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Si Jésus-Christ est réellement le Fils de Dieu, et si l'on ne peut parvenir à la béatitude éternelle que par la foi dans le Christ, il faut dire de nouveau que Dieu a trompé son peuple, et qu'il l'a trompé, de façon à ce que ceux qui passaient pour ses enfants de prédilection sont en réalité des enfants de colère et de malédiction (1). En effet, d'après la doctrine chrétienne, la foi dans le Christ est nécessaire pour être sauvé, sous la loi ancienne aussi bien que sous la loi nouvelle. Or, la loi est une révélation; il faut donc que Dieu ait révélé aux Juifs le Messie sauveur, et qu'il ait fait de la foi à ce Christ une condition de salut. L'interlocuteur juif demande qu'on lui montre un passage précis de l'Écriture, qui contienne cette révélation; car précis il doit être, puisque le salut en dépend. A ce défi, les chrétiens ne répondront jamais. Il est certain que pas un sectateur de Moïse n'a compris la loi en ce sens avant la venue du Christ. Il y a plus : Jésus lui-même et les Douze ne l'ont pas entendue ainsi. Nous aboutissons à une conséquence affreuse. Dieu a donné une loi de salut aux Juifs; cette loi, pas un seul Juif ne l'a comprise, pas même le prophète qui l'a révélée. A quoi a donc servi la révélation de Moïse? A damner les Juifs, dit saint Augustin (2).

Non, dit le docteur juif, selon notre Écriture, le Messie ne doit pas être un sauveur, mais un roi qui siégera sur le trône de David. C'est ce que nos livres sacrés proclament dans les termes les plus clairs. Les chrétiens sont obligés defaire dire aux prophéties messianiques le contraire de ce qu'elles disent, pour les accommoder à leur doctrine. Quand les prophètes prédisent que le Messie sera le successeur de David, qu'il régnera en Israël, qu'il répandra la loi de Moïse dans le monde entier, les chrétiens leur font dire qu'il ne régnera pas sur la terre, mais au ciel, qu'il ne prêchera pas la loi de Moïse, mais une religion nouvelle. Qu'est-ce qui les autorise à donner aux livres sacrés une interprétation qui en détruit le sens? Comment les Juifs pouvaient-ils deviner que la terre voulait dire le ciel? Comment pouvaient-ils deviner que l'éternité de la loi voulait dire qu'elle serait temporaire (3)?

Les chrétiens insistent et soutiennent qu'il y a des prophéties

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 55.

(2) Idem, ibid., pag. 1-8.

(3) Idem, ibid., pag. 53.

qui annoncent un Messie spirituel, et un royaume céleste. Il faut alors, répond le docteur juif, que ces prophéties soient obscures à ce point qu'elles sont inintelligibles. Pas un Juif ne les a jamais comprises ainsi; les chrétiens eux-mêmes l'avouent, puisqu'ils nous accusent d'être une race charnelle, et d'attendre un royaume terrestre et une félicité terrestre. Ils ne voient pas que l'accusation témoigne contre eux; elle prouve, en effet, que les prophéties sont tellement claires, qu'il est impossible de leur donner un autre sens. Les Juifs n'ont donc pas pu voir dans les prophéties ce que les chrétiens y voient (1)

L'interprétation que les chrétiens donnent à l'Écriture se fonde sur la supposition que les prophéties ont un double sens, un sens littéral, et un sens figuré. Pascal avoue que, si les prophéties n'ont qu'un sens, le sens littéral, il est sûr que le Messie ne sera point venu. Mais qui autorise les chrétiens à admettre un double sens? Cela n'est-il pas contraire à toutes les règles d'interprétation? Les paroles dont Dieu se sert, quand il parle par la bouche des prophètes, doivent exprimer sa pensée; quand ces paroles présentent un sens clair, peut-on s'en écarter pour leur chercher une autre signification? Si cela est permis, que devient la révélation? Un jeu de mots. On lui fera dire tout ce que l'on voudra, au besoin que noir est blanc et que blanc est noir. C'est effectivement ce que font les interprètes chrétiens. Les prophètes disent le Messie sera roi, il soumettra tous les peuples, Jérusalem sera la maîtresse des nations. Jésus dit, au contraire, que son royaume n'est pas de ce monde. Que font les chrétiens pour concilier les prophéties avec ces paroles fameuses? Ils imaginent un règne spirituel, une Jérusalem céleste. Qu'est-ce en définitive qu'une preuve qui donne la torture à la parole de Dieu, afin de lui faire dire le contraire de ce qu'elle dit (2)?

I

Il y a bien des choses à dire sur ce débat. Les libres penseurs l'ont repris pour leur compte, et ont achevé de démolir les prophéties.

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 69-92. (2) Idem, ibid., pag. 129.

Dans la discussion entre Limborch et son ami le docteur juif, on suppose que les disciples du Christ ont toujours entendu le royaume que prêchait leur maître dans un sens spirituel. La supposition est démentie par le texte même de l'Écriture sainte. On y voit que les apôtres étaient très attachés aux idées que les prophètes donnaient du Messie; ils attendaient une seconde venue du Christ et la réalisation des prophéties messianiques sur cette terre. De là la croyance de la fin prochaine du monde qui est partagée par tous les apôtres; de là les rêveries d'un règne de mille ans qui ont également un apôtre pour autorité. C'est seulement quand ces espérances firent défaut, que les chrétiens se résignèrent à transformer le royaume terrestre en royaume céleste, et que le Messie devint le Fils de Dieu. Ce simple fait donne le coup de grâce aux prophéties messianiques (1).

Le double sens qui, selon Pascal, est absolument nécessaire pour prouver que le Christ est venu, n'est en définitive qu'une chicane qui se retourne contre la révélation. Voltaire s'est chargé de faire cette réponse à Pascal : « Un homme qui aurait le malheur d'être incrédule pourrait dire : Celui qui donne deux sens à ses paroles veut tromper les hommes, et cette duplicité est toujours punie par les lois; comment donc pouvez-vous, sans rougir, admettre dans Dieu ce qu'on punit et ce qu'on déteste dans les hommes? Que dis-je? avec quel mépris et avec quelle indignation ne traitez-vous pas les oracles des païens parce qu'ils avaient deux sens (2)? » Que dit Pascal, pour expliquer ce double sens? Il avoue que les Juifs entendaient les prophéties dans un sens charnel. Pourquoi donc Dieu a-t-il fait des prophéties à un peuple qui était indigne de les entendre? Il les a faites, afin qu'elles fussent crues. Crues, par qui? Pas par les Juifs, puisque ceux-ci ne les ont jamais comprises. Dieu fait donc ses prophéties aux Juifs, sachant qu'ils ne les comprendront pas, il y a mieux, voulant qu'ils ne les comprennent point; car s'il avait voulu se faire comprendre, il aurait parlé clairement, au lieu de parler en figures. Dans l'intérêt de qui Dieu trompe-t-il ainsi le peuple élu? Afin que les prophéties soient crues par les chrétiens. Mais les chrétiens au

(1) Ce fait a été mis dans tout son jour par le célèbre fragmentiste. (Reimarus, Fragmente eines Ungenannten.)

(2) Voltaire, Remarques sur les Pensées de Pascal. (OEuvres, t. XXIX, pag. 283.)

raient-il moins cru, si les Juifs avaient entendu les prophéties messianiques dans un sens spirituel? Oui, répond Pascal. Là-dessus il se met à démontrer qu'il était bon que les Juifs ne crussent point, afin que leur incrédulité aidât les chrétiens à croire (1).

C'est pitié de voir Pascal aux prises avec une révélation prétendûment divine, qui n'est fondée que sur des preuves imaginaires. Faut-il s'étonner si la démonstration aboutit à un vrai galimatias? Non, il n'est pas vrai que l'incrédulité des Juifs a été nécessaire pour que les chrétiens crussent aux prophéties messianiques. Le bon sens nous dit, au contraire, que si les Juifs avaient entendu les prophéties dans un sens spirituel, elles auraient réellement été des prédictions annonçant la venue du Christ, que partant elles auraient forcé la conviction, même des plus incrédules; tandis que les écrivains sacrés ne parlant que d'un roi et de grandeurs temporelles, et les chrétiens étant obligés de faire violence aux textes pour les accommoder à un Messie pauvre et souffrant, les incrédules sont autorisés à dire qu'il n'y a point de prophéties sur la venue, la mort et la résurrection de Jésus-Christ.

L'explication de Pascal, loin de fortifier l'autorité de la révélation, l'affaiblit, pour mieux dire, elle la ruine, en donnant de Dieu une notion affreuse, une notion que la conscience moderne refuse d'accepter. Dieu parmi tous les peuples s'en choisit un qui est son peuple élu. Il se révèle à lui; dans quel but? N'est-ce pas pour procurer le salut à ceux qu'il éclaire de sa lumière? Cependant il leur parle un langage à double sens; au lieu de les éclairer il les aveugle. Il aveugle les uns, dit Pascal, pour éclairer les autres (2). Qu'est-ce à dire? Si Dieu aveugle les Juifs, il les perd; les malheureux encourront la damnation éternelle. Voilà donc pourquoi Dieu a conduit le peuple élu par la main, voilà pourquoi il l'a délivré de la servitude, voilà pourquoi il lui envoie des prophètes! Un Dieu se révélant aux hommes pour les perdre! Comment une idée aussi affreuse a-t-elle pu entrer dans l'esprit d'un homme? C'est qu'il fallait à tout prix une preuve invincible pour établir la vérité de la religion chrétienne. Les prophéties seraient une vraie démonstration, s'il y en avait de véritables. Il y a

(1) Pascal, Pensées, art. xv.

(2) Idem, ibid., XVI, 9.

des prédictions messianiques; on s'en empare. Les Juifs disent qu'elles ne s'appliquent pas à Jésus-Christ; il faut leur prouver qu'ils se trompent. S'ils se trompent, c'est qu'ils ont entendu les prophéties dans le sens clair et évident qu'elles présentent. Ils ont donc été trompés par les prophètes, ils ont été trompés par Dieu! Voilà la dernière conséquence de la preuve essentielle, démonstrative de la révélation! En vérité, elle n'est pas faite pour convertir les incrédules.

La damnation éternelle des Juifs ne suffit point au zèle des chrétiens; il faut encore, pour compléter l'autorité des prophéties, que le peuple de Dieu soit misérable et esclave sur cette terre : « C'est une chose étonnante, dit Pascal, et digne d'une étrange attention, de voir le peuple juif subsister depuis tant d'années, et de le voir toujours misérable : étant nécessaire pour la preuve de JésusChrist, et qu'il subsiste pour le prouver, et qu'il soit misérable puisqu'il l'a crucifié et quoiqu'il soit contraire d'être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère (1). » Bossuet célèbre également «< ce profond dessein de Dieu par lequel les juifs subsistent encore au milieu des nations, où ils sont dispersés et captifs; mais ils subsistent, dit-il, avec le caractère de leur réprobation, déchus visiblement par leur infidélité des promesses faites à leurs pères, bannis de la terre promise, n'ayant même aucune terre à cultiver, esclave partout où ils sont, sans honneur, sans liberté, sans aucune figure de peuple (2) ». S'il y a quelque chose d'étrange dans la prétendue réprobation des juifs, c'est l'aveuglement des chrétiens. Le monde catholique ne compte pas, au dix-septième siècle, de noms plus illustres que ceux de Pascal et de Bossuet; et ces grands génies s'accordent à célébrer comme un conseil de Dieu la servitude de tout un peuple! Comme la foi obscurcit les plus hautes intelligences! Ce qu'on ose appeler un conseil de Dieu, est tout simplement l'intolérance des chrétiens. Du jour où la Révolution, éclairée par la philosophie, émancipa les juifs, l'esclavage cessa. Cependant l'humiliation des déicides a été prédite par une prophétie et déclarée éternelle ! Les papes, ces organes de la vérité absolue, ont livré les malheu

(1) Pascal, Pensées, XIX, 4.

(2) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. (OEuvres, t. IX, pag. 217.)

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