'idéal du clergé la législation de Louis XIV, flétrie pendant un siècle par tout ce que la France possédait d'esprits éminents! Qu'importe au clergé? Il ne connaît que les lois ecclésiastiques qui sont pour lui la vérité absolue. C'étaient de belles lois que les lois de l'Eglise! En voici un échantillon. On lit dans les cahiers du clergé : « C'était une loi toujours observée dans le royaume que les protestants fissent baptiser leurs enfants dans les églises paroissiales. Les députés insisteront sur le rétablissement de cette loi (2).

C'est ainsi que l'Église gallicane comprenait la tolérance. Cependant cette église était à moitié révolutionnaire; elle comptait dans son sein une minorité ardente, prête à donner la main, non seulement aux hommes de 89, mais aux idées de 92 et de 93. Il y avait des républicains parmi le bas clergé; ces républicains ne comprenaient pas encore en 89 la plus naturelle, la plus légitime des libertés, la liberté religieuse. Dans toute la France catholique, il ne se trouva que douze bailliages qui voulurent bien reconnaître à la nation le droit d'accorder, si elle le jugeait convenable, la tolérance civile aux sectes religieuses; mais ces libéraux tonsurés se hâtaient d'ajouter, qu'ils entendaient néanmoins ne leur accorder jamais l'exercice public de leur culte (3). Ainsi la tolérance civile du culte protestant consistait à ne pas exercer ce culte. Défions-nous des abbés démocrates; la démocratie n'est pour eux qu'un instrument; la seule liberté qu'ils comprennent, c'est celle de l'Église, et la liberté de l'Église veut dire la servitude de l'État, et l'asservissement des consciences.

Il y avait au début de la Révolution un abbé démocrate, dont la parole vive et enthousiaste était vivement applaudie par les hommes de 89. Les révolutionnaires étaient hostiles au catholicisme, parce qu'ils voyaient la religion alliée de la monarchie

(1) Résumé général des cahiers, t. I, pag. 76.

(2) Idem, ibid., pag. 77.

(3) Idem, ibid., t. I, pag. 74 et 361.

absolue; ils se seraient réconciliés avec un christianisme qui aurait prêché la liberté et l'égalité. Fauchet était un esprit libéral, on ne saurait le contester; il avait des accents qui faisaient tressaillir ses auditeurs. Aujourd'hui on ne croirait pas qu'un vicaire général ait écrit les paroles que nous allons transcrire : << Qui peut penser sans horreur à ces tribunaux anthropophages appelés Inquisition, où des juges, prêtres et religieux, affectaient dans leurs sentences la charité indulgente, qui ne veut que le changement heureux des coupables, et les livraient ensuite au bras séculier pour être brûlés vifs! Eh! scélérats! ce bras séculier est aussi un bras de l'Église : si l'Église abhorre le sang, pourquoi les fidèles de l'Église peuvent-ils donc le répandre à grands flots et s'en abreuver comme des tigres (1)? » Nous sommes heureux d'entendre un abbé dire ces dures vérités aux inquisiteurs. Il oubliait toutefois que le tribunal qu'il flétrissait avec tant d'énergie, était appelé par l'Église le saint office!

L'abbé Fauchet était partisan passionné de la liberté politique. Voici ce qu'il dit de la liberté de la presse: «Les intérêts de la vérité, l'essor du génie, tous les genres d'émulation, toutes les sortes de vertu exigent que les âmes soient libres dans l'exercice et la communication de la pensée. Tous les motifs généreux demandent la liberté entière de la presse, et aucun motif prudent ne le combat. La religion, les mœurs et l'État n'ont rien à en redouter; ils ont tout à en attendre. Que peut craindre la religion? Elle est vraie, elle est bonne, elle est divine; si elle ne l'était pas, il faudrait la combattre et la changer (2). » L'abbé Fauchet comprend la liberté de la presse, comme nous l'entendons aujourd'hui ; c'est la libre manifestation de la pensée. Dès lors ne devait-il pas réclamer aussi la liberté religieuse, sans restriction, sans réserve? Mais l'éducation cléricale vicie les esprits les mieux faits. L'abbé Fauchet était catholique, il avait subi cette opération funeste qui consiste à aveugler l'intelligence sur tout ce qui touche la religion une fois la lumière de la raison éteinte, c'en est fait à jamais de la libre pensée. Notre abbé démocrate qui flétrit l'inquisition avec tant de violence, qui a des accents si généreux pour reven

(1) De la Religion nationale, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, vicaire général de Bourges, abbé commendataire de Monfort, (Paris, 1789,) pag. 190.

(2) L'abbé Fauchet, de la Religion nationale, pag. 267.

diquer la liberté des âmes, oublie ces beaux principes quand il s'agit de les appliquer à la religion.

L'idéal de l'abbé Fauchet est l'unité religieuse; il ne se doute pas que c'est pour maintenir cette unité que l'Église établit le terrible tribunal de l'inquisition, où les prêtres et les religieux se changeaient en anthropophages et en tigres. L'unité de religion nationale est à ses yeux une condition d'existence pour la monarchie française; pour mieux dire, il ne conçoit pas qu'un État quelconque existe sans unité religieuse. Lorsque Fauchet écrivait son livre sur la religion nationale, la France, enthousiaste de liberté, cherchait des inspirations, sinon des modèles, dans la république qu'elle avait aidée à fonder dans l'Amérique du nord. L'abbé français était républicain dans l'âme, mais il ne comprenait rien à la liberté religieuse que les législateurs américains venaient de consacrer avec une étendue inconnue jusque-là : il prédit que «< ce tolérantisme universel, avec sa mortelle insouciance de toute espèce de culte, étendrait son sceptre de pavots sur les âmes, et engourdirait tous les ressorts des saintes mœurs; alors, dit-il, cette république fléchira vers la corruption et tombera dans l'anarchie du vice.» Fauchet était si convaincu de la nécessité d'une religion unique, nationale, comme il dit, qu'il traite d'absurde la doctrine qui prévalut aux États-Unis (1). Il va nous dire lui-même à quelles absurdités, à quelles iniquités conduit sa propre doctrine.

L'abbé Fauchet demande que la religion catholique soit la religion de l'État : « Toutes les lois sociales, dit-il, ayant la religion pour sanction première et suprême, ne peuvent, sous peine de la contradiction la plus insensée et la plus fatale à la morale publique, négliger aucun moyen de fortifier son empire dans toutes les classes de citoyens. » Fauchet en conclut que « pour avoir dans leur plénitude les prérogatives des citoyens en France, il faut professer la religion catholique (2). » Nous ne prendrons point la peine de répondre au sophisme qui sert de base à la théorie d'une religion d'État; l'histoire, cette voix de Dieu, a prononcé. Qui ne voit la confusion d'idées dans laquelle verse notre abbé démocrate?

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Il cherche la sanction des lois dans la religion. Sanction morale, oui, mais précisément parce qu'elle est morale, elle doit être libre. Lui-même ne demande-t-il pas la liberté des âmes? Et comment les âmes seraient-elles libres, sous le régime d'une religion d'État? Il flétrit le sanglant tribunal du saint-office; et il ne voit pas que cette horrible justice n'est parvenue à exécuter ses arrêts, qu'avec la complicité de l'État? Voilà bien un tissu de contradictions, s'il en fut jamais.

L'inconséquence est innée à toute doctrine qui prétend concilier ce qui est inconciliable, le catholicisme et la liberté. Les instincts libéraux de Fauchet sont pour la tolérance, mais l'homme d'église vient à chaque pas se mettre en travers, et imposer l'intolérance. Rien de plus intéressant que cette lutte; elle se produit aujourd'hui sur un grand théâtre. Fauchet nous apprendra à quoi aboutit ce bruit de libéralisme catholique qui se fait autour de nous, à une nouvelle duperie. Il est partisan décidé de la tolérance: «Que devient la loi de tolérance dans une religion d'État? Ce qu'elle devient? Ce qu'elle a dû toujours être : sage, indispensable, essentiellement conforme à l'esprit de l'Évangile. Les législateurs ne peuvent exiger, sous peine de punition positive, de personne, la foi catholique, ni aucune espèce de croyance religieuse. Ils n'en ont pas le droit; nulle puissance sur la terre ne peut l'avoir. Toute persécution, pour obliger de croire, est non seulement un attentat contre l'humanité, c'en est un contre Dieu, seul arbitre des consciences (1). » Voilà ce que dit Fauchet, le libéral, le prédicateur révolutionnaire. Écoutons maintenant ce que va dire Fauchet, l'abbé, le vicaire général.

L'abbé Fauchet maintient l'édit de 1787, et encore avec de singulières restrictions. Voici à quoi se réduit le libéralisme de l'homme d'église : « La loi laisse jouir les non-catholiques des avantages de la nature et de la société. Elle protége leurs personnes, leurs biens, leur bonheur : que peuvent-ils exiger de plus?» Ce qu'ils peuvent exiger de plus? Le droit égal, qu'ils tiennent de Dieu, et que vous leur enlevez. Vous ne les persėcutez pas, non, vous ne les brûlez plus, vous ne traînez plus leurs cadavres sur la claie. Mais les exclure des droits de citoyen',

(1) L'abbé Fauchet, de la Religion nationale, pag. 181.

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