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folie horrible des guerres de religion; cette abomination était réservée à des dévots, prêcheurs d'humilité et de patience. Marius et Sylla, Pompée et César, Antoine et Auguste ne se battaient point pour décider si le flamen devait porter sa chemise par dessus sa robe, ou sa robe par dessus sa chemise, et si les poulets sacrés devaient manger et boire ou bien manger seulement, pour qu'on prît les augures (1). » Voltaire rit toujours d'un coin des lèvres, mais quand il parle de l'intolérance, l'indignation l'emporte. Dans son traité de la Tolérance, il est grave et sérieux : « Crois ce que je crois, et ce que tu ne peux croire, ou tu périras. C'est ce qu'on dit en Portugal, en Espagne, à Goa. On se contente à présent dans quelques autres pays de dire: Crois ou je t'abhorre; crois ou je te ferai tout le mal que je pourrai; monstre, tu n'as point ma religion, donc tu n'as point de religion; il faut que tu sois en horreur à tes voisins, à ta ville à ta province. S'il était de droit humain de se conduire ainsi, il faudrait donc que le Japonais détestât le Chinois, qui aurait en exécration le Siamois; celui-ci poursuivrait les Gangarides, qui tomberaient sur les habitants de l'Indus, un Mongol arracherait le cœur au premier Malabare qu'il trouverait, le Malabare pourrait égorger le Persan, qui pourrait massacrer le Turc; et tous ensemble se jetteraient sur les chrétiens qui se sont si longtemps dévorés les uns les autres (2). »

Voltaire dit que l'intolérance est le droit des tigres; c'est chose plus horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes (3). Cette flétrissure semble exagérée, mais ceux qui connaissent l'histoire savent qu'elle est écrite en lettres de sang à toutes les pages des annales chrétiennes. Faut-il rappeler les guerres excitées par la fureur du fanatisme, ces guerres que Voltaire appelle des guerres de cannibales? Faut-il rappeler les assassinats inspirés par la religion, la Saint-Barthélemy qui changea en bêtes féroces une nation douce et légère? Faut-il rappeler les auto-da-fé, véritables sacrifices humains? Faut-il rappeler les guerres de religion, qui portèrent en Europe une espèce de barbarie que les Hérules, les Vandales et les Huns n'avaient jamais connue? Si cette rage n'avait cessé, l'Europe

(1) Lettres sur les Anglais, VIII. (T. XXIV, pag. 33.)

(2) De la Tolérance, chap. vi. (T. XXVII, pag. 76.)

(3) Essai sur les mœurs, chap. CXXVIII, CLXXI, CXL, CXVIII, CXXXIV.

serait devenue un vaste cimetière. Associons-nous donc à la malédiction prononcée par Voltaire contre l'intolérance chrétienne :

Périsse à jamais l'affreuse politique

Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique,

Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,

Qui du sang hérétique arrose les autels,

Et suivant un faux zèle ou l'intérêt pour guide

Ne sert un Dieu de paix que par des homicides (1).

Nous répéterons encore avec Voltaire cette imprécation lancée contre les prêtres d'un Dieu de charité :

Faut-il donc à nos dieux des bourreaux pour ministres (2)?

Quand on tient compte de la mission de Voltaire, quand on sait quelle est la religion qu'il combattait sous le nom de fanatisme, on ne se scandalisera plus de ce qu'il la traitait d'infâme. Ce n'est pas un athée qui inflige cette flétrissure au christianisme traditionnel, ce n'est pas même un incrédule, c'est un croyant qui professe une religion nouvelle, celle de la vraie charité. Voltaire lui-même nous dit sa pensée, dans l'intimité de la correspondance « On est tenté de se faire débaptiser, quand on lit la Saint-Barthélemy, les massacres d'Irlande et l'histoire des Calas. On aurait du moins grande raison de se décatholiciser (3). » C'est en ce sens que Voltaire dit à Dieu :

Je ne suis pas chrétien, mais c'est pour t'aimer mieux (4).

Nous avons dit que la tolérance de Voltaire est une religion; elle consiste << à servir son prochain pour l'amour de Dieu, au lieu de le persécuter et de l'égorger au nom de Dieu. Tolérant toutes les autres, et méritant ainsi la bienveillance de toutes, elle est seule capable de faire du genre humain un peuple de frères (5) ». Cette religion, Voltaire l'appelait le théisme; dans notre époque d'aveugle réaction, on voudrait confondre les théistes avec les athées. Que

(1) La Henriade, Chant II.

(2) Les Guèbres, acte II, scène II.

(3) Lettres inédites. (Revue des Deux Mondes, 1862, t. II, pag. 440.)

(4) Poésies. Le Pour et le Contre, de 1722.

(5) Dictionnaire philosophique, au mot Religion, sect. 1.

nos zélés catholiques ne suivent-ils la profession de foi de Voltaire! « Qu'est-ce qu'un vrai théiste? C'est-celui qui dit à Dieu : Je vous adore et je vous sers. C'est celui qui dit au Turc, au Chinois, à l'Indien et au Russe : Je vous aime (1). » Citons encore ce beau vers de la Loi naturelle :

« Enfants du même Dieu, vivons du moins en frères. »

Les défenseurs du catholicisme diront-ils encore que ce vers est un plagiat, un vol fait au catholicisme? Comment se fait-il donc qu'au dix-huitième siècle, l'Église de France, la plus libérale du monde catholique, s'obstinait à demander l'exécution rigoureuse des édits de Louis XIV contre les calvinistes, tandis que Voltaire réclamait le rappel des Français expatriés pour cause de religion? Nous avons rapporté les plaintes des évêques et des abbés, contre l'inexécution des édits du grand roi. Nous allons entendre celui que les réactionnaires traitent de démon; le lecteur décidera de quel côté est la vraie religion, de quel côté est même le vrai christianisme, si l'on entend par là la charité du Christ. Cette comparaison entre le langage du clergé gallican et celui de Voltaire sera aussi une réponse à nos nouveaux catholiques. Jamais on n'a altéré les faits avec plus d'audace. A entendre les imprudents défenseurs du passé, le catholicisme n'a pas été persécuteur, loin de là, il a toujours prêché la douceur et l'indulgence aux princes; si aujourd'hui nous jouissons de la liberté de conscience, c'est à lui que nous devons ce grand bienfait. Nous accusons les apologistes d'imprudence serait-ce en effet par le mensonge que l'on réhabilite les religions? serait-ce par l'hypocrisie qu'on les sauve?

Dans son traité de la Tolérance, Voltaire demande le rappel des calvinistes, qui avaient cherché à l'étranger un refuge contre l'intolérance catholique : « L'intérêt de l'État, dit-il, est que des fils expatriés reviennent avec modestie dans la maison de leur père; l'humanité le demande, la raison le conseille, et la politique ne peut s'en effrayer. » On voit combien le langage du philosophe est contenu, mesuré. Ce n'est pas au nom du droit qu'il parle, il ne veut point que les réformés reviennent en vainqueurs, en conqué

(1) Dictionnaire philosophique, au mot Théisme.

rants; il ne demande pour eux qu'une mesure d'humanité. Voltaire répond avec une modération extrême aux mauvaises raisons que les catholiques lui opposaient; rien ne dépeint mieux l'incurable intolérance du catholicisme : « Quelques-uns ont dit que si l'on usait d'une indulgence paternelle enyers nos frères errants qui prient Dieu en mauvais français, ce serait leur mettre les armes à la main; qu'on verrait de nouvelles batailles de Jarnac, de Moncontour, etc. C'est ce que j'ignore parce que je ne suis pas un prophète; mais il me semble que ce n'est pas raisonner conséquemment que de dire: Ces hommes se sont soulevés quand je leur ai fait du mal, donc ils se soulèveront quand je leur ferai du bien ». Les catholiques répétaient toujours que l'unité de religion est une condition de paix pour l'État. Voltaire répond que les temps, l'opipinion, les mœurs ont bien changé : « La fureur qu'inspire l'esprit dogmatique a répandu autant de sang, a produit autant de désastres en Allemagne, en Angleterre et même en Hollande qu'en · France; cependant aujourd'hui la différence des religions ne cause aucun trouble dans ces États; le juif, le catholique, le grec, le luthérien, le calviniste, l'anabaptiste, le socinien, le mennonite, le morave, et tant d'autres vivent en frères dans ces contrées, et contribuent également au bien de la société (1) ».

Telle était encore, au dix-huitième siècle, la puissance des préjugés catholiques, que Voltaire n'osa pas demander pour les réformés la même liberté religieuse, que pour les catholiques; que dis-je? il n'osa pas même demander l'égalité politique. Que nos orthodoxes écoutent, et qu'ils rougissent de leur intolérance! « Je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les places et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante. En Angleterre, les catholiques regardés comme attachés au parti du prétendant, ne peuvent parvenir aux honneurs; ils paient même double taxe, mais ils jouissent d'ailleurs de tous les droits des citoyens. » La comparaison que Voltaire établit entre les réformés de France et les catholiques d'Angleterre, est remarquable. Il ne demande pour les réformés que les droits dont jouissaient les catholiques anglais; or ces droits se bornaient à l'état civil, ils étaient exclus de l'état politique. Ce

(1) De la Tolérance, chap. IV. (T. XXVII, pag. 64-66.)

n'était certes pas la liberté, c'était l'incapacité, l'oppression. Eh bien, Voltaire se contentait de cette incapacité, de cette op- . pression. Et cependant il échoua contre l'intolérance catholique. Et l'on vient nous dire aujourd'hui que les catholiques ont pris l'initiative de la tolérance!

Qu'est-ce que Voltaire demande en définitive pour les réformés? Il faut le constater, pour la honte du catholicisme:« Nous savons que plusieurs chefs de famille, qui ont élevé de grandes fortunes dans les pays étrangers, sont prêts à retourner dans leur patrie; ils ne demandent que la protection de la loi naturelle, la validité de leurs mariages, la certitude de l'état de leurs enfants, le droit d'hériter de leurs pères, la franchise de leurs personnes, point de temples publics, point de droit aux charges municipales, aux dignités : les catoliques n'en ont ni à Londres, ni dans plusieurs autres pays (1) ». Ainsi ni liberté religieuse, ni droits politiques, rien que la tolérance la plus étroite, rien que les droits naturels que l'État ne refuse pas même aux étrangers : et ces humbles demandes ne furent point accueillies! Quand Louis XVI les consacra enfin, en cédant aux clameurs de l'opinion publique, le haut clergé réclama, il protesta. Voilà l'abîme de l'intolérance catholique. Si nous jouissons de la liberté religieuse, c'est malgré l'Église, c'est grâce aux philosophes qui l'ont conquise en luttant contre elle.

Parmi ces lutteurs, Voltaire occupe la première place. Condorcet dit qu'il forma une ligue dans toute l'Europe, dont il était le chef. On s'est emparé de cet aveu pour prétendre que les philosophes avaient organisé je ne sais quelle ténébreuse conspiration contre l'Église et la religion. Oui, les philosophes conspiraient, mais ils conspiraient à ciel ouvert, et jamais il n'y eut de complot plus saint, car il avait pour but de rendre aux hommes des droits que Dieu leur donne, et dont le fanatisme catholique les avait dépouillés. « Le cri de ralliement des conjurés, continue Condorcet, était raison et tolérance. S'exerçait-il chez une nation quelque grande injustice, apprenait-on quelque acte de fanatisme, quelque insulte faite à l'humanité, Voltaire dénonçait les coupables à l'Europe. Et qui sait combien de fois la crainte de cette vengeance sûre et terrible a pu arrêter le bras des oppresseurs! >>

(1) De la Tolérance, chap. Iv et v. (T. XXVII, pag. 64–73.)

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