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je remets mon esprit entre tes mains. » En vérité, nous serions tenté de nous révolter contre la douceur évangélique, en la voyant ainsi parodiée. Quoi! On tient pendant dix ans dans les cachots de l'inquisition, un libre penseur, et au nom de qui? Au nom du Christ. On veut briser la libre pensée, don de Dieu, et au nom de qui? Au nom du Christ. On immole le philosophe sur un bûcher, comme un criminel de bas étage, et au nom de qui? Toujours au nom du Christ. Et l'on veut que la victime adore son bourreau? Si l'Église a fait de Jésus-Christ un bourreau, est-ce aux philosophes qu'il faut s'en prendre? L'écrivain français a pitié des juges de Bruno, << parce qu'ils étaient aveuglés par une illusion ou une prévention passionnée (1). » Les juges étaient des gens d'église; et qui a nourri, qui a choyé ces illusions, ces préventions? Appelons les choses par leur nom. Il ne s'agit pas d'illusions. C'est la domination du clergé qui était en cause; pour maintenir leur pouvoir, les gens d'Église ne reculaient pas devant le meurtre, comme aujourd'hui ils ne reculent devant aucun moyen pour ressaisir la puissance qui leur échappe. Si nous flétrissons les sacrifices humains, si nous maudissons l'intolérance qui les allume, ayons aussi le courage de flétrir et de maudire ceux qui ont forgé cette affreuse erreur; car l'erreur ne se crée point d'elle-même, les hommes en sont les artisans, et le plus souvent dans un intérêt personnel. Voilà ce qu'il faut condamner hautement, au lieu d'invoquer la charité évangélique pour excuser le plus inexcusable des crimes, le meurtre de la pensée.

Hâtons-nous d'ajouter que si Bartholmèss plaint les juges, il réserve une plus tendre compassion à la victime. La compassion pour Bruno! Cela ne suffit point. Il faut l'admiration, il faut le culte. Le philosophe italien est un héros de la libre pensée; s'il lui était donné de revivre, il dédaignerait votre compassion. De son vivant, il se voyait déjà « la risée des sots, la pitié du peuple, la victime du fanatisme. » Et il bravait le stupide vulgaire; il bravait toutes les misères de la vie : « Ce qui nous enrichit, écrit-il, ce n'est point l'abondance, c'est le mépris des biens... Le héros est fort contre la fortune, magnanime à l'égard des injures, intrépide en présence du dénûment, des maladies, des persécutions. » « Le

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siècle présent, dit l'infortuné Campanella, cloue ses bienfaiteurs. sur la croix, mais le temps à venir leur rendra justice (1). » Entendez-vous? Les martyrs réclament justice, et non compassion. Et nous voudrions bien savoir comment on honorerait les victimes, sans flétrir les bourreaux. Parmi ces bourreaux, nous ne comprenons pas seulement l'inquisition, nous y comptons ceux qui insultèrent au malheur. Scioppius, le luthérien apostat, eût été digne de siéger dans le saint-office; en écrivant le récit de la mort de Bruno dont il fut témoin oculaire, il trouva moyen de faire d'agréables plaisanteries; nous les recommandons à nos journaux orthodoxes. Bruno, nous l'avons dit, croyait à la pluralité des mondes, et il se réjouissait de voyager à travers l'immensité des espaces. Sur cela, Scioppius dit : « Le malheureux est mort au milieu des flammes; je pense qu'il sera allé raconter, dans ces autres mondes qu'il avait imaginés, comment les Romains ont coutume de traiter les impies et les blasphémateurs (2). »

Nous ne savons si dans ces autres mondes, on s'occupe de Rome et des Romains, mais nous pouvons donner l'assurance à Scioppius et à ses pareils que dans le nôtre, on n'oubliera point le 17 février de l'an 1600. Le jour de l'expiation approche; l'acte d'accusation se dresse, et on y lira en lettres de sang que pour maintenir sa domination, l'Église immolait les libres penseurs. Scioppius n'est pas le seul coupable; s'il l'était, nous ne lui aurions pas fait l'honneur de citer son nom. Tous ceux qui tiennent à leur réputation d'orthodoxie croient qu'ils doivent déblatérer contre les libres penseurs. Il y avait au dix-septième siècle un père minime qui correspondait avec Descartes; un cartésien n'aurait-il pas dû comprendre que les bûchers sont un mauvais moyen de redresser les erreurs des philosophes? Eh bien, voici ce qu'il écrit : « Ce scélérat serait excusable, s'il s'était contenté de philosopher sur un point. Mais parce qu'il est allé plus avant et a attaqué la religion chrétienne, il n'est que raisonnable de le décrier comme un des plus méchants hommes que la terre ait jamais portés (3). » Quelle étroitesse d'esprit et quelle ardeur de haine! Ne nous plai

(1) Bartholmèss, Jordano Bruno, t. I, pag. 252, 253.

(2) La lettre de Schopp (Scioppius) est traduite dans l'étude de M. Cousin sur Vanini. (3) Mersenne, Contre l'impiété des déistes, athées et libertins de ce temps. Paris, 1624, pag. 229,

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gnons pas de ces grossières injures, c'est la condamnation de l'Église. Quant aux libres penseurs, ils honoreront Bruno comme un de leurs saints; ce ne sera point par des génuflexions, ni par des cierges, ce sera en imitant son fier courage. Il n'y a plus de bûchers pour les philosophes, mais ils ont un devoir à remplir, plus difficile peut-être que de braver la mort; c'est que leur vie soit l'expression de leur doctrine. Inspirons-nous de l'héroïsme de Bruno; soyons comme lui les apôtres de la libre pensée, et pour être dignes de cet apostolat, ne reculons jamais devant la manifestation de nos convictions!

II. Vanini (1).

Vanini est un de ces incrédules italiens qui prodiguent les témoignages de respect au christianisme, tout en l'attaquant et en le méprisant. Son ouvrage le plus suspect, les Secrets admirables de la nature, reine et déesse des mortels, fut approuvé par deux docteurs en Sorbonne, sans réserve aucune; les censeurs déclarent qu'ils n'y ont rien trouvé de contraire ou de répugnant à la religion catholique, apostolique et romaine, qu'ils le tiennent même comme un ouvrage plein d'esprit et très digne d'être livré au public. Nous ne nous portons pas garant de l'orthodoxie de Vanini, et nous ne partageons nullement sa croyance. Mais nous flétrissons le fanatisme qui le fit monter sur le bûcher. Cousin a publié la sentence prononcée contre le philosophe italien par le parlement de Toulouse. « La cour déclare Vanini convaincu d'athéisme, blasphèmes, impiétés; pour punition et réparation desquels crimes, elle condamne ledit Vanini à être livré ès-mains de l'exécuteur de la haute justice, lequel le traînera sur une claie, en chemise, ayant la hart au cou, et portant sur les épaules un cartel contenant ces mots : Athéiste et blasphémateur du nom de Dieu; et le conduira devant la porte principale de l'église métropolitaine de Saint-Étienne, et étant là à genoux, tête et pieds nus, tenant en ses mains une torche de cire ardente, demandera pardon à Dieu, au roi et à la justice desdits blasphèmes, après l'amènera en la place du Salin, et, attaché à un poteau qui y

(1) Cousin, la Vie et les écrits de Vanini. (Revue des Deux Mondes, 1843, t. IV.)

sera planté, lui coupera la langue et l'étranglera; et après sera son corps brûlé au bûcher qui y sera apprêté, et les cendres jetées

au vent. >>>

L'impiété, par elle-même, n'est pas un crime. Que les orthodoxes ne se scandalisent point de cette proposition! Nous leur rappellerons que les premiers chrétiens furent traités par les païens, d'athées et de blasphémateurs, absolument comme Vanini. L'impiété est un délit imaginaire, que dis-je? elle peut être l'expression de la vérité, car les chrétiens avaient certes de Dieu une idée plus haute que le vulgaire des Gentils. Que si l'impiété conduit à l'immoralité, si elle se traduit en actes répréhensibles, qu'on applique les lois pénales. La sentence portée contre Vanini ne précise aucun crime; c'est comme athéiste qu'il fut condamné à l'horrible supplice que nous venons de décrire. Chose affreuse! on ne peut pas même affirmer que le malheureux fût athée. Il y a dans son Amphithéâtre une ode à Dieu, que Herder a traduite, pour faire honte aux persécuteurs. Dans d'autres ouvrages, Vanini professe un panthéisme de la plus mauvaise espèce, confondant Dieu et le monde, non pas en montrant, comme Spinoza, Dieu partout dans le monde, mais en faisant du monde un être éternel, vivant de sa propre vie, un dieu. Le philosophe italien avait la passion de la propagande; il prêchait son panthéisme en pleine rue aux écoliers, dit-on. On l'accuse d'avoir professé que l'amour et la crainte de Dieu étaient pure fantaisie et ignorance du peuple, qu'il fallait fouler aux pieds toute crainte ou espoir d'une vie future; que le sage devait vivre à sa guise, en ébranlant et en ruinant la religion du pays, mais sans compromettre sa personne. Nous rapportons à dessein tout ce que l'on a dit de mal de Vanini, pour montrer dans leur inanité les excuses des persécuteurs. En supposant toutes ces accusations prouvées, on n'y trouverait pas aujourd'hui un délit, pas même une contravention de police. Leibniz dit que Vanini méritait d'être enfermé jusqu'à ce qu'il fût devenu prudent. Mais l'imprudence n'est pas un crime. Que reste-t-il donc de l'odieuse procédure du parlement de Toulouse, de ce parlement qui un siècle plus tard condamna les Calas? Il reste un crime, c'est celui des juges.

Vanini mourut en philosophe. Le Mercure de France lui rendit

cette justice: « Vanini, dit-il, mourut avec autant de constance, de patience et de volonté qu'aucun autre homme que l'on ait vu. Car, sortant de la conciergerie, content et alègre, il prononça ces mots en italien : « Allons gaîment mourir en philosophe. » On lit dans le procès-verbal de l'exécution que le bon religieux qui l'assistait, essaya de l'émouvoir, « en lui montrant le crucifix et en lui représentant les sacrés mystères de l'incarnation, et passion admirable de Notre Seigneur; » mais que « ce tigre enragé, et opiniâtré en ses fausses maximes méprisa tout, et ne le voulut jamais regarder. » Nous le demandons : qui était dans le vrai, le bon religieux qui parlait de mystères imaginaires, ou le philosophe athée qui les niait? Cependant c'est au nom de la prétendue vérité révélée que Vanini fut condamné à un horrible supplice! Ce n'est pas même le supplice du libre penseur qui est ce qu'il y a de plus affreux dans cette tragédie, c'est le fanatisme cruel des juges. Nous allons transcrire le récit du président de la Cour, pour que les hommes du dix-neuvième siècle apprennent jusqu'à quel point l'intolérance abrutit les croyants:

<< Je l'ai vu, quand sur la charrette on le conduisait au gibet, se moquant du franciscain qui s'efforçait de fléchir la férocité de cette âme obstinée. Il rejetait les consolations que lui offrait le moine, repoussait le crucifix qu'il lui présentait, et insulta au Christ en disant : « Lui, à sa dernière heure, sua de crainte; moi, je meurs sans effroi. » Il disait faux, car nous l'avons vu, l'âme abattue, démentir cette philosophie dont il prétendait donner des leçons. Au dernier moment, son aspect était farouche et horrible, son âme inquiète, sa parole pleine de trouble, et quoiqu'il criât de temps en temps qu'il mourait en philosophe, il est mort comme une brute. Avant de mettre le feu au bûcher, on lui ordonna de livrer sa langue sacrilége au couteau: il refusa. Il fallut employer des tenailles pour la lui tirer, et quand le fer du bourreau la saisit et la coupa, jamais on n'entendit un cri plus horrible; on aurait cru entendre les mugissements d'un bœuf qu'on tue. »

Écoutons les réflexions que Cousin fait sur ce récit : « En vérité, ce qui nous pénètre ici d'horreur, c'est peut-être moins encore l'atroce supplice de Vanini que la manière dont Gramond le raconte. Quoi! un infortuné, coupable de résoudre le problème du monde à la façon d'Aristote, plutôt qu'à celle de Platon, est

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