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prend. Il s'agit de se décider entre plusieurs religions; toutes invoquent des miracles: comment savoir si les uns sont l'œuvre de Dieu et les autres une illusion de l'esprit de mensonge? Voilà un terrible embarras, là où nous cherchons la certitude. Il est heureux que les prophéties nous apprennent à distinguer la vraie religion des fausses.

Si les fidèles croient être hors d'embarras avec les prophéties, grande est leur erreur. Voici des théologiens qui, tout en étant convaincus de la vérité de la religion chrétienne, cherchent à écarter les prophéties, comme s'ils avaient peur que ce témoignage ne compromette leur cause. Grotius dit que les apôtres n'opposèrent pas les prophéties aux Juifs comme témoignage que Jésus-Christ fût le Messie, car ils en citent peu de cette nature, se contentant des miracles et de la résurrection de Jésus. De là Grotius conclut << que tous les passages que les apôtres allèguent de l'Ancien Testament ne sont pas proprement invoqués en preuve, et par forme d'argument, mais pour appuyer ce qui est déjà cru (1) ». C'est dire que les prophéties sont pour le moins inutiles. Les Arminiens abondaient dans ces sentiments; d'après eux, les prophéties rappelées dans les Evangiles sont des allégories; il est contraire au bon sens, dit Episcopius, de les prendre à la lettre, alors que les apôtres eux-mêmes les entendaient dans un sens mystique.

On dira que nous citons des hérétiques, tandis que la lutte est engagée entre les catholiques et les libres penseurs. Les hérétiques trouvèrent de l'écho dans le sein de l'Église orthodoxe. Un savant prêtre de l'Oratoire, Simon, dont l'autorité, en fait de critique, est bien plus grande que celle de Bossuet et de Pascal, partage l'avis de Grotius et des Arminiens. Comme prêtre, Simon ne pouvait pas répudier ouvertement les prophéties; mais à travers ses réserves et ses restrictions, il est facile de s'apercevoir qu'il croit aussi que les prophéties, dont les apologistes font tant de cas, n'étaient pas de nature à persuader les infidèles, qu'elles n'étaient bonnes que pour ceux qui avaient déjà la foi. Ce n'est pas nous qui imputons ces sentiments à Simon, c'est Bossuet, et cette démonstration-là lui réussit beaucoup mieux que celle de la lucidité des

(1) Grotius, Comment. in Matth., chap. I, v. 12.

prophéties (1). Ainsi la preuve évidente qui devait convaincre les plus incrédules, n'est bonne qu'à convaincre ceux qui sont déjà convaincus!

Les apologistes catholiques ont une préférence marquée pour les prophéties, tandis que les protestants se défient des prophéties et s'en tiennent aux miracles. Mais les uns et les autres ayant de bonnes raisons pour ne pas aimer, soit les miracles, soit les prophéties, les deux fondements de la révélation ne menacent-ils pas de crouler ensemble? C'est la conséquence logique de la répugnance que les uns avaient pour les miracles, les autres pour les prophéties, et elle ne manqua pas de se produire. Au dix-huitième siècle, un théologien protestant déclara qu'aucune des deux preuves n'était fondamentale, et que le christianisme pouvait très bien subsister sans la croyance aux prophéties et aux miracles. Semler n'est pas un incrédule, il n'est pas même philosophe. Élevé parmi les piétistes, il conserva toujours sa foi dans le christianisme, non dans un christianisme vague et nuageux tel que les Allemands l'aiment, mais dans le christianisme révélé. Mais Semler était un chrétien du dix-huitième siècle; il sentait que la religion ne pouvait plus être, pour les contemporains des libres penseurs, ce qu'elle avait été pour les contemporains de Jésus-Christ. A qui Jésus-Christ prêcha-t-il la bonne nouvelle? Aux Juifs. Or les Juifs se trouvaient encore à un degré de culture intellectuelle qui tient de l'enfance; ils étaient attirés par des signes extérieurs, bien plus que par la perfection intérieure de la doctrine évangélique. On les voit dans les Évangiles demander des miracles à Jésus-Christ, et rien de plus naturel. Ils attendaient un Messie; ce Messie ne devait pas abolir le mosaïsme, mais le répandre sur la terre entière. C'est donc moins la prédication de la bonne nouvelle qui devait les frapper, que les signes par lesquels JésusChrist légitimerait sa mission. Les témoignages qu'on lui demandait étaient en quelque sorte indiqués d'avance dans les livres saints des Juifs. En effet, les prophètes annonçaient le Messie; leurs espérances étaient si précises qu'ils prédisaient jusqu'à ses faits et gestes; c'était au Christ à prouver qu'il réalisait ces espérances. On croyait que le Messie serait le dernier et le plus grand

(1) Bossuet, Dissertation sur Grotius. (OEuvres, t. II, pag. 617, 618.)

des prophètes. Or, les prophètes avaient fait des miracles; JésusChrist à plus forte raison en devait faire. Voilà pourquoi les récits des évangélistes sont remplis de miracles, et pourquoi ils ont soin de remarquer que les prédictions des livres saints se sont accomplies dans le Christ. Semler arrive à cette conclusion que les prophéties et les miracles s'adressaient aux Juifs, et non à ceux qui croiraient à l'Évangile, sans s'enquérir de ces signes, et sans savoir même ce qu'ont dit les prophètes (1).

Semler, qu'on le remarque bien, ne nie point les miracles, ni les prophéties; il écarte même les doutes des libres penseurs, qu'il trouve téméraires : comment osent-ils prescrire des limites à la puissance du Créateur? comment osent-ils dire qu'il devait employer tel moyen de révéler la vérité, plutôt que tel autre? Mais Semler ne veut pas que l'on fasse des miracles et des prophéties l'essence du christianisme, au point d'affirmer avec Abbadie que, s'il n'y a pas de miracles ni de prophéties, il n'y a pas de religion chrétienne. C'est dépasser la pensée de Jésus-Christ. On ne le voit jamais procéder comme font les apologistes. Il ne dit jamais telle prophétie s'est accomplie en ma personne, donc il faut croire à ma mission. Il ne dit jamais je vais faire un miracle pour que vous croyiez ce que je vous dis. Semler en conclut qu'on peut être un excellent chrétien, sans croire aux miracles ni aux prophéties (2).

Pourquoi Semler, tout en croyant aux prophéties et aux miracles, ne veut-il pas qu'on les considère comme fondement, selon l'expression de Pascal? C'est qu'au dix-huitième siècle la foi dans le surnaturel s'en allait à grands pas; si l'on s'obstinait à attacher l'existence même du christianisme à l'élément miraculeux, que devait-il arriver? Que la religion chrétienne serait désertée par tous ceux qui ne pouvaient plus croire aux miracles. Il n'y avait qu'un moyen de sauver l'essence de l'Évangile, la prédication morale, c'était de la dégager de la confusion que les apologistes s'efforçaient de maintenir à tout prix. Mettons en regard de Semler les défenseurs du christianisme traditionnel. Bergier s'écrie, en

(1) Semler, Letztes Glaubensbekenntniss, pag. 239, 246; - Versuch einer freiern theologischen Lehrart, pag. 119.

(2) Idem, Beantwortung der Fragmente eines Ungenannten, pag. 396, 351.

combattant Rousseau : « Otez les miracles de l'Évangile, et il ne restera pas dans toute la terre un seul disciple à Jésus-Christ (1). » Calmet dit à peu près la même chose des prophéties. Ainsi des chrétiens, également zélés pour la cause qu'ils défendent, disent, les uns que les prophéties et les miracles sont fondements, les autres que ces témoignages ne s'adressaient qu'aux Juifs; ces derniers répudient comme inutiles des preuves que les premiers déclarent essentielles. Qu'est-ce donc que les preuves du christianisme, et que devient la révélation, appuyée sur des bases aussi fragiles? En vérité, Semler n'avait pas tort de dire à ses contemporains: «< Croyez à l'Évangile, puisque la morale en est si pure qu'elle séduit jusqu'aux libres penseurs. Ne vous embarrassez pas des miracles et des prophéties. Ces témoignages vous sont étrangers; c'est de l'histoire ancienne qui regardait les Juifs. » Les conseils de Semler ont été écoutés par les sectes protestantes, et la foi s'est conservée dans leur sein. Qu'est-il arrivé dans les pays catholiques? A force de vouloir sauver le christianisme miraculeux, on a ruiné toute foi.

VI

Là ne s'arrête pas le dissentiment des catholiques et des protestants, en ce qui concerne les preuves de la révélation. Il y a un point fondamental sur lequel ils sont en désaccord, et qui entraîne la ruine de la révélation miraculeuse. Les uns et les autres disent que la vraie religion est fondée sur des preuves sensibles et palpables, à la portée des hommes les plus simples. Cette maxime est comme un axiome du christianisme traditionnel; tous les partis l'admettent. En effet, pourquoi Dieu révèle-t-il lui-même la vérité aux hommes ? C'est évidemment pour leur enseigner la voie dans laquelle ils pourront se sauver; il faut donc qu'il soit non seulement possible, mais aisé de la reconnaître, même aux plus ignorants et aux plus simples. « Tout chemin, dit Nicole, qui ne pourra conduire ni les simples, ni les ignorants à la foi, n'y pourra conduire personne, puisque le caractère et la marque de cet unique chemin doit être d'y conduire tout le monde. » Sur ce

(1) Bergier, Le Déisme réfuté, t. II, pag. 145.

point les réformés parlent comme les catholiques; à la fin du dixhuitième siècle, Mosheim tient le même langage que Nicole au dix-septième (1). Les orthodoxes des deux camps s'accordent encore à dire que les miracles et les prophéties sont les preuves essentielles du christianisme. Mais comment les simples et les ignorants peuvent-ils apprécier ces preuves? Ici le dissentiment commence et il est capital.

Les catholiques répondent qu'il n'y a qu'une seule voie de donner aux ignorants et aux simples la certitude, sans laquelle il n'y a point de foi, c'est l'autorité de l'Église. Ils triomphent des difficultés inextricables où se perdent les réformés. Ceux-ci mettent les livres saints entre les mains de tous les fidèles. « Comment est-ce que les simples, dit Malebranche, peuvent être certains que les quatre Évangiles que nous avons ont une autorité infaillible? Les ignorants n'ont aucune preuve qu'ils soient des auteurs dont ils portent les noms, et qu'ils n'ont point été corrompus dans les choses essentielles. Je ne sais si les savants en ont des preuves bien sûres; mais quand nous serions certains que l'Évangile de saint Mathieu, par exemple, est de cet apôtre, et qu'il est tel aujourd'hui qu'il l'a composé, si nous n'avons pas d'autorité infaillible qui nous apprenne que cet Évangile ait été inspiré, nous ne pouvons pas appuyer notre foi sur ses paroles, comme sur celles de Dieu même (2). »

Rien de mieux, disent les réformés, si nous savions, par la parole de Dieu, qu'il existe une autorité infaillible. Les catholiques prétendent que leur Église a été instituée par Dieu, et qu'il lui a accordé le don de l'infaillibilité; reste à savoir, comment les simples et les ignorants s'en convaincront. Écoutons un ministre réformé «< Devant que les simples chrétiens, dit Jurieu, puissent croire sans témérité que l'Église qui leur parle est infaillible, il faut qu'ils soient assurés: 1° que la religion et l'Église sont véritables; 2° que cette véritable Église a reçu le privilége de l'infaillibilité; 3° que l'Église romaine est la véritable Église, à l'exclusion des autres. Je demande, continue Jurieu, si pour

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. IV, pag. 337. — Mosheim, Die Feinde der christlichen Religion, t. II, pag. 107.

(2) Malebranche, Entretiens, XIII.

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