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lit-on pas à chaque page que Jésus-Christ chassait les démons? La croyance aux démons et à l'exorcisme, qui engendra la superstition de la sorcellerie, a donc son fondement dans la révélation. Dès lors, ne faut-il point pour la répudier et pour être libre penseur, commencer par rejeter la révélation, aussi bien que l'infaillibilité du pape et des conciles? Les déistes le firent, mais toujours en restant chrétiens; c'est à dire qu'ils voulaient être libres penseurs tout en étant enchaînés. Prétention contradictoire et qui ne pouvait aboutir.

Collins trouva une masse d'adversaires chez les protestants orthodoxes. Mais, chose remarquable, aucun d'eux ne contesta le droit de penser librement. Cela seul prouve que le drapeau du déiste anglais n'était point le drapeau de la vraie liberté. Des hommes croyant à la révélation miraculeuse, à une vérité absolue communiquée par Dieu même aux hommes, pouvaient-ils permettre à la raison de critiquer la parole divine? En ce point les réformés orthodoxes ne diffèrent guère des catholiques; tous admettent volontiers que l'homme peut penser librement, mais il y a une limite, où ils arrêtent la liberté, c'est la foi. Nous voilà encore une fois en présence du fantôme signalé par Shaftesbury comme le grand ennemi de la libre pensée. Comment échapper à ces fers? Il faut les secouer hardiment; il suffit de vouloir pour qu'ils tombent.

Les réformés orthodoxes n'avaient pas la moindre envie de rompre des chaînes qu'ils adoraient comme l'oeuvre de Dieu. Quand on les pressait et qu'on leur démontrait que la pensée est libre de son essence, qu'il est impossible de l'enchaîner, ils répondaient comme les catholiques : « Pensez librement tout ce qu'il vous plaira, mais ayez soin de ne pas manifester votre pensée, si elle est contraire à la foi. » Collins ne trouve point cette liberté-là de son goût; il dit, et avec raison, que c'est une mauvaise plaisanterie. Quand on revendique la liberté de penser, comme un droit, il est bien évident qu'il ne s'agit point de l'action de penser, car il n'y a pas de puissance humaine qui soit capable d'y apporter un obstacle. Les libres penseurs demandent qu'il leur soit permis de manifester leur pensée, parce que c'est le seul moyen de connaître et de répandre la vérité. Si chacun devait contenir sa pensée dans son for intérieur, comment la vérité se

ferait-elle jour? Ne dit-on point que c'est du choc des opinions que naît la lumière? La pensée, toujours repliée sur elle-même, finirait par ne plus penser, comme la vie s'arrête faute d'air et d'espace pour respirer. Chaque homme ainsi isolé des autres, dit très bien Collins, ressemblerait à un sourd et muet, et ce serait une jolie société de libres penseurs que celle qui se composerait de sourds et muets (1). C'est cependant là l'image vivante de l'humanité, si elle était organisée d'après les principes des orthodoxes, réformés ou catholiques. L'homme reçoit la vérité, comme une machine, il lui est défendu de la discuter, défendu de douter, défendu de dépasser la croyance qu'on lui inculque comme venant de Dieu. En quoi ces hommes-machines différeraient-ils de ceux dont parle l'Écriture, qui ont des oreilles pour ne pas entendre, des yeux pour ne pas voir, une langue pour ne point parler? Singulier moyen de faire le salut des hommes que de les réduire à l'état de brutes!

La liberté de penser, dit Collins, n'est pas uniquement un droit pour celui qui pense; c'est aussi un devoir à l'égard des autres hommes. Notre mission n'est-elle pas de nous perfectionner? Voilà le vrai salut, tel que Jésus-Christ l'a enseigné en disant : « Soyez parfaits comme votre Père dans les cieux. » Or comment les hommes peuvent-ils se perfectionner? Ils ne le peuvent que dans l'état de société; il leur est même impossible de vivre, sinon en société. Mais la société est-elle la simple coexistence des corps? A ce titre, un troupeau de moutons serait l'idéal de la société humaine. La société des hommes est la société des âmes. C'est dire qu'il y a entre eux une communication incessante de pensées et de sentiments. Là où ce commerce des esprits est libre, les hommes se perfectionnent ainsi que les institutions sociales; là où les peuples et les individus s'isolent, il y a point d'arrêt, immobilité et mort. La libre pensée est donc un devoir autant qu'un droit, car c'est la condition sans laquelle l'humanité ne peut remplir sa mission. C'est parce que la liberté de penser est un devoir, dit Collins, qu'elle est un droit.

Les orthodoxes objectent à cette doctrine qu'elle conduit tout

(1) A Discourse of the grounds and reasons of the christian religion, 1724, by Collins) pag. VI-VIII.

droit à l'incrédulité; car la liberté de penser aboutit nécessairement au doute, et du scepticisme à l'indifférence et à l'impiété, la voie est facile et dangereuse. Collins se défend contre cette imputation, mais au point de vue de l'orthodoxie chrétienne, il se défend mal. C'est l'oppression de la libre pensée, selon lui, qui engendre l'incrédulité. On a beau défendre aux fidèles de penser librement, on ne peut pas les dépouiller de leur bon sens. Que disent-ils en sortant d'un sermon? « Le curé ou le ministre parle à son aise; il attaque les philosophes, il attaque les hérétiques, et il leur défend de lui répondre! Cela est étrange. Ce n'est point ainsi que les choses se passent, quand nous siégeons au jury. La défense est de droit, et nous aurions mauvaise opinion du magistrat qui ne permettrait pas aux avocats de prendre la parole. N'en serait-il pas de même de notre prédicateur? S'il était sûr de son dogme, il provoquerait la discussion pour confondre ses adversaires. Il la fuit, il ferme la bouche à ceux qui voudraient lui répondre. Cela est louche. Est-ce que par hasard luimême ne croirait pas ce qu'il dit? »

On craint pour la vérité dans les débats passionnés qui s'engagent sur des questions religieuses. Hommes de peu de foi! s'écrie notre déiste. Vous prétendez avoir pour vous la vérité absolue, et vous craignez que les hommes ne la désertent pour embrasser l'erreur! Vous êtes de bien mauvais défenseurs de la vérité. L'homme a soif de vérité, montrez-la lui dans tout son éclat, il l'adorera comme les premiers hommes adorèrent le soleil. Les a-t-on vus maudire l'astre qui répand la vie dans la nature, et donner la préférence aux ténèbres? Le soleil n'a jamais craint la concurrence de la nuit; la vérité n'a rien à craindre de l'erreur. Il n'y a que les prétendues vérités, qui au fond sont des erreurs, qui doivent redouter la discussion; à celles-là la liberté est fatale. Ceux qui prêchent la transsubstantiation ont raison d'imposer silence à la raison, car la raison prouve qu'ils enseignent un nonsens (1).

Ce que Collins dit de la transsubstantiation, ne peut-on pas le dire de tous les dogmes chrétiens, à commencer par les plus essentiels, le péché originel, la divinité de Jésus-Christ, la révélation mira

(1) A Discourse of the grounds and reasons of the christian religion, pag. x1, ss.

culeuse? Il y a donc manque de conséquence, on peut dire manque de franchise dans le plaidoyer du déiste anglais. Quoi qu'il en dise, les orthodoxes ont raison. La libre pensée tue le dogme chrétien, elle engendre fatalement l'incrédulité. Est-ce à dire qu'il faille réprouver la libre pensée? Faut-il l'enchaîner pour sauver le dogme? Vaines tentatives! Est-ce que les fers ont fait défaut pendant les longs siècles du moyen âge? Cependant la pensée a brisé ses liens, et elle finira par les réduire en poussière. Ce n'est pas l'incrédulité qui sortira de ce mouvement, c'est un nouveau développement de la religion. Il n'y a qu'un moyen de sauver le christianisme; il doit donner satisfaction au besoin le plus légitime de notre nature, à celui qui nous porte par une force irrésistible à penser librement.

No 3. Les philosophes français

I. D'Alembert.

Les philosophes français sont les vrais libres penseurs. Ils ne se disent plus chrétiens, comme les déistes d'Angleterre. Leur esprit a secoué toutes les chaînes du christianisme traditionnel; ils n'ont peur d'aucun fantôme, ils ne craignent aucun spectre. Mais ils ont un autre obstacle qui les arrête la liberté politique leur fait défaut. Comment exprimeraient-ils leur pensée librement, alors qu'ils vivent sous un régime de censure? On leur fait un crime de leurs inconséquences, de leurs contradictions, pour mieux dire de leurs concessions; il faudrait dire plus encore, et appeler mensonge ce qui était un vrai mensonge. Mais qui est le coupable? Sont-ce les victimes, ou est-ce le despotisme qui faisait fonction de bourreau? Que l'on se représente la malheureuse position des philosophes au dix-huitième siècle. On ne leur permettait d'écrire, qu'avec l'épée de Damoclès sur la tête; à tout moment ils pouvaient être frappés. Il leur fallait afficher un profond respect pour les croyances qu'ils attaquaient. C'était les condamner à l'hypocrisie. Flétrissons ceux qui forçaient les philosophes à mentir, et ne condamnons pas les esclaves qui cherchent à s'affranchir de la plus odieuse des tyrannies, par le seul moyen qui est à leur disposition.

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C'est à ce point de vue qu'il faut juger d'Alembert, celui de ses correspondants auquel Voltaire écrivait dans toutes ses lettres : Écrasez l'infâme. Dans ses écrits publics, le philosophe est loin d'être aussi déterminé. Il dit bien dans la préface de l'Encyclopédie : « Il n'y a que la liberté d'agir et de penser qui puisse produire de grandes choses, et elle n'a besoin que de lumières pour se préserver des excès. » Il dit encore, comme Collins, que le moyen âge fut une époque de ténèbres, parce que la liberté de penser lui manqua (1). Mais d'Alembert n'ose point demander que ces principes soient traduits en lois. Que dis-je? Il fait des concessions qui étaient certes loin de sa pensée. On lit dans ses Éléments de Philosophie: « En laissant à chaque citoyen la liberté de penser en matière de religion, lui laissera-t-on celle de parler et d'écrire? La tolérance, ce me semble, ne doit pas aller jusque-là, surtout si les écrits et les discours dont il s'agit attaquent la religion dans sa morale. Cette sévérité, d'Alembert lui-même qualifie ainsi sa doctrine, s'étend aux écrits qui attaquent le dogme, chez la plupart des nations qui ont le bonheur de posséder la vraie religion, et il serait imprudent d'oser en cela blâmer leur conduite. » Imprudent, ce mot nous dévoile la raison des déplorables inconséquences de notre libre penseur. Sa prudence était du moins excusable, car elle était forcée; aujourd'hui encore, après un siècle de liberté légale, il y a de ces gens prudents leur prudence ne mérite-t-elle pas un autre nom?

D'Alembert finit en disant, « qu'il y a de la démence à combattre la religion si elle est vraie, et bien peu de mérite si elle est fausse.» Mais qui nous dira si une religion est vraie ou si elle est fausse? N'est-ce point la raison pensant librement? Et quand elle a reconnu qu'une religion est fausse, elle devrait la respecter, « parce qu'il est quelquefois plus nuisible qu'utile pour le repos d'une nation, de chercher à lui arracher ce voile imposteur (2)! » Ce n'est pas là le langage d'un libre penseur; c'est un accommodement avec la censure; il faut lire à travers les lignes, que d'Alembert pense précisément tout le contraire de ce qu'il dit. L'Encyclopédie, ce livre si mal famé, est remplie de concessions

(1) Diderot, Encyclopédie, préf. pag. 34, édit. in-8°. (2) D'Alembert, OEuvres, t. II, pag. 264, s.)

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