Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

torturé à plaisir avant d'être étranglé et brûlé; et parce qu'il hésite à se prêter lui-même à un raffinement de cruauté, un homme pieux, un magistrat, un premier président de parlement, écrivant dans son cabinet tout à son aise, le traite de lâche! Et si la douleur ou la colère arrache un dernier cri à la victime, il compare ce cri au mugissement d'un boeuf que l'on tue! Justice impie! sanguinaire fanatisme! tyrannie à la fois odieuse et impuissante! Croyez-vous donc que c'est avec des tenailles qu'on arrache l'esprit humain à l'erreur? »

Nous applaudissons de tout cœur à ces généreuses paroles; mais Cousin ne dit pas tout ce qu'il fallait dire. Chef d'une école qui prétend concilier la philosophie et le christianisme, qui croit du moins à la paix possible entre l'Église et les philosophes, il ménage beaucoup trop les vrais coupables. Ce n'est pas le parlement et son président qu'il devait flétrir. C'étaient de pieux magistrats, dit Cousin. Oui, ils étaient pieux, et c'est précisément parce qu'ils l'étaient, qu'ils poussèrent la cruauté religieuse jusqu'à cet excès d'atrocité qui nous révolte. Qui est le plus à blâmer? Ceux dont la conscience est aveuglée, égarée, faussée? ou ceux qui prennent à tâche de tuer la raison dès l'enfance, en sorte que l'homme privé de la lumière que Dieu lui a donnée pour le guider dans les rudes sentiers de la vie, est plongé pour toujours dans les ténèbres de l'âme. Voilà les vrais bourreaux qu'il faut maudire, car ils tuent ce qu'il y a de divin dans l'homme, la pensée. Ne parlez donc pas d'une alliance entre le faux christianisme qui s'étale sous nos yeux et la philosophie. Ne parlez pas même de paix ni de trève. Non, guerre, et guerre à mort contre une Église qui au lieu d'éclairer la conscience, la vicie! qui au lieu d'élever l'homme à Dieu, le rabaisse et en fait une brute!

III. Galilée (1)

Voici encore une victime de l'intolérance catholique. Les apologistes de l'Église ont essayé de laver le christianisme traditionnel de cette tache. Ils nient, avec leur audace habituelle, que l'inquisition ait jamais condamné comme faux le système du mouvement

(1) Parchappe, Galilée, sa vie, ses découvertes et ses travaux. (Paris. 1866.)

de la terre « Nos incrédules l'affirment, dit l'abbé Bergier, et malgré les preuves irrécusables du contraire, ils le répèteront jusqu'à la fin des siècles. C'est ainsi que nos philosophes travaillent à l'avancement des sciences. » En fait de fraude pieuse, il n'y a que le premier pas qui coûte. Notre abbé, et c'est un des plus honnêtes, affirme encore « que Galilée ne fut pas persécuté comme bon astronome, mais comme mauvais théologien, pour avoir voulu se mêler d'expliquer la Bible. » Bergier ose ajouter que depuis un siècle on en impose au public sur ce fait (1)! Nous allons voir qui sont les imposteurs. Supposons un instant que l'apologiste catholique dise la vérité; admettons que Galilée fut persécuté comme mauvais théologien, qu'est-ce que le catholicisme y gagnerait? Bergier a-t-il oublié le défi qu'il porte aux philosophes, de citer l'exemple d'un seul homme poursuivi et condamné pour de simples opinions par l'Église? Et voici qu'il avoue que Galilée fut persécuté, pour s'être mêlé d'expliquer la Bible! Est-ce un crime contre l'ordre public, de se tromper dans l'interprétation de l'Écriture? Galilée était-il un séditieux, parce qu'il croyait que la Bible pouvait se concilier avec le mouvement de la terre? Car c'est là ce qu'il a soutenu. Le pauvre vieillard s'est rétracté. Mais s'il ne l'avait pas fait? L'inquisition aurait dû le condamner, puis elle l'aurait récommandé à l'indulgence du pouvoir séculier; et nous savons ce que cette indulgence veut dire. Galilée aurait donc pu avoir le sort de Bruno, pour le seul crime d'être mauvais théologien!

De nos jours des hommes de science ont prêté la main, sans le vouloir, nous l'espérons, aux apologistes de l'Église. Ils ont relevé quelques erreurs dans les reproches que les libres penseurs font à l'inquisition encore l'erreur n'est-elle point démontrée. Les orthodoxes s'emparent de ces aveux pour crier à la calomnie et pour chanter victoire. Il est convenu dans le camp catholique que tout ce qui s'est dit depuis deux siècles sur l'odieuse persécution dont Galilée fut la victime, est une invention des philosophes. Nous allons constater les faits, en tenant compte des fameuses découvertes que l'on exploite avec tant de bonne foi. Les lecteurs décideront de quel côté est la calomnie. Ajoutons que nous ne

(1) Bergier, Dictionnaire de théologie, au mot Sciences humaines.

connaissons pas la vérité tout entière sur le procès de Galilée; et à qui la faute? Les pièces originales furent transportées à Paris en 1798. Depuis 1814, le nonce du pape ne cessa de les réclamer. Le gouvernement de Louis-Philippe eut la faiblesse de céder à ces exigences. Rossi fit la restitution sous la promesse expresse que la cour de Rome livrerait les pièces à la publicité. La PROMESSE FUT VIOLÉE. Ce fait seul condamne l'Église. Que vient-on nous parler de la vérité dans le procès de Galilée (1)? La vérité, nous l'ignorons, et c'est le coupable qui la cache. Cela autorise toutes les suppositions, sauf celles qui seraient favorables à la cour de Rome. Les documents publiés par ceux-là mêmes qui plaident sa cause suffisent pour la flétrir à tout jamais.

Constatons d'abord la prétendue calomnie des libres penseurs. On lit dans l'Essai sur les mœurs de Voltaire : « Une congrégation de théologiens, dans un décret donné en 1616, déclara l'opinion de Copernic, mise par le philosophe florentin dans un si beau jour, non seulement hérétique dans la foi, mais absurde dans la philosophie. Ce jugement contre une vérité prouvée depuis en tant de manières est un grand témoignage de la force des préjugés. Il doit apprendre à ceux qui n'ont que le pouvoir, à se taire quand la philosophie parle, et à ne pas se mêler de décider sur ce qui n'est pas de leur ressort. Galilée fut condamné depuis, en 1633, par le même tribunal, à la prison et à la pénitence, et fut obligé à se rétracter à genoux. »

Tels sont les faits que l'abbé Bergier prétend calomnieux. Sontils vrais, oui ou non? Nous ne parlons pas de l'appréciation de Voltaire qui est certes d'une grande modération. Écoutons le savant académicien qui publia la Vérité sur le procès de Galilée, et qui juge les inquisiteurs avec une indulgence excessive: « Le 4 mars 1616, dit M. Biot, la congrégation de l'Index rendit un décret portant: « Que la fausse doctrine pythagorique de la mobilité de la terre et de l'immobilité du soleil est ABSOLUMENT CONTRAIRE AU TEXTE DE L'ÉCRITURE. » Ce sont les termes textuels de la sentence; un autre académicien la rapporte en d'autres mots. D'après M. Libri l'inquisition décida que l'opinion du mouvement de la

(1) C'est sous ce titre que M. Biot a publié son travail sur Galilée, dans le Journal des Savants, 1858.

[ocr errors]

terre est fausse, absurde, FORMELLEMENT HÉRÉTIQUE et CONTRAIRE A L'ÉCRITURE (1). Les mots diffèrent, dans Libri, Biot et Voltaire, mais le sens est évidemment identique. Voltaire n'a donc point calomnié l'Église, et ceux qui osent l'en accuser sont eux-mêmes des calomniateurs.

Poursuivons. Galilée adopta le système de Copernic et le démontra. C'était une erreur de dogme, une hérésie formelle, si l'on admet, comme le soutient encore Bossuet à la fin du dix-septième siècle, que tout, absolument tout dans l'Écriture est révélé. Les ennemis de Galilée, parmi lesquels se trouvait l'archevêque de Florence, excitèrent les dominicains à prêcher contre lui. On sait que l'ordre de Saint-Dominique était chargé des terribles fonctions du saint-office. Ces gardiens de la foi étaient d'une ignorance telle qu'ils ne connaissaient pas même le nom de l'astronome allemand qu'ils accusaient d'hérésie. L'un d'eux écrivit que l'opinion d'Ipernic était contraire à l'Écriture. Un autre, plus belliqueux, monta en chaire et prononça un sermon où il s'efforçait de prouver que la mathématique était un art diabolique, et que les mathématiciens, comme auteurs de toutes les hérésies, devaient être bannis de tous les États. N'est-ce pas une preuve évidente que la libre pensée et l'Église sont incompatibles?

On dira que nous rendons l'Église responsable de la bêtise de quelques moines. Voyons donc ce qui se passait à Rome. Ce n'était pas un siècle de ténèbres que le dix-septième : il se trouvait parmi les cardinaux un Bellarmin, le controversiste le plus savant de l'Église catholique. Eh bien, que pensait-on à la cour du pape des découvertes de Copernic et de Galilée? Que pensait-on de la science? La sentence de l'inquisition de 1616 fut communiquée à Galilée, et ce fut Bellarmin qui lui enjoignit, sous peine de la prison, d'abandonner sa doctrine sur le mouvement de la terre. Galilée avait un protecteur dans le grand-duc de Florence. Écoutons ce que l'ambassadeur toscan près du souverain pontife écrit à son maître : « Le ciel de Rome est fort dangereux, surtout sous ce pape qui abhorre les lettres et les talents, et qui ne peut souffrir ni les nouveautés ni les subtilités, de sorte que chacun

(1) Libri, dans le Journal des Savants, 1841, pag. 163. Voici le texte latin : « Falsam illam doctrinam, divinæ scripturæ omnias adversantem, de mobilitate terræ et immobilitate solis... Ne ulterius hujusmodi opinio in perniciem catholicæ veritatis serpat, censuit...

[ocr errors]

cherche à l'imiter, et que ceux qui savent quelque chose, s'ils ont un peu d'esprit, FONT semblant d'être IGNORANTS, POUR NE PAS DONNER DES SOUPÇONS, ET POUR ÉVITER D'ÊTRE PERSÉCUTÉS. » L'ambassadeur, en digne diplomate, dit qu'il y aurait danger à protéger Galilée, qu'il vaut mieux abandonner les savants; il répète que le pape les aime si peu que chacun s'efforce de paraître ignorant (1).

Galilée, passionné pour la vérité, eut recours, pour la répandre à une ruse favorite des philosophes italiens. Il composa un dialogue où trois interlocuteurs discutent les arguments qu'on faisait valoir pour ou contre le mouvement de la terre. Les partisans des idées modernes donnent des raisons décisives en faveur du système de Copernic, mais ils finissent toujours par se rendre aux pitoyables arguments qu'allègue le troisième interlocuteur, qui défend le système orthodoxe. L'avertissement qui précède l'ouvrage de Galilée est une spirituelle moquerie de la bêtise des moines et des cardinaux : « On a promulgué à Rome, dit Galilée, un édit salutaire, où pour obvier aux scandales dangereux de notre siècle, on impose silence à l'opinion pythagoricienne du mouvement de la terre. Il y eut des gens qui avancèrent avec témérité que ce décret n'avait pas été le résultat d'un examen judicieux, mais d'une passion mal informée; et l'on a entendu dire que des conseillers tout à fait inexperts dans les observations astronomiques ne devaient pas, par une prohibition précipitée, couper les ailes aux esprits spéculatifs. Mon zèle n'a pas pu se taire, en entendant de pareilles plaintes... Mon dessein, dans cet ouvrage, est. ⚫ de montrer aux nations étrangères, que sur cette matière on en sait en Italie, et particulièrement à Rome, autant que l'on en a pu imaginer ailleurs. En réunissant toutes mes recherches sur le système de Copernic, je veux faire savoir que l'on doit à Rome, non seulement des dogmes pour le salut de l'âme, mais encore des découvertes ingénieuses pour les délices de l'esprit (2). »

Les inquisiteurs se laissèrent prendre à la ruse, comme au seizième siècle les moines prirent au sérieux les Litteræ obscurorum virorum. Cependant le persiflage était transparent. Le nom seul de l'interlocuteur orthodoxe, Simplicius, aurait dû ouvrir les

(1) Libri, Vie et travaux de Galilée, dans la Revue des Deux Mondes, 1841, t. II. (2) Idem, dans le Journal des Savants, 1841, pag. 167; Revue des Deux Mondes, 1841, t. II.

« ZurückWeiter »