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toutes les professions la plus éloignée des excès de rigueur. « De touchantes et lumineuses instructions, des exemples persuasifs, de ferventes prières, une bienfaisance douce, prévenante, universelle et inépuisable, voilà principalement les armes de l'apostolat (1). » Le clergé ne s'apercevait point qu'il faisait sa propre satire. Qui l'empêchait de remplir ce ministère apostolique? S'il est si antipathique à toute mesure de violence, pourquoi demandait-il sans cesse l'application des édits de Louis XIV?

II

On n'a pas une idée aujourd'hui de l'intolérance catholique. Il est bon de l'apprendre aux hommes du dix-neuvième siècle, afin qu'ils sachent où la réaction les conduirait, si elle devenait victorieuse, afin qu'ils sachent à quoi s'en tenir sur la charité chrétienne que le clergé a toujours sur la langue. Depuis la révocation de l'édit de Nantes, il n'y avait plus de protestants en France; aux yeux de la loi, en effet, l'immense majorité ne s'était-elle pas convertie, grâce aux dragonnades? Et le petit nombre de ceux qui restaient, n'ayant plus l'exercice de leur culte, il en résultait qu'il n'y avait plus d'hérétiques dans cet heureux royaume qui s'appelait très chrétien. Mais, en fait, il en était tout autrement. Les convertis restèrent fidèles à leur croyance; leur bouche seule avait apostasié, sous l'empire de la force. Il y avait donc, en dépit de la fiction légale, des milliers de calvinistes en France. Comment le fait se conciliait-il avec la fiction? Il ne pouvait être question de tolérer le culte des malheureux réformés. Mais il y a des actes de la vie civile qui touchent à la religion : la naissance, le mariage, le décès. L'Église gallicane vient de nous dire que les prétendus convertis refusaient de présenter leurs enfants au baptème; elle voulait qu'ils y fussent contraints. Quelle religion que celle qui voit le salut attaché à une cérémonie célébrée avec l'aide des gendarmes! Quand les réformés parvenaient à se soustraire à cette violence impie, il en résultait pour eux ce grave inconvénient, que l'état de leurs enfants n'était pas établi; ainsi des mil

(1) L'abbé Guettée, Histoire de l'Église de France, t. XII, pag. 126, 127.

liers de citoyens n'avaient pas de filiation légale! Pour les décès, il y avait un plus grand danger à ne les point constater légalement, puisque l'ordre public y est intéressé. Cependant jusqu'en 1736, il n'y avait qu'un moyen pour les réformés d'obtenir une preuve du décès, c'était la sépulture catholique : encore une fois une contrainte imposée aux croyances religieuses! En 1736, le législateur voulut bien permettre aux réformés de mourir, sans passer par les mains du curé, sauf l'application de l'horrible édit sur les relaps. Étaient considérés comme tels tous ceux qui, convertis en apparence, retournaient à leur foi, et repoussaient les secours spirituels des ministres de la religion catholique: leurs cadavres étaient traînés sur la claie et jetés à la voirie !

Restaient les mariages. Suivant les édits de Louis XIV, ils n'avaient d'existence légale que s'ils étaient célébrés à l'église. Comment donc les réformés pouvaient-ils se marier? S'ils tenaient à rester fidèles à leur conscience et aux lois, ils ne le pouvaient point. Voilà donc une grande partie de la population placée hors du droit commun, hors de la nature! Méprisaient-ils les lois, et célébraient-ils leur union devant un pasteur, le mariage était nul, ce n'était qu'un concubinage; les époux n'avaient aucune garantie contre l'instabilité des passions, humaines, et les enfants étaient des bâtards. Voulaient-ils assurer à leur union les effets d'un contrat légitime, ils devaient le faire bénir par les ministres d'une religion qu'ils réprouvaient. Cela ne suffisait point: il fallait donner des témoignages de catholicité. On voyait donc les jeunes gens et les jeunes filles suivre avec assiduité les offices divins, aller à confesse et à communion; quand ce stage d'hypocrisie était achevé, le curé les mariait. A peine mariés, les époux ne mettaient plus le pied à l'église; la comédie était jouée, on tirait le rideau; sauf à recommencer le lendemain pour un nouveau couple. Cette profanation de ce qu'il y a de plus sacré dans la religion révoltait les âmes religieuses, jusque dans le sein du catholicisme. On lit dans un rapport adressé en 1726 par le grand prévôt de la cathédrale de Nîmes au cardinal Fleury : « Après avoir profané le sacrement qui les unit, ils sont également enracinés dans leurs premières erreurs, ce qui est si infaillible qu'à peine depuis quarante ans, en a-t-on vu qui aient été fidèles aux promesses solennelles qu'on avait exigées d'eux avant leur mariage.

Il est surprenant qu'on ne soit pas sensible à un si grand abus et à des profanations si manifestes. Il semble qu'il ne saurait y avoir d'extrémités qui ne soient préférables (1). »

A la veille de la Révolution, la puissance des idées nouvelles extorqua à la royauté un édit qui rendit aux réformés des droits dont on s'étonne qu'ils aient jamais été dépouillés. Les Français non catholiques furent admis à jouir librement de leurs biens, et à exercer toutes les professions, excepté les charges de judicature, les offices municipaux et les fonctions de l'enseignement public. Ils n'étaient plus forcés de faire célébrer leurs mariages par les ministres du culte catholique; il leur suffisait de se présenter devant le tribunal de leur domicile, et le juge les déclarait unis au nom de la loi. Les naissances et les décès pouvaient également être enregistrés dans les tribunaux. Enfin l'autorité municipale devait pourvoir à l'inhumation de ceux qui n'avaient point droit à la sépulture ecclésiastique.

On lit dans le préambule de l'édit de 1787 : « La religion catholique jouira seule dans notre royaume des droits et des honneurs du culte public, tandis que nos autres sujets non catholiques, privés de toute influence sur l'ordre établi dans nos États, ne tiendront de la loi que ce que la droit naturel ne nous permet pas de leur refuser. » Le droit naturel était certainement en faveur des protestants. C'est au nom de la nature que la philosophie prit parti pour eux. Condorcet demanda si le but de la société n'était pas le maintien de la propriété, de la liberté, de la sûreté de ceux qui la composent? Comment le gouvernement pourrait-il avoir le droit d'attaquer la propriété, l'état civil, la liberté ou la sûreté d'un citoyen qui ne s'est rendu coupable d'aucun crime? La loi peut-elle dire à une classe de citoyens : « Vous n'aurez pas d'enfants, ou, si vous en avez, vous n'aurez pas le droit de les traiter comme tels? >> La loi peut-elle dire aux femmes : « Toutes les conventions que vous aurez faites avec l'homme à qui vous aurez consacré votre vie ou avec les enfants dont vous serez la mère, seront nulles? >> Or, n'est-ce pas ôter un droit à un homme que de l'assujettir, pour exercer ce droit, à des formalités qu'il croit ne pouvoir remplir

(4) L'Accord parfait de la nature et de la raison, par un gentilhomme de Normandie, t. II, pag. 103.

sans blesser sa conscience? Condorcet arrive à cette conclusion qui est formulée aujourd'hui dans nos lois : « Dans un État où tous les citoyens ne professent pas la même religion, et où, parmi ces différentes religions il y en a qui regardent l'assistance aux cérémonies des autres cultes comme un crime, les formalités nécessaires à la validité des mariages ne doivent pas être mêlées à des cérémonies religieuses (1). » Ce qui est vrai du mariage, l'est de l'état civil en général.

Nous sommes honteux d'insister sur la justice d'un édit qui accordait aux réformés des droits que le despotisme en délire avait seul pu leur enlever. Au lieu du despotisme nous devrions dire le fanatisme catholique. Ce fut la royauté absolue qui rendit l'état civil aux protestants. Qui forma opposition contre l'édit? Le fanatisme catholique. On lit dans la correspondance de M. de Staal : << Les fanatiques se donnent tout le mouvement imaginable pour empêcher l'enregistrement de l'édit du roi qui attribue les droits de citoyen aux non-catholiques. L'évêque de Dol, portant la parole pour les députés de Bretagne, osa sur ce sujet tenir vendredi dernier un discours au roi qui finit par ces mots : Vous répondrez, sire, devant Dieu et devant les hommes, des malheurs qu'entraînera le rétablissement des protestants. Madame Louise, du haut des cieux où ses vertus l'ont placée voit votre conduite et la désapprouve (2). » Quand on met cette remontrance furibonde en regard des dispositions de l'édit, l'on est confondu de l'excès d'intolérance auquel le clergé s'emportait à la veille de la révolution qui allait mettre fin à sa domination. L'édit n'assurait pas aux protestants les droits de citoyen, il ne leur donnait que la jouissance de l'état civil. En leur faisant cette concession, le roi eut soin d'ajouter que les réformés resteraient en dehors de l'état politique; il dit encore, pour donner satisfaction à l'intolérance de l'Église, qu'elle seule continuerait à jouir des droits et des honneurs du culte public. L'édit n'accordait donc pas la tolérance civile aux réformés; il ne leur permettait pas de célébrer leur culte, il leur offrait seulement le moyen de constater leur état. C'est parce qu'on leur rendit ce que la nature ne permettait pas de leur ôter,

(1) Condorcet, sur l'État civil des protestants. (OEuvres, t. V, pag. 462, 496, édit. d'Arago.) (2) Revue des Deux Mondes, 1856, t. VI, pag. 31.

que le clergé jeta les hauts cris! Et l'on ose dire aujourd'hui que l'Église accepte la tolérance civile! Si par impossible la réaction catholique l'emportait, elle rétablirait l'inquisition et les bûchers.

Il faut nous arrêter encore au fanatisme catholique, à propos d'un édit qui n'était pas même un édit de tolérance. D'Alembert n'avait point tort de dire que les jansénistes étaient pires que les jésuites. Quand l'édit fut présenté au parlement pour y être enregistré, le conseiller d'Éprémesnil l'attaqua avec une vraie fureur. C'était un de ces rhéteurs orthodoxes, qui ont toujours le mot de liberté à la bouche, mais qui au nom de la liberté, voire même de la charité, n'hésiteraient pas à envoyer les hérétiques au bûcher. Il déblatéra contre l'édit, comme si c'était une profanation et une insulte à l'Église, de permettre aux réformés de se marier. Montrant à ses collègues une image du Christ, il s'écria: « Voulez-vous le crucifier encore une fois? » Ainsi, c'est crucifier le Christ, de vouJoir un peu d'humanité, un peu de justice dans les relations purement civiles de la société! Voilà le christianisme du dix-huitième siècle. Et l'on s'étonne que les philosophes l'aient pris en haine, et que la Révolution ait voulu le détruire! Le parlement céda à l'opinion publique; mais il y a un corps qui ne connaît pas l'opinion publique, ou qui se fait un devoir de la braver au nom de la vérité divine. Le clergé se réunit en 1788. Déjà le souffle de la Révolution agitait tous les esprits. Les évêques et les abbés aurontils au moins la prudence de se taire? Sur la proposition de l'archevêque d'Arles, l'Assemblée fit des remontrances au roi contre l'édit de 1787. Tout en demandant la révocation de l'édit, tout en réclamant le maintien de la législation de Louis XIV, le clergé protestait qu'il ne voulait pas de persécution. On est heureux que 89 approche, et que la vérité prenne la place de cette odieuse hypocrisie. Non que le clergé ait cessé d'être hypocrite: c'est une vertu qui lui est innée. Encore après 89, encore en plein dix-neuvième siècle, il continue à soutenir qu'il ne combat et n'a jamais entendu combattre que la tolérance dogmatique. Que nos lecteurs mettent ces protestations en regard des actes de l'Église et qu'ils jugent!

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