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Dieu! Ce n'est pas nous qui faisons cette remarque, c'est un écrivain judicieux du dernier siècle. Louis XIV eut des accès de dévotion au milieu de ses excès, et sa dévotion se manifestait régulièrement par des édits de persécution. « Ce n'est pas un fait isolé, dit Rulhière, il se renouvela quatre fois; le dessein de convertir les huguenots suivit chaque fois les accès et les intermittences de sa piété (1). »

Quel égarement du sens moral! Qui vicia à ce point la conscience du jeune roi? Ceux-là mêmes qui étaient chargés de la guider et de l'éclairer. Que l'on ne crie point à la calomnie. Il n'en pouvait être autrement. Louis XIV était d'une ignorance extrême, surtout en matière de religion. Qui lui apprit qu'on fait son salut en persécutant? L'Église. Qui lui enseigna que le premier devoir des princes est de tirer le glaive de la justice contre les hérétiques? L'Église. Il y avait à la cour du roi très chrétien un confesseur jésuite. C'est le révérend père Le Tellier, qui, au témoignage d'un homme de cour, «< persuada le roi que sa conscience serait déchargée de tous ses péchés, s'il rendait à la religion sa pureté, en abolissant les protestants et les jansénistes (2). » Voilà à quoi sert la confession! Les confesseurs du roi, au lieu d'éclairer sa conscience, la faussaient, et ils la faussaient dans l'intérêt de leur Église. Que l'on dise encore après cela que le catholicisme est le seul élément moral de notre société! Oui, en tant que sa domination n'est pas en cause. Mais où l'ambition cléricale ne se glisse-t-elle point?

Nous avons encore une autre accusation à porter contre l'Église. Louis XIV fut trompé, disent ses apologistes. S'il était égoïste, il n'était pas cruel. Le préambule même du funeste édit qui révoqua celui de Nantes, constate que le roi avait été induit en erreur : on y lit que « la meilleure et la plus grande partie de ses sujets de la religion prétendue réformée avaient embrassé le catholicisme. >>> C'était une contre-vérité. Mais qui furent les coupables? Ceux qui avaient intérêt à tromper Louis XIV pour lui arracher la révocation. Nous lisons dans les Mémoires du duc de Noailles : «< On exagéra au roi l'étendue de sa puissance; on lui persuada que sa

(1) Rulhière, Éclaircissements sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes, pag. 118. (2) Mémoires de Maurepas, t. I, pag. 34.

volonté absolue pouvait s'exercer en matière de religion, comme en toutes les autres, sans trouver d'autre obstacle qu'un vain bruit de murmures qui se dissiperait bientôt (1). » Qui furent ces flatteurs, ces empoisonneurs? Nous avons d'avance répondu à la question; nous avons entendu le clergé de France dans les occasions solennelles où il parlait à son roi, lui tenir le langage de l'adulation, lui dire qu'il était le héros invincible, à qui Dieu avait donné la mission de détruire l'hérésie. Nous venons d'apprendre par Saint-Simon que les évêques se vantaient de leurs prétendues conquêtes, des conversions extorquées par les dragons. Les dragons ne figuraient pas dans les mémoires que l'on mettait sous les yeux de Louis XIV: c'était la grâce de Dieu, c'était la piété du roi, c'était la puissance de sa parole qui faisaient rentrer les réformés dans le sein de l'Église. L'accès du trône, dit Rulhière. fut ouvert seulement aux acclamations du fanatisme et aux insinuations de la flatterie (2). Faut-il demander qui est le plus coupable, le prince qui écoute les flatteries ou les flatteurs?

Louis XIV, avant de prendre une décision définitive, voulut conférer avec les personnes les plus instruites et les mieux intentionnées du royaume. Dans un conseil de conscience particulier, où furent admis deux théologiens et deux jurisconsultes, il fut décidé, d'abord que le roi, par toutes sortes de raisons, pouvait révoquer l'édit d'Henri IV; puis que, si Sa Majesté le pouvait licitement, elle le devait à la religion et au bien de ses peuples (3). Ce furent les légistes qui trouvèrent mille raisons qui permettaient au roi de manquer à la parole de son aïeul. Leur tâche était facile. Sous l'ancienne monarchie, il n'y avait qu'une loi fondamentale, c'était le bon plaisir du roi si veut le roi, si veut la loi. C'est le régime des Césars, et sous ce régime, tout ce que le roi fait est licite. Les théologiens, sont les grands coupables, non pas les deux hommes qui furent appelés pour éclairer la conscience de Louis XIV et qui l'aveuglèrent, mais toute l'Église, tout le catholicisme qui n'a cessé de prêcher aux rois que leur devoir était d'employer la puissance qu'ils tenaient de Dieu, pour ramener les hérétiques dans le sein de l'Église.

(1) Mémoires de Noailles, dans la Collection de Petitot, t. LXXI, pag. 245.

(2) Rulhière, Éclaircissements, pag. 211.

(3) Cardinal de Beausset, Histoire de Bossuet, liv. XI.

Ajoutons, et c'est le plus grave enseignement qui résulte de cette triste histoire, que l'Église est intolérante par essence et que de l'intolérance elle passe à la persécution aussi souvent qu'elle trouve des instruments de son ambition immortelle. Ces instruments sont l'ignorance et la superstition. Si la conscience de Louis XIV avait été éclairée par la libre pensée, il n'aurait pas eu besoin d'un conseil pour savoir que, loin de pouvoir révoquer l'édit de Nantes, son devoir était de l'étendre. Veillons donc à ce que l'Église ne puisse s'appuyer sur l'ignorante crédulité des peuples et des princes. Elle-même nous apprend qu'elle est incapable de maintenir les hommes dans les voies de la vérité. En faisant appel à la puissance de Louis XIV pour détruire l'hérésie, n'avouait-elle pas son impuissance? On lit dans une lettre de Fléchier à l'archevêque de Paris, concernant les nouveaux convertis«< La prédication, la raison, la dispute, les conférences, et tous les offices de la charité et de la sollicitude pastorale n'avancent guère leur conversion, s'ils ne sont soutenus de la crainte des rois et des ordonnances des princes (1) ». Quel aveu! C'est l'abdication du pouvoir spirituel. Si l'Église qui se prétend en possession de la vérité révélée, est impuissante à la répandre, n'est-ce pas une preuve certaine que sa prétention est une usurpation, fondée sur l'ignorance? Que l'État s'empare du pouvoir spirituel ! que ce ne soit plus pour aveugler les esprits, mais pour les éclairer! Et le meilleur moyen de les éclairer, c'est de leur rendre la liberté que l'Église leur a ravie.

§ 3. L'Église et la liberté de penser

No 1. L'Eglise et les libres penseurs

Nos constitutions proclament que l'homme a la liberté la plus absolue de manifester sa pensée. C'est plus qu'un droit, c'est un devoir. Notre premier devoir n'est-il pas de chercher la vérité et d'agir d'après nos convictions? Eh bien, ce droit, ou ce devoir, l'Église ne l'a jamais reconnu, et elle ne peut pas le reconnaître. Selon la doctrine catholique, l'homme n'a pas besoin de chercher

(1) Fléchier, OEuvres, t. IV, 2° partie.

la vérité, elle est toute trouvée, c'est l'Église qui la possède; il n'a qu'à faire ce qu'elle commande, et il sera sûr de faire son salut. Mais que feront ceux qui ne croient pas que l'Église soit l'organe de la vérité? Depuis la révolution du seizième siècle, il y a des peuples entiers qui ont déserté le catholicisme; dans le sein même des nations restées fidèles à Rome, il y a des légions de libres penseurs qui contestent plus que l'autorité de l'Église, qui attaquent le christianisme traditionnel et qui soutiennent que Dieu ne révèle point aux hommes la vérité toute faite, mais qu'il leur donne pour mission de la chercher. Est-ce que ceux qui sont en dehors de l'Église n'ont pas le droit de penser librement? N'ont-ils pas le devoir de régler leur vie d'après les croyances qu'ils se forment sur la destinée humaine?

Écoutons la réponse du plus modéré des apologistes. L'abbé Bergier veut bien admettre la liberté de penser, mais il ne veut pas que l'on puisse manifester sa pensée. Il dit que la liberté absolue d'exprimer ses opinions est un libertinage d'esprit, de cœur et de conduite (1). Quelle profonde ignorance chez des prêtres qui se disent les organes de la vérité éternelle! Ils ne se doutent même pas que le premier devoir que Dieu nous impose, c'est d'être vrais. Si l'homme ne peut pas être empêché de penser, n'est-ce pas aussi un devoir pour lui de conformer sa vie à ses convictions? Ou veut-on qu'il se soumette, dans ses paroles et dans ses actions, à une règle qu'il croit fausse, qu'il répudie, qu'il méprise? C'est cependant à cela qu'aboutit la doctrine catholique. Ainsi ces maîtres de vérité, ces disciples de Jésus-Christ professent, que dis-je, ils imposent l'hypocrisie, le plus détestable des vices, le seul que le Christ a combattu avec passion, avec violence!

Quel sera le sort des libres penseurs qui ne voudront pas plier devant cette dégradante tyrannie? Bergier répond que le gouvernement doit réprimer cette licence, ce libertinage (2). L'abbé du dix-huitième siècle n'ose pas dire la vraie pensée de l'Église. Elle avait un moyen d'agir par voie préventive, la censure et la destruction des livres dangereux. Mais la censure était un remède insuffisant. L'Église en faisait tous les jours l'expérience. Elle

(1) Bergier, Dictionnaire de théologie, au mot Tolérance. (2) Idem, Dictionnaire, au mot Gouvernement.

avait usé au moyen age d'un remède plus énergique, en envoyant les libres penseurs au bûcher; si l'inquisition n'empêcha pas la pensée d'être libre, elle maintint au moins la domination du clergé. Quand, au seizième siècle, il éclata une révolution religieuse, l'Église aurait bien voulu que l'on procédât contre Luther, comme au treizième on avait procédé contre les philosophes panthéistes et contre les sectaires. Heureusement que le réformateur trouva un appui chez les princes; l'Église regretta amèrement cette indulgence coupable: elle prêcha, par l'organe de ses papes, le feu aux hérétiques, et elle se promit bien de pratiquer celte affreuse doctrine. Elle immola les libres penseurs, pour détruire la libre pensée, et lorsqu'elle ne les immolait pas, elle brisait leur existence; elle tuait l'âme, en laissant vivre le corps.

L'on revendique aujourd'hui pour l'Église l'initiative de toutes les libertés. Est-ce aussi à elle que nous devons le libre droit de manifester notre pensée? Il est inscrit dans nos constitutions, mais qui l'a conquise, et contre qui? C'est aux philosophes que nous devons cette liberté, la plus précieuse de toutes, car qu'est-ce que les droits politiques pour les hommes qui n'osent pas penser, ou qui n'osent pas agir comme ils pensent? C'est à peu près comme si l'on décrétait une constitution pour des brutes. N'est-ce pas la pensée qui distingue l'homme de l'animal? Et y a-t-il une pensée sans liberté? Gloire aux philosophes qui ont lutté pour la liberté de penser! Honneur surtout à ceux qui ont souffert et qui sont morts pour la conquérir! Ils se sont trompés, disent les défenseurs de l'Église, ils ont enseigné des erreurs sur Dieu, sur l'homme et sa destinée. Eh! qu'importent leurs erreurs? Ce ne sont pas les doctrines que nous avons à apprécier; c'est le droit d'exprimer hautement ce que l'on pense, fût-ce une erreur. Parmi ces lutteurs, il y en a qui sont morts martyrs de leur croyance; et comment appellerons-nous ceux qui ont fait périr les libres penseurs sur le bûcher? Si les philosophes sont les martyrs de la libre pensée, l'Église en est le bourreau.

1. Bruno.

Entré tout jeune dans l'ordre de Saint-Dominique, Giordano Bruno déserta le couvent, quand sa raison s'ouvrit à la lumière de la vérité. Voilà son premier crime aux yeux de l'Église. C'est un

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