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s'instruire de ce seul article: l'Église est infaillible, il ne faut pas savoir: 1o si le livre d'où l'on tire cette maxime est canonique; 2o s'il est conforme à l'original; 3° si le passage ne peut pas avoir d'autre sens (1)? »

Certes, les simples et les ignorants seront dans un terrible embarras; il faut qu'ils se décident, car leur salut éternel est en jeu; et on peut bien les défier de prendre un parti. L'incertitude, le doute, le scepticisme, voilà où aboutissent les preuves de la révélation. << Otez la voie d'autorité, disent les catholiques, vous exposez les chrétiens à tomber dans le pyrrhonisme sur tous les articles de foi (2). » « Si, retorquent les réformés, les docteurs de l'Église pouvaient persuader le monde qu'il est impossible de trouver la vérité par la voie de l'examen, comme ils y travaillent de toutes leurs forces, ils verraient bientôt qu'ils n'ont travaillé qu'à établir le pyrrhonisme (3). » Que pensent les philosophes de ce débat? Que les catholiques et les réformés ont également raison. « Tant que les uns et les autres ne font qu'attaquer, dit Fréret, ils triomphent: l'impossibilité de l'examen est clairement démontrée par les catholiques : l'absurdité de la voie d'autorité a été mise dans le plus grand jour par les protestants. » Que conclure? Fréret conclut, en reprenant le principe des orthodoxes : « Une religion dont les preuves ne sont point à la portée de tous les hommes, ne peut être la religion établie par Dieu pour les simples et pour les ignorants; or, les preuves du christianisme ne sont pas à la portée de tous les hommes, donc le christianisme n'est pas établi par Dieu. «< Est-il nécessaire de démontrer, après ce que nous venons de dire, que les prophéties et les miracles sont des preuves qui dépassent, et de beaucoup, la conception des simples et des ignorants? » Pour juger de l'argument tiré des prophéties, il faut s'assurer: 1o du temps où vivait le prophète, afin de savoir si la prophétie n'est pas postérieure à l'événement; 2o du véritable sens que renferme la prophétie, ce qui suppose la connaissance de la langue originale du livre prophétique; 3o il faut être certain que le prophète n'a pas pu conjecturer ce qu'il a pré

(1) Jurieu, Système de l'Église, chap. xix, pag. 339, ss. (2) Papin, les Suites de la tolérance, pag. 119.

(3) Bayle, Dictionnaire, art. Pelisson, Note D.

dit. » Il n'y a pas de moindres difficultés pour les miracles. Ils ont pour garants des livres dont la vérité ne peut se prouver sans le secours de l'histoire. « Il faut donc : 1° examiner le siècle où ont vécu les historiens qui les rapportent; 2o établir l'authenticité de leurs livres et la sincérité de leurs témoignages; 3° voir si les miracles ne sont pas l'effet de la fourberie, ou s'ils ne peuvent pas s'expliquer par des causes naturelles (1). »

Ainsi les prétendues preuves de la révélation se tournent contre la religion révélée. Nous pourrions nous borner à ces considérations générales; elles suffisent pour ruiner le christianisme traditionnel, mais elles ne donnent pas une idée suffisante de la lutte qui s'établit au dix-septième et au dix-huitième siècle entre l'Église et la philosophie. Il nous faut donc entrer dans plus de détails. Cela est d'autant plus nécessaire que les défenseurs intéressés de la révélation ne se tiennent jamais pour battus. Ils reproduisent au dix-neuvième siècle, avec une imperturbable assurance, les preuves invincibles des prophéties et des miracles, et comme les libres penseurs ne daignent plus leur répondre, ils triomphent. Il est bon de les convaincre d'ignorance, en montrant qu'ils n'ont qu'à ouvrir les écrits philosophiques des derniers siècles: ils y trouveront la réponse qu'ils demandent.

Nous avons une autre raison pour assister à cette lutte. La conclusion des philosophes est qu'il n'y a jamais eu des miracles, que ces prodiges sont même impossibles. Comme réponse à leurs objections, les zélés se sont mis à forger des miracles. Pour le moment, il est vrai, la superstition a été rafraîchie. Mais les zélés, si zèle il y a, ne voient-ils pas que toute fraude sacrifie l'avenir au présent? Fabriquer des miracles qu'une partie même du clergé repousse avec indignation comme une honteuse imposture, c'est donner gain de cause aux incrédules, qui n'ont jamais voulu voir dans ces prodiges qu'une œuvre de supercherie et de cupidité. Qu'il y ait quelques pèlerins dévots à la Salette, cette recrudescence de superstition compense-t-elle le mal que les faux miracles font au christianisme? Ou espère-t-on que les ténèbres de l'ignorance couvriront encore une fois toute l'Europe, comme au bon vieux temps, qui s'appelle le moyen âge?

(1) Fréret, Examen critique des apologistes. (OEuvres, t. III, pag. 391-393, 379-381.)

Vaines espérances! Les victoires que la foi remporte par ces honteux expédients, sont plus désastreuses qu'une défaite. Ce n'est pas à l'ignorance et à l'erreur, bien moins encore à la fraude et à l'imposture qu'appartient l'empire du monde, c'est à la vérité.

§ 2. Les prophéties

No 1. Juifs et chrétiens

I

Les deux branches de la tradition chrétienne invoquent l'une et l'autre les prophéties. Ce sont les Juifs qui les ont écrites, et elles sont évidemment à l'adresse du peuple de Dieu, de la race élue; les autres nations les ignoraient. Il est certain que les Juifs attendaient un Messie, et ils croyaient que sa venue était prédite par leurs écrivains sacrés. Quand Jésus prêcha la bonne nouvelle, ses disciples crurent qu'il était le successeur de Moïse, annoncé par les prophéties; à en juger par les Évangiles, lui-même eut cette croyance. On appliqua donc au Christ toutes les prédictions messianiques. Les Juifs contestèrent; ils ne voulurent pas reconnaître Jésus pour leur Messie; ils le mirent à mort comme un faux prophète. Le débat ne finit point par ce sanglant sacrifice; les Juifs, accusés de déicide, furent persécutés pendant des siècles pour un crime imaginaire. Dans les temps modernes les haines se ralentirent et elles ont fini par se calmer. Au dix-huitième siècle il se trouva un chrétien tolérant, l'arminien Limborch, et un juif rempli de respect pour la religion des chrétiens. Un entretien s'engagea entre eux, et leurs discussions furent livrées à la publicité (1). Nous ne connaissons point de plus beau livre de controverse. Il y règne une sérénité d'esprit, une paix et une charité également admirables. L'un et l'autre des interlocuteurs sont des hommes de foi; c'est parce qu'ils ont la foi qu'ils respectent les croyances qu'ils ne partagent pas. Nous allons résumer le débat, avec le regret de n'en pouvoir citer que quelques traits concernant les prophéties.

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, cum erudito Judæo.

Il y a des prophéties messianiques. Mais qui est le Messie attendu par le peuple élu? Les chrétiens adorent Jésus comme Fils de Dieu, coéternel au Père: le Christ est Dieu. Est-ce que le Messie des prophètes est aussi identique avec le Dieu d'Israël? Les écrivains sacrés des Juifs auraient repoussé une idée pareille comme un blasphème: le Dieu de la Bible est un Dieu unique, il n'y en a pas d'autre que le Dieu d'Abraham et de Jacob. Les Juifs ne connaissaient pas la distinction de trois personnes, chacune étant Dieu, et les trois personnes ne formant néanmoins qu'un seul être. Dieu envoie, il est vrai, des prophètes à son peuple; il les inspire, il leur communique une puissance surnaturelle; mais les prophètes restent toujours des créatures: tel était le plus grand de tous, Moïse: tel devait être le Messie. Les Juifs pouvaientils reconnaître leur Messie dans le Christ?

Si l'on se plaçait sur le terrain historique, on pourrait dire que Jésus n'affirme jamais qu'il soit Dieu; mais quand les Juifs discutent avec des chrétiens, ils doivent entendre les Évangiles comme les chrétiens. Or, les chrétiens prétendent que le Christ se révéla comme fils de Dieu à ses disciples, et que les apôtres le suivirent comme tel. Dès lors, les Juifs ne sont-ils pas en droit de dire à leurs adversaires : « Le Messie que notre loi annonce est un prophète, un envoyé de Dieu, qui nous fera connaître sa volonté. Par cela même nous ne pouvons pas ajouter foi à un homme qui vient dire qu'il ne fait qu'un avec son père qui est dans les cieux. Cet homme est un faux prophète, et notre loi nous commande de le mettre à mort. Certes, si Jésus avait prêché un Dieu autre que celui d'Israël, il eût mérité, aux termes du Deutéronome, d'être lapidé. Eh bien, n'est-ce pas un autre Dieu que votre Christ nous veut faire adorer, quand il dit que lui est le Messie, et que le Messie est Dieu? Montrez-nous dans nos livres sacrés un seul passage où il soit question d'un Dieu-Homme! Montrez-nous un seul passage où Dieu ait prédit par ses prophètes qu'il s'incarnerait dans le sein d'une femme (1) ! »

Les chrétiens, continue l'interlocuteur juif, nous accusent du plus inexpiable des crimes, de déicide. Comment serions-nous coupables d'avoir fait mourir un Dieu, alors que notre Dieu, le

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 110, 111.

vrai Dieu, ne nous a jamais dit qu'il prendrait un jour la forme humaine, pour nous révéler ce que vous appelez la loi du salut? Plus ce mystère est grand, incompréhensible, plus Dieu devait le prédire clairement, afin de nous instruire et de nous guider, comme il n'a cessé de faire depuis les patriarches. Si ce que vous dites est vrai, loin d'être des criminels, nous aurions le droit de nous plaindre que Dieu nous a trompés. Il nous dit à chaque pas qu'il est le seul vrai Dieu, il nous annonce des prophètes, et au lieu d'envoyer un Messie il vient lui-même, sous la forme d'un homme! Si cela est vrai, alors les prophéties sont fausses. Que si les prophéties sont vraies, il est impossible que Jésus-Christ soit Dieu (1).

Pourquoi Dieu lui-même serait-il descendu sur la terre? Les chrétiens ont là-dessus tout un système de théologie; mais, dit le docteur juif, je ne trouve pas un mot de leur doctrine dans les prophéties messianiques. D'abord ils disent que le Christ a révélé une loi nouvelle, et qu'il a aboli le mosaïsme. Cette prétention des chrétiens est en contradiction avec les propres paroles de Jésus, et avec le zèle respectueux qu'il mettait à observer la loi. Passons sur cela, puisqu'il n'est question que de prophéties. Dieu a-t-il prédit que le Messie changerait la loi? Il dit et répète, au contraire, que sa loi est éternelle. Si donc il est vrai que votre Christ a prêché une religion qui devait remplacer la nôtre, il est par cela seul un faux prophète. Les Juifs ne pouvaient certes pas reconnaître leur Messie dans un homme qui venait dire tout le contraire de ce que Dieu lui-même leur avait dit (2). A ce titre encore, Jésus méritait la mort; et loin d'être criminels, les Juifs n'ont fait que remplir un devoir que la loi leur impose.

Quelle est la religion que Jésus-Christ prêcha? Et pourquoi la loi ancienne ne suffisait-elle point? Les chrétiens répondent que le Fils de Dieu est venu pour sauver le genre humain. Le sauver de quoi? De la mort éternelle. Et pourquoi les hommes avaient-ils encouru cette terrible peine? Par le péché d'Adam. Est-ce là le Messie des prophètes? Les prophètes ne savent rien du péché originel; ils ignorent ce que c'est qu'un sauveur et un médiateur.

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 9-73. (2) Idem, ibid., pag. 7.

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