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la leçon donnée en 1650. «Les rois CHRÉTIENS sont OBLIGÉS d'employer TOUTE L'AUTORITÉ QU'ILS ONT REÇUE DE DIEU, pour s'OPPOSER à l'erreur, quand elle se forme, et pour la Détruire, lorsqu'elle est formée. » La destruction de l'hérésie, tel est l'éternel refrain des remontrances du clergé. Il avoue « qu'une malheureuse nécessité a forcé les rois à donner quelque intervalle à la JUSTICE». La persécution, l'abolition de la liberté de conscience est donc une œuvre de JUSTICE! Voilà comment l'Église éclaire la conscience des princes. Elle y ajoute une leçon d'hypocrisie : « Les hérétiques restent nos prochains, dit-elle, quoiqu'ils ne soient plus nos frères (1). » Qu'est-ce à dire ? L'Évangile veut que nous aimions notre prochain comme nousmêmes. Si les réformés sont les prochains des hauts prélats, c'est qu'ils les embrassent dans leur charité. Si donc ils demandent des mesures de violence pour convertir les calvinistes, c'est pure charité. Les dragonnades! œuvre de charité. Les enfants arrachés à leurs parents! charité. Les cadavres exhumés et traînés sur la claie! charité.

En 1660, nouvelle assemblée du clergé, nouvelles remontrances, et toujours la même charité : « L'Église s'adresse à Votre Majesté pour effacer jusqu'au vestige des malheurs que la secte de Calvin a causés depuis tant d'années dans vos provinces. » S'il ne doit pas rester une trace de l'hérésie, c'est donc que tous les hérétiques seront ou convertis ou exterminés. Les hauts prélats vont-ils se faire missionnaires de la parole de Dieu? Du tout: « Quand il s'agit de la conservation de la vraie foi, la puissance royale y doit paraître dans toute l'étendue de la puissance souveraine. » Nous transcrivons textuellement. Croirait-on en lisant ce galimatias, que l'on est au siècle de Louis XIV, dans ce siècle où les femmes écrivaient mieux qu'aujourd'hui les académiciens? Ce sera donc le roi qui convertira les huguenots : « l'assemblée espère, ditelle, que Sa Majesté purgera son État d'une hérésie qui lui ravit l'honneur de son ancienne piété (2). » Que veut le clergé? que demande-t-il à son jeune prince? Les réformés ne faisaient qu'user d'un droit; mais ce qui pour nous autres laïques est un droit, est aux yeux de l'Église une œuvre de violence et de force. Et qui est

(I) Mémoires du clergé, t. XIII, pag. 674.

(2) Ibid., t. XIII, pag. 696.

violenté? On ne s'en douterait jamais. Ce sont les catholiques! Ne dirait-on pas le loup de la fable qui accuse l'agneau? Nous allons voir ce que le clergé entend par droit. Il prie le roi d'éloigner les réformés de toutes les charges. Il avoue que l'édit de Nantes admet ceux de la religion réformée à les exercer. Mais qu'importe? << Tel privilége est contraire au droit divin et canonique, » c'est à dire au droit de l'Église. Nous y voilà. L'Église seule a un droit, elle le tient de Dieu, tout ce qui y est contraire, est nul. Le clergé invoque même le droit civil contre l'édit de Nantes. Mais où va-t-il puiser ce droit civil? Dans les constitutions de Constantin, de Gratien et de Valentinien! Ainsi il se prévaut de vieilles lois de persécution contre un édit de tolérance. N'est-ce pas raisonner comme le loup de la fable? Cependant ces outrecuidantes prétentions l'emportèrent, parce que le clergé tenait les cordons de la bourse; il n'accorda le subside, que quand le commissaire du roi apporta à l'assemblée les déclarations et arrêts que l'Église réclamait. Qui est donc l'auteur de cette longue et odieuse persécution qui précéda la révocation de l'édit de Nantes? Est-ce le roi qui signe, ou est-ce le clergé qui extorque sa signature (1)?

Quand le clergé a obtenu tout ce que, pour le moment, il pou vait désirer, il se confond en adulations: « Vous donnez avec empressement, dit-il à son jeune roi, le secours de votre autorité souveraine pour détruire l'hérésie. C'est à Votre Majesté à qui le ciel a réservé la gloire de ce grand ouvrage, à votre zèle incomparable à qui nous devons les triomphes et les victoires que nous avons commencé de remporter sur les ennemis de la religion. » Mais ce n'est qu'un commencement. Le clergé espère bien que le reste viendra : « Le roi a commencé sa belle manière d'humilier les ennemis de l'Église, pour rétablir Jésus-Christ sur son trône... Le ciel vous a donné le pouvoir de commander aux vents et aux tempêtes... Vous avez résolu d'imiter la conduite de Dieu... On vous doit regarder comme le HÉROS INVINCIBLE, destiné dans les coNSEILS ÉTERNELS pour détruire le monstre redoutable de l'hérésie. » Décidément, ce n'est pas Louis XIV qui est le coupable. On ne peut pas même lui reprocher son orgueil démesuré n'est-ce pas l'Église, cet organe infaillible de Dieu, qui lui a appris, quand il

(1) Lanfrey, l'Église et les Phi'osophes au dix-huitième siècle, pag. 9-12.

était encore tout jeune, qu'il est un héros invincible, et que le ciel lui a donné une mission. Quelle mission! Grand Dieu! celle de violer des engagements sacrés, de détruire la liberté de conscience que Jésus-Christ est venu fonder! Cela s'appelle rétablir le Christ sur son trône! Le clergé termine en signifiant à Louis XIV ses volontés pour l'avenir: « Ce que vous avez fait jusqu'ici a donné à l'hérésie les frayeurs et les transes de l'agonie. Nous espérons que vous travaillerez avec la même application et la même ferveur pour la faire expirer entièrement (1). »

Ce qui révoltait le plus le clergé, c'est qu'il y avait des catholiques qui osaient embrasser la réforme. Cependant cette apostasie était l'exercice d'un droit garanti par l'édit de Nantes. L'Église ne voulait pas de ce droit, parce qu'il impliquait la liberté de conscience, et cette liberté était à ses yeux l'abomination de la désolation. Dans chacune de ses assemblées, le clergé implore l'autorité du roi contre ces catholiques libertins. Après les apostats, c'étaient les relaps qui excitaient sa colère. Les édits prononçaient le bannissement. Cela ne suffit pas à la charité du clergé, il lui faut une vengeance contre ceux qui retournent à leur vomissement après avoir abjuré; il lui faut les galères et les cadavres traînés sur la claie. Toutes ces peines infamantes pour l'exercice d'un droit! Et l'on s'étonne que la notion du juste et de l'injuste se soit effacée chez le grand roi ! N'est-ce pas l'Église, appelée à guider sa conscience qui l'a égarée? Le clergé ne demande encore en 1665 que des mesures de détail; mais il dit bien clairement quel est le but qu'il poursuit : « Votre Majesté achèvera sans doute ce qu'elle a si heureusement commencé. Elle a non seulement désarmé l'hérésie, mais nous pouvons dire que, s'il reste encore quelques têtes à ce monstre, ce ne sont pour vous que des têtes languissantes qui peuvent à la vérité faire quelques efforts impuissants; mais que nous verrons retomber quand il vous plaira, sans espoir de se relever ni de renaître (2). >>

Louis XIV, quelle que fût son ignorance, n'était pas, à beaucoup près aussi stupidement fanatique que son clergé. Il subissait la violence qu'on lui faisait, pour obtenir de l'argent. Parfois,

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quand il avait les millions dans son trésor, il lui arrivait de révoquer ses concessions. C'est ce que fit une ordonnance de 1669. De là, grande fureur du clergé; il se crut joué. En 1670, il commença par refuser les subsides. C'est seulement quand le roi lui fit entendre qu'il nourrissait de grands desseins en faveur de la religion, et qu'il lui en donna sa parole royale, que l'assemblée lui accorda ce qu'il demandait. Mais elle eut bon soin de venir en aide à la parole royale, en formulant nettement ses désirs, disonsmieux, ses ordres : « Qu'il ne soit pas permis aux catholiques d'abjurer leur religion. - Que les temples bâtis à proximité des églises soient transférés ailleurs. - Que les réformés soient tenus de contribuer à l'entretien des églises et des écoles catholiques. Qu'il soit permis aux curés, assistés d'un échevin, de se présenter DE FORCE chez les réformés malades. » Ce qui exaspérait toujours le clergé, c'est l'apostasie. « Ces misérables déserteurs mériteraient d'être ÉCRASÉS sous les carreaux et sous les foudres de la colère de Dieu, puisque ce sont des vipères qui déchirent cruellement les entrailles de leur charitable mère » (1). Quelle douce charité!

Nous sommes en 1680. Louis XIV est en révolte contre le saintsiége; il médite la déclaration schismatique de 1682. Mais plus il se montre hostile à Rome, plus il redouble de sévérité à l'égard des hérétiques. Ses édits sont une suite de violences, les plus odieuses de toutes, parce qu'elles prennent la couleur de la légalité. Que dit le clergé de la contrainte que le roi exerce sur les consciences?<«< Les moyens doux et innocents dont vous vous servez, sire, avec tant de succès pour attirer les hérétiques dans le sein de l'Église, sont dignes de la bonté et de la sagesse de Votre Majesté, et conformes en même temps aux intentions du Bon Pasteur qui conserve toujours des entrailles de miséricorde pour ses brebis égarées. » Cependant, il reste encore à faire quelque chose. L'édit de Nantes subsiste, nominalement du moins. Écoutons les vœux de l'Assemblée. « Déjà, sire, vous avez comblé la plus grande partie des ardents souhaits que le clergé de France avait formés inutilement depuis plus d'un siècle. Nous n'en doutons pas, vous nous ferez bientôt voir ces temps si ardemment désirés où la véritable religion n'aura plus d'ennemis à combattre en

(1) Mémoires du clergé, t. XIII, pag. 759. — Lanfrey, pag. 16-19.

France, où il n'y aura plus qu'un pasteur et qu'un bercail. Nous savons, sire, qu'on est souvent obligé de suspendre les plus saintes entreprises, pour attendre le moment favorable de les exécuter. Mais Votre Majesté est maintenant au dessus de ces ménagements; C'EST VOTRE VOLONTÉ SEULE QUI FAIT LA DESTINÉE DES EMPIRES. Il est certain que les entreprises les plus SAINTES sont toujours les plus héroïques (1). » Quel touchant spectacle que celui de l'Église de France, versant à pleines mains le poison de la flatterie dans l'âme d'un prince dont l'orgueil ne connaissait déjà plus de bornes ! Comme cela est digne de disciples du Christ! Comme c'est une chose morale, de faire appel à la toute-puissance du despotisme pour détruire ce qui restait de liberté de conscience!

Le moment de la révocation approche. En 1685, le langage du clergé révèle des espérances fiévreuses. Il appelle Louis XIV le Restaurateur de la foi, l'exterminateur de l'hérésie. « Serait-il juste, grand Dieu, serait-il même possible que celui qui a toujours triomphé quand il a combattu contre les peuples qui n'étaient que des ennemis particuliers, ne pût pas achever de détruire entièrement ceux qui tant de fois ont été tout ensemble et ses ennemis et les vôtres! » Si l'on demandait à ces déclamateurs mitrés, quand les réformés ont été les ennemis de Louis XIV? Si on leur demandait qui sont les vrais ennemis de Dieu, les persécuteurs ou les persécutés? C'est cependant avec ce verbiage que le clergé allumait le fanatisme. Lui-même s'étonne « qu'après tout ce qu'il a obtenu du roi, il ait encore quelques demandes à faire. » Que demande-t-il donc ? Le coup de grâce : « Que défenses soient faites à ceux de la religion prétendue réformée de faire exercice de leur religion dans les terres et domaines du roi (2). » En réalité, l'édit de Nantes était déjà anéanti; le révérend père d'Avrigny l'avoue. << Par une foule d'édits, donnés l'un sur l'autre, il ne restait guère au commencement de 1684, que l'ombre et le nom de celui de Nantes (3). » Mais l'ombre seule de la tolérance était odieuse au clergé; il lui fallait la destruction complète des ennemis de Dieu.

Le clergé se réunit deux mois avant la révocation. Écoutons son

(1) Mémoires du clergé, t. XIII, pag. 788, 782.
(2) Ibid., t. XIII, pag. 795. — Lanfrey, pag. 28.
(3) D'Avrigny, Mémoires chronologiques, année 1685.

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