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arrachées par la crainte. Bergier en triomphe, il les cite pour appuyer l'intolérance catholique. En effet, un abbé aurait pu signer ce passage de l'article athéisme : « L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas que le magistrat n'ait le droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, et de les faire périr même, s'il ne peut pas autrement en délivrer la société, parce que l'athéisme renverse tous les fondements sur lesquels la conservation et la félicité des hommes sont principalement établies. >>> Imprudents philosophes! malgré leur prudence, on les traita d'athées. On aurait donc pu, en invoquant leur propre doctrine, les punir de mort!

II. Voltaire.

Nous avons hâte d'arriver à un penseur plus osé. Alors même que Voltaire semble plier devant l'Eglise, l'ironie perce si bien, qu'il est impossible de s'y méprendre; les révérences qu'il fait à cette noble et puissante dame sont encore une insulte. Il avait cependant sa prudence, son hypocrisie même. La plupart de ses ouvrages parurent sans nom d'auteur, surtout les feuilles volantes qu'il répandait de Ferney dans toute l'Europe. A la griffe on reconnaissait le lion, mais alors le lion endossait la peau de renard, et niait effrontément qu'il eût écrit contre sa sainte mère l'Église; il allait au besoin à confesse et à communion. Ainsi mis à couvert, il rachète ses mensonges par son audace; il s'indigne, il tonne : << Ravir aux hommes la liberté de penser! Juste ciel! Tyrans fanatiques, commencez donc par nous couper les mains qui peuvent écrire, arrachez-nous la langue qui parle contre vous, arracheznous l'âme, qui n'a pour vous que des sentiments d'horreur (1)! »

On sent à ce cri de colère que pour Voltaire, penser librement c'est vivre. Lui-même le dit dans une de ses lettres, où il prodigue les trésors de son esprit : « La liberté de penser est la vie de l'âme (2). » Enlever la libre pensée à l'homme qui vit par l'intelligence, c'est lui enlever le principe de vie. Quant à ceux qui n'osent point penser librement, Voltaire les plaint : « C'est ne vivre qu'à

(1) Voltaire, Petit commentaire sur l'éloge du dauphin. (OEuvres, t. XLII, pag. 399.) (2) Idem, Lettre de mars 1753. (OEuvres, t. XLIX, pag. 18.)

demi, que de n'oser penser qu'à demi (1). » C'est dire que la liberté de penser est un droit naturel, puisqu'elle se confond avec la vie. Voltaire formule ce droit, dans ses Idées républicaines; on dirait le manifeste de 89: « Dans une république digne de ce nom, la liberté de publier ses pensées est le droit naturel du citoyen. Il peut se servir de sa plume comme de sa voix; il ne doit pas être plus défendu d'écrire que de parler, et les délits avec la plume doivent être punis comme les délits faits avec la parole; telle est la loi d'Angleterre, pays monarchique, mais où les hommes sont plus libres qu'ailleurs (2), »

En France, il y avait de la culture littéraire, peut-être plus qu'en Angleterre, mais aucune vie politique; les esprits y étaient encore esclaves. Voltaire écrivit un de ses charmants dialogues pour convertir ces esprits serfs. Ils avaient de si bonnes raisons pour défendre leur servitude volontaire! « Il est bon que tout le monde ne dise pas ce qu'il pense. On ne doit insulter, ni par écrit, ni dans ses discours, les puissances et les lois à l'abri desquelles on jouit de sa fortune, de sa liberté, et de toutes les douceurs de la vie. » Sans doute, répond Voltaire, il faut punir les séditieux; mais parce que les hommes peuvent abuser de l'écriture, faut-il leur en interdire l'usage? « J'aimerais autant qu'on vous rendît muet pour vous empêcher de faire de mauvais arguments. On vole dans les rues; faut-il pour cela défendre d'y marcher? On dit des sottises et des injures; faut-il défendre de parler? Chacun peut écrire chez nous (en Angleterre) ce qu'il pense à ses risques et à ses périls; c'est la seule manière de parler à sa nation. Si elle trouve que vous avez parlé ridiculement, elle vous siffle; si, séditieusement, elle vous punit; si, sagement et noblement, elle vous aime et vous récompense (3). »

Voltaire parlait très sérieusement en disant qu'il n'aimait pas la licence les athées et les matérialistes n'eurent pas de plus rude adversaire que le patriarche de Ferney. Mais, tout en condamnant les excès, il maintenait le droit. Il disait que brûler un mauvais livre est une action aussi odieuse que de le composer. Si un livre est dangereux, il faut le réfuter : « Brûler un livre de raisonnement, c'est

(1) Voltaire, Lettre de 1759, à madame du Deffand. (OEuvres, t. IV, pag. 211.)

(2) Idem, Idées républicaines, XXV. (OEuvres, t. XXVI, pag. 193.)

(3) Idem, des Esprits serfs. (OEuvres, t. XXXII, pag. 280.)

dire que nous n'avons pas assez d'esprit pour lui répondre. Ce sont les livres d'injures qu'il faut brûler, et dont il faut punir sévèrement les auteurs, parce qu'une injure est un délit. Un mauvais raisonnement n'est un délit que quand il est évidemment séditieux (1). » C'est notre droit actuel; mais si la liberté de penser et d'écrire est inscrite dans nos constitutions, n'oublions pas que nous la devons aux hommes de 89, et les hommes de 89 sont les disciples de Voltaire.

Ce n'est pas à dire que Voltaire ait inventé la liberté de penser. Spinoza l'avait revendiquée avant lui, et il la trouva pratiquée en Angleterre, quand, jeune encore, il visita la Bretagne, victime d'une insolente violence d'un noble de cour. Le spectacle d'un pays libre, quoique monarchique, fit une profonde impression sur le jeune poète, car Voltaire n'était encore que poète, quoique né libre penseur. Il n'oublia point l'enseignement qu'il avait puisé chez un peuple libre. A chaque occasion et dans tous ses écrits, il célèbre l'Angleterre : « Que j'aime la hardiesse anglaise, écrit-il à madame Du Deffand. Que j'aime les gens qui disent ce qu'ils pensent (2)! >> Il écrit à une autre dame, car, au dix-huitième siècle, les femmes aussi pensaient librement : « C'est un grand malheur qu'il y ait si peu de gens, en France, qui imitent l'exemple des Anglais, nos voisins. On a été obligé d'adopter leur physique, d'imiter leur système de finance; quand les imitera-t-on dans la noble liberté de donner à l'esprit tout l'essor dont il est capable? Quand est-ce que les sots cesseront de poursuivre les sages (3)? »

Voltaire fait honte à ses compatriotes de cette servitude de la pensée. Il en dévoile la cause avec la perspicacité de la haine : c'est l'ennemie mortelle de la philosophie, la superstition, c'est à dire le christianisme, tel qu'il était compris au dix-huitième siècle, qui dressait les hommes à l'esclavage. Les esprits serfs, tout en étant esclaves, n'aimaient pas que l'on appelât les choses par leur nom; ils demandaient à Voltaire ce qu'il entendait par esclavage de l'esprit : « J'entends, répond le libre penseur, cet usage où l'on est de plier l'esprit de nos enfants, comme les femmes caraïbes pétrissent les têtes des leurs; d'apprendre d'abord à leur bouche

(1) Voltaire, Idées républicaines, XXXIX. (OEuvres, t. XXVI, pag. 201.)
(2) Idem, Lettre de 1759, à madame du Deffand. (OEuvres, t. L, pag. 211.)
(3) Idem, Lettre de mars 1853. (OEuvres, t. XLIX, pag. 18.)

à balbutier des sottises dont nous nous moquons nous-mêmes; de leur faire croire ces sottises, dès qu'ils peuvent commencer à croire; de prendre ainsi tous les soins possibles pour rendre une nation idiote, pusillanime et barbare (1). » La race des sauvages caraïbes n'est pas éteinte; elle s'est mise à l'œuvre de nos jours, avec une ardeur nouvelle, et pour leur faciliter la tâche de crétiniser les générations naissantes, on les leur abandonne, avec plein pouvoir de les rendre idiotes. Cela se fait dans des pays qui se disent et qui se croient libres. Singulière façon de préparer les hommes aux rudes combats de la liberté que de commencer par en faire des crétins!

Au dix-huitième siècle, l'État était complice de l'Église; il y avait une touchante harmonie entre le trône et l'autel. On voudrait aussi de nos jours faire de l'État l'instrument de l'Église. Que les hommes auxquels la liberté est chère ouvrent les yeux ! Qu'ils voient où on veut les conduire! En 1781, une actrice qui avait charmé Paris par son admirable talent, vint à mourir. Que fit-on des restes mortels de mademoiselle Lecouvreur? En Angleterre on leur aurait donné une place à côté des tombes royales. En France, on les jeta à la voirie. Voltaire écrit à ce sujet : « Je joins ma voix à toutes les voix d'Angleterre pour faire un peu sentir la différence qu'il y a entre leur liberté et notre esclavage, entre leur sage hardiesse et notre folle superstition (2). » Laissez faire les caraïbes, et nous verrons les libres penseurs traînés sur la claie! Que l'on ne croie point que l'esclavage de la pensée s'arrête aux grandes questions de religion et de philosophie; il n'y a point de milieu entre être libre et être esclave: la servitude volontaire envahit tout jusqu'aux niaiseries. Écoutons Voltaire, il décrit ce qui se passait sous ses yeux. «< Il est plaisant que même sur des bagatelles, un homme qui pense n'ose dire son sentiment qu'à l'oreille de son ami. Ce monde-ci est une pauvre mascarade. Je conçois à toute force comment on peut dissimuler ses opinions pour devenir cardinal ou pape; mais je ne conçois guère qu'on se déguise sur le reste (3). » Hélas! Voltaire ne se doutait point jusqu'où peut aller la servitude de la pensée, dans

(1) Voltaire, des Esprits serfs. (OEuvres, t. XXXII, pag. 279.) (2) Idem, Lettre du 1 mai 1731. (OEuvres, t. XLVI, pag. 182.) (3) Idem, Lettre de mars 1761. (OEuvres, t. LI, pag.75.)

les époques de réaction religieuse ! Les hommes courent au devant de l'esclavage, et pour ne pas s'exposer au péché mortel de penser librement, ils préfèrent ne pas peuser du tout. Un être doué de raison par son créateur abdique sa raison, pour plaire à son créateur! Appelons Voltaire à notre aide, pour chasser ces horribles fantômes.

En France, sous l'heureux régime du trône uni à l'autel, il n'y avait plus une ombre de liberté. Voltaire écrit à d'Alembert : <<< Paris est une ville assiégée, où la nourriture de l'âme n'entre plus (1). » Le libre penseur étouffait dans un pays où l'on ne pouvait penser librement. En 1733, il écrit à un ami (2) : « La vie d'un homme de lettres est la liberté. Je finirai par renoncer à mon pays, ou à la passion de penser tout haut. » La passion était trop forte pour qu'il y pût renoncer; c'eût été abdiquer la vie, et descendre tout vivant dans le plus affreux des tombeaux. Voltaire aima mieux s'expatrier. Il écrit à la fin de ses jours à Condorcet : « J'ai bien fait d'aller mourir sur les frontières de la Suisse : « Il y a plus de philosophes chez les ours de Berne que chez les papillons de Paris (3). » Voltaire aimait la liberté, non pour son compte, pour sa jouissance, il sentait que telle était sa mission; il est apôtre de la libre pensée, aussi bien que de la tolérance; pour mieux dire, la liberté religieuse et la liberté de penser n'en faisaient qu'une à ses yeux. Grâce à son influence, les hommes prenaient courage et osaient penser librement. Voltaire constate avec bonheur cet immense progrès : « Je sais bien, écrit-il à Saurin en 1770, qu'il y aura toujours des gens qui feront la guerre à la raison, puisqu'en effet on a des soldats de robe longue payés uniquement pour servir contre elle; mais on a beau faire, dès que cette étrangère a des asiles chez tous les honnêtes gens de l'Europe, son empire est assuré. Son ennemi perd du crédit chaque jour, de Moscou jusqu'à Cadix (4). » Vers le même temps, il écrit à Condorcet (5): « Laissez faire; il est impossible d'empêcher de penser, et plus on pensera, moins les hommes seront malheu

(1) Voltaire, Lettre de 1771. (OEuvres, t. LXII, pag. 581.)

(2) Idem, Lettre du 15 septembre 1733, à Cideville.

(3) Idem, Lettre de 1777, à Condorcet (OEuvres de Condorcet, édit d'Arago, t. I, pag. 150. (4) Idem, Lettre du 10 novembre 1770. (OEuvres, t. LV, pag. 417.)

(5) Idem, Lettre du 11 octobre 1770. (OEuvres, t. LV, pag. 408.)

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