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selle: « Si Louis attaque l'hérésie par tant de moyens, ce n'est pas qu'il craigne pour son trône, tout est tranquille à ses pieds, et ses armes sont redoutées par toute la terre; mais c'est qu'il aime ses peuples, et que se voyant élevé par la main de Dieu à une puissance que rien ne peut égaler dans l'univers, il n'en connaît pas de plus bel usage que de la faire servir à guérir les plaies de l'Église. >>

Après les paroles enflammées de l'aigle de Meaux, il est inutile de rapporter celles de Fléchier et de Massillon; elles paraîtraient pâles et effacées. Il y avait au dix-septième siècle, une secte qui se prétendait et qui était réellement plus orthodoxe que les orthodoxes, c'étaient les sévères disciples de saint Augustin. Arnauld était à la tête des jansénistes, au moment où Louis XIV sévissait contre les réformés. Les persécutions dirigées contre son parti, n'auraient-elles pas dû lui ouvrir les yeux sur l'injustice, sur le crime de l'intolérance? Mais il n'y a rien d'aveugle comme la foi. Arnauld écrit en 1685 que l'on a employé contre les réformés des voies un peu violentes, mais il ne les croit pas injustes. Il ajoute, dans une autre lettre, et ces paroles vont tout droit à l'adresse des apologistes modernes : « L'exemple des donatistes peut autoriser ce qu'on a fait en France contre les huguenots... Car les lois impériales n'allaient pas seulement à réprimer la violence des circoncellions, et à les punir, mais à éteindre entièrement cette secte. » C'est l'intolérance, dans toute son horreur que le grand Arnauld approuve. Ce même roi qui, selon les jansénistes, faisait un acte de justice, en exterminant les hérétiques, pourchassa de pauvres religieuses comme des criminelles, il persécuta les meilleurs chrétiens qu'il y eût dans son royaume; Arnauld fut obligé de fuir, et il mourut dans l'exil. Si la révocation de l'Édit de Nantes est juste, la destruction de Port-Royal l'est aussi, et il n'y a point de sauvage intolérance que l'on ne puisse justifier.

La compagnie de Jésus avait la réputation d'une indulgence excessive, mais elle n'en témoignait guère aux réformés. Comment eût-elle été tolérante à l'égard des sectes, alors qu'elle avait été fondée pour leur faire une guerre à mort! Dans un sermon prêché devant Louis XIV, Bourdaloue se fait l'interprète des desseins de la Providence : « On attribue les prospérités dont Dieu vous comble aux vertus royales et aux qualités héroïques qui vous

ont si hautement distingué entre tous les monarques de l'Europe; et moi, portant plus loin mes vues, je regarde ces prospérités comme les récompenses éclatantes du zèle de Votre Majesté pour la vraie religion, de sa fermeté et de sa force à réprimer l'hérésie, à exterminer l'erreur, à abolir le schisme, à rétablir l'unité du culte de Dieu (1). » Si la persécution se fait pour la cause de Dieu, il faut bien que Dieu protége les persécuteurs. Rien de plus logique. Mais ne serait-ce point la cause de l'Église, la cause de son ambition que Louis XIV défendait, en croyant défendre la vraie foi? La vraie cause de Dieu n'est-elle pas la liberté de conscience? L'intolérance est le crime de l'Église; c'est par son esprit de domination qu'elle périra, et la royauté périra avec elle. Tel est le jugement que Dieu prononça au dix-huitième siècle sur les prêtres et sur les rois.

Au dix-septième siècle la société laïque était aussi intolérante que l'Église. Il n'y a pas de témoignage plus affligeant de la cruauté religieuse que les lettres de madame de Sévigné : femme du monde, elle nous dira quels étaient les sentiments des hautes classes. Elle écrit au comte de Bussi que Bourdaloue va prêcher à Montpellier, << où tant de gens se sont convertis sans savoir pourquoi. Le père Bourdaloue, dit-elle, le leur apprendra et en fera de bons catholiques. Les dragons ont été de très bons missionnaires jusqu'ici : les prédicateurs qu'on envoie présentement, rendront l'ouvrage parfait. Vous aurez vu, sans doute, l'édit par lequel le roi révoque celui de Nantes. Rien n'est si beau que tout ce qu'il contient, et jamais aucun roi n'a fait et ne fera rien de plus mémorable ». Quelques semaines plus tard, elle écrit à un président : « Tout est missionnaire maintenant; chacun croit avoir une mission, et surtout les magistrats et les gouverneurs de province, soUTENUS DE QUELQUES DRAGONS: c'est la plus grande et la plus belle chose qui ait été imaginée et exécutée (2).» Il ne faut pas oublier que madame de Sévigné était une sincère catholique, tant soit peu janséniste, et aimant à parler théologie. Ainsi le catholicisme endurcit jusqu'au cœur aimant des femmes ! Après cela, il ne faut plus s'étonner de rien. Un écrivain, frondeur de son métier, La Bruyère, dans le pompeux éloge qu'il fit de

(1) Bourdaloue, Sermon pour la Nativité de Jésus-Christ.

(2) Madame de Sévigné, Lettre du 28 octobre 1685. (T. II, pag. 302, édit. de Lavigne.); Lettre du 24 novembre 1685, au président de Montceau. (lb., pag. 304.)

Louis XIV, le célèbre « pour avoir banni un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté (1) ». Il n'y a pas jusqu'au bonhomme Lafontaine qui ne fit des vers en l'honneur d'un édit qui sera la tache éternelle de celui qui l'a signé : son héros, dit-il, « veut vaincre l'erreur; » grâce à lui, « la vérité règne dans toute la France (2) »>.

On le voit, l'aveuglement était général. Cependant il y avait des hommes dont la pensée était libre. Même au moyen âge, au milieu des ténèbres intellectuelles, il y eut des voix qui prêchèrent la tolérance et la tolérance n'aurait pas trouvé un défenseur dans le siècle de Louis XIV! Ceux qui pensaient librement devaient se cacher, sous le règne du grand roi. Il y en eut un seul qui osa parler, c'est Vauban. L'illustre guerrier présenta à Louvois un mémoire où il exposait les funestes conséquences qu'avait eues la révocation de l'édit de Nantes : il proposa hardiment de rétracter tout ce qui avait été fait (3). Vauban ne fut pas écouté. Cela n'empêche pas que son nom ne soit plus grand que celui du roi qu'on appelait grand, et qui n'avait de grand qu'une monstrueuse vanité.

II

On dira que, si tout le monde était coupable, personne ne l'est, pas même Louis XIV. Mais qui avait perverti l'opinion publique, au point qu'elle approuvait ce que l'histoire flétrira comme un crime? Qui aveugla le roi, lequel, quoique despote, n'était cepenpendant pas cruel? C'est là le vrai coupable. Ce coupable, faut-il le nommer? C'est l'Église. On le nie, on accuse les libres penseurs de calomnie, quand ils disent que le catholicisme pervertit le sens moral. Mais les défenseurs de l'Église ont beau nier les faits, les faits subsistent. Nous allons les rapporter : c'est le clergé de France qui nous fournira des témoignages contre lui-même.

Le clergé gallican s'assemblait régulièrement pour voter des subsides, faible contribution qu'il consentait d'assez mauvaise grâce pour les besoins de l'État. Dans ces occasions solennelles, il

(1) La Bruyère, Caractères, chap. x.

(2) La Fontaine, à M. de Bonrepaux, intendant de la marine, 28 janvier 1687. (3) Rulhière, Éclaircissements, pag. 257.

adressait au roi des remontrances, c'est à dire qu'il demandait ce qu'il jugeait nécessaire à l'intérêt de l'Église et de la religion. Ce qu'il voulait, il l'imposait, car les rois avaient toujours besoin d'argent, et le clergé n'accordait ses millions qu'après qu'il avait obtenu ce qu'il désirait. Que demanda-t-il à Louis XIV? La destruction de l'hérésie. Et pourquoi ne cessa-t-il de réclamer contre les concessions que Henri IV avait faites aux huguenots? Etait-ce pour rétablir l'unité de la France, menacée par l'esprit séditieux des réformés? Rulhière fait à ce sujet une remarque singulière, que l'histoire confirme : « Tant que les calvinistes pouvaient être redoutés, les demandes du clergé contre eux avaient quelque modération; elles tendirent à une persécution ouverte aussitôt qu'ils devinrent des citoyens paisibles (1). » Nous allons laisser la parole au clergé c'est une fatigante répétition des mêmes plaintes et des mêmes exigences, mais l'enseignement qui sortira de cette enquête n'en sera que plus irréfutable, c'est la condamnation de l'Église, la condamnation de ses défenseurs.

Nous sommes en 1651; Louis XIV sort à peine de l'enfance. Le clergé lui fait une leçon de catéchisme; et qu'est-ce qu'il lui enseigne? La doctrine de saint Augustin sur le devoir qui incombe aux princes d'extirper l'hérésie. Il y avait dès lors de mauvais chrétiens qui soutenaient que «< la véritable religion n'emploie pour sa propagation que les armes spirituelles de l'instruction et de la persuasion. » Les évêques ont soin de prémunir l'esprit du jeune prince contre cette détestable doctrine : «< elle est très dangereuse, dit-il, et reconnue fausse par saint Augustin. » Si la conversion qui cherche à persuader, à convaincre, en agissant sur la raison et sur le cœur, n'est pas la bonne, c'est dire que la violence vaut mieux. Telle est bien la pensée du clergé. « Il invoque fortement la puissance du roi contre la haute insolence où s'est élevée l'hérésie depuis quelques années. » Est-ce que les réformés s'étaient révoltés? avaient-ils violé l'édit de Nantes? Du tout. Les évêques les accusent « d'usurper des priviléges qu'ils avaient autrefois extorqués des rois. » Quel galimatias! Peut-il être question d'usurpation là où il y a exercice d'un droit? Depuis quand la liberté s'appelle-t-elle privilége? Il n'est pas vrai, comme le dit le clergé,

(1) Rulhière, Éclaircissements, pag. 47.

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que Henri IV consentit l'édit de Nantes sous la loi tyrannique de la nécessité. Henri IV était vainqueur quand il signa l'édit, et non vaincu. Le clergé ajoute que l'hérésie a justement perdu ces priviléges, par l'effort des armes de Louis XIII pour le châtiment de ses fréquentes rébellions. On le voit dès le début du règne de Louis XIV, les évêques lui apprennent que l'édit de Nantes n'existe plus. Cependant Richelieu l'avait respecté ! Le grand cardinal avait à lui seul plus de sens que tout le clergé de France. Puisque l'édit de Nantes n'existait plus, les huguenots retombaient sous l'application des lois portées par les conciles et par les princes orthodoxes contre l'hérésie. Les évêques s'écrient, en s'adressant à leur jeune roi : «< Où sont les lois anciennes qui déclarent l'hérésie un crime? qui bannissent les hérétiques du commerce ordinaire des hommes? » Voilà les leçons de fanatisme que le clergé donne à un prince dont l'éducation avait été tellement négligée qu'il savait à peine lire et écrire!

Quelles sont les conclusions de la sainte assemblée? « Nous ne demandons pas, dit-elle, à Votre Majesté, qu'elle bannisse à présent de son royaume cette malheureuse liberté de conscience qui détruit LA VÉRITABLE LIBERTÉ DES ENFANTS DE DIEU. » Ainsi la liberté de conscience détruit la liberté des catholiques. L'aveu est précieux. Il faut donc, pour que le catholicisme soit libre, que la conscience soit esclave! Cette liberté ne serait-elle pas la domination, la tyrannie d'une Église exclusive? Pour le moment, le clergé ne demande pas l'extermination de l'hérésie. Pourquoi? « Parce qu'il ne juge point que l'exécution en soit facile. » Question de temps et de circonstances! « Nous souhaiterions au moins, continuent les hauts prélats, que le mal ne fit point de progrès, et que si votre autorité ne le peut étouffer TOUT D'UN COUP, elle le rendit languissant, ET LE FÎT PÉRIR PEU A PEU par le retranchement et la diminution de ses forces (1). »

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Voilà, dès 1650, le programme du règne de Louis XIV, pour l'extirpation de l'hérésie. Ce n'est pas le roi qui le trace; il ne gouverne pas encore. C'est le clergé qui le lui enseigne, et qui aura soin de le lui imposer, en lui extorquant, à chacune de ses assemblées, quelque édit contre les réformés. En 1654, il répète

(1) Mémoires du clergé, t. XIII, pag. 578, 601.

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