Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

humaniste il fut condamné à mort, pour avoir dit qu'il y avait du bon dans les écrits des réformateurs, et pour avoir cru que l'inquisition détruisait la liberté de penser. A ce titre, les trois quarts et demi des chrétiens seraient des séditieux aujourd'hui et mériteraient la mort. Telle fut la charité d'un pape, modèle des vertus chrétiennes! Il y a si peu de charité chez les hommes d'église, qu'on les surprend faisant d'horribles plaisanteries sur les bûchers où périssaient des milliers d'innocents. Un cardinal, confesseur de Charles-Quint, lui écrit que le bûcher était la meilleure rhubarbe. Voilà comment les oints du Seigneur développent l'humanité chez les princes! Il y a encore quelque chose de plus affreux que ces bouffonneries de bourreau, c'est le masque de charité dont se couvraient des hommes de sang. L'inquisition ne condamnait pas les malheureux convaincus d'hérésie, elle intercédait au contraire pour les coupables. Oui, les inquisiteurs recommandaient les hérétiques à l'indulgence des juges laïques. Telle était la formule. Mais que signifiait-elle? L'abbé Fleury nous dit qu'elle était de style. Malheur au magistrat qui aurait ignoré ce que l'indulgence veut dire dans la bouche des gens d'Église! S'il n'appliquait pas la peine de mort prononcée par la loi, il était lui-même poursuivi comme hérétique (1)! Voilà la charité de l'Église !

Il ne reste qu'une excuse pour toutes ces horreurs; c'est que l'Église était intolérante dans les siècles de barbarie et qu'elle a cessé de l'être dans les temps modernes. Mais cette justification implique un blâme, elle implique la condamnation de l'Église dans le passé. En effet, c'est elle qui a rendu la société intolérante; les Grecs et les Romains ne l'étaient pas, les Barbares pas davan-. tage; si la société chrétienne l'est devenue, c'est grâce aux enseignements du christianisme traditionnel. Il n'est pas même vrai de dire que l'Église soit devenue tolérante; la philosophie et la civilisation lui ont imposé la tolérance; aussi longtemps qu'elle a régné elle a été intolérante. Nous avons un triste témoignage des sentiments qui l'animent, dans la révocation de l'édit de Nantes.

(1) Voyez mes Études sur les Guerres de religion, pag. 54, 72, 56.

No 3. La révocation de l'édit de Nantes

I

Les défenseurs de l'Église ne sont pas plus embarrassés des dragonnades que de la croisade contre les Albigeois. Ils ont un moyen facile de justifier leur sainte mère : « Nions, nions toujours, il en restera quelque chose. » Telle est la tactique, qui met l'Église à l'abri de toutes les accusations des libres penseurs. Malheureusement, il y a la presse qui constate les faits, et qui par cela même dévoile les fraudes pieuses des apologistes. Si nous avions l'honneur de siéger dans un congrès catholique, nous dirions: << L'ignorance et la bêtise sont la base la plus ferme de notre foi et de notre domination. Nous les cultivons de notre mieux. Mais les temps sont durs. Jadis, quand nous avions le monopole de l'enseignement, nous n'enseignions rien du tout, par mille bonnes raisons; il me suffira de vous en rappeler une : c'est que nous-mêmes nous savions à peine lire et écrire. C'était le bon temps. Bienheureux sont les simples d'esprit! A ce titre tout le monde faisait son salut, en suivant notre exemple. Aujourd'hui, hélas! nous sommes forcés de nous instruire, et d'instruire les autres. En vain nous réduisons l'instruction au strict nécessaire, témoin les frères ignorantins; il faut au moins que nous apprenions à lire dans nos écoles. Eh bien, voilà le péché originel! Quand on sait lire, on veut lire. On lit donc. Dès lors, adieu nos pieux mensonges! Je dis que la lecture nous tuera, il faut un remède héroïque au mal. Il n'y en a point d'autre que l'abolition de l'imprimerie. Impossible! me crie-t-on de toutes parts. Mais ne brillonsnous pas dans le domaine de l'impossible? Inutile de vous citer nos saints mystères. N'avons-nous pas une bulle récente qui a promulgué une nouvelle impossibilité, et le monde catholique n'a-t-il pas applaudi à l'Immaculée Conception? N'a-t-il pas illuminé pour témoiguer la joie qu'il éprouvait d'être dans les ténèbres? Donnons-lui cette jouissance en plein. Abolissons l'imprimerie! Alors nous pourrons faire accroire à nos troupeaux tout ce que nous voudrons, au besoin qu'il fait clair à minuit. Nous dirons que l'Église n'a

jamais persécuté ces damnés d'hérétiques, car c'est là le grand grief que l'on a contre nous. Et qui nous contredira? Personne »>.

Il ne faudrait rien moins que la destruction de tous les livres, pour donner raison aux apologistes qui défendent la révocation de l'édit de Nantes. Louis XIV, dit Bergier, avait le droit de révoquer un édit que Henri IV avait été forcé d'accorder. Au dix-septième siècle, le roi était le plus fort, tandis que, au seizième, la royauté dut subir la loi qu'on lui imposait. Les huguenots persévéraient dans leur esprit d'indépendance et de révolte. Louis XIV fit bien de les abattre, alors qu'il avait la puissance en main. Oui, ajoute l'abbé Rohrbacher: « De tous les biens publics, le plus grand, sans aucun doute, est l'unité nationale. Louis XIV pouvait révoquer l'édit de Nantes, pour procurer un si grand bien à la France (1). » Les abbés aiment beaucoup la politique, tout prend une couleur politique dans leurs mains. Ne dirait-on pas des disciples de Machiavel? Leur principe est le même le but justifie les moyens; sauf cependant que le but de Machiavel était la liberté de l'Italie, et le but des abbés est la domination de l'Église. Nous allons rétablir la vérité. Nous n'invoquerons pas les témoignages des libres penseurs, nous citerons les paroles de Louis XIV et des hommes les plus éminents qui applaudirent à son intolérance; ils nous diront tout le contraire de ce que disent aujourd'hui les défenseurs de l'Église. La leçon sera dure; nous espérons qu'elle profitera, sinon aux abbés, du moins à ceux qui seraient tentés de les écouter.

Louis XIV, dit-on, était libre de révoquer un édit que Henri IV avait été forcé d'accorder. Or, voici ce que Louis XIV écrit en 1666 à l'Électeur de Brandebourg : «Qu'il prend soin qu'on maintienne ses sujets de la religion prétendue réformée dans tous les priviléges qui leur ont été concédés; qu'il y est engagé par sa parole royale ». Les abbés disent que les réformés étaient toujours séditieux; les abbés mentent. Ce n'est pas nous qui les accusons, c'est Louis XIV. Le roi continue dans sa lettre à l'Électeur: » Qu'il y est engagé aussi par la reconnaissance qu'il a des preuves qu'ils lui ont données de leur fidélité pendant les derniers mouvements (2) ». L'histoire confirme pleinement ces paroles. Écoutons un écrivain

(1) Bergier, Dictionnaire de théologie, àu mot Gouvernement. — Rohrbacher, Histoire de l'Église, t. XXVI, pag. 324.

(2) Bayle, Commentaire philosophique, t. I, pag. 42.

aussi judicieux que modéré : « Au moment où Louis XIV commença de régner par lui-même, dit Rulhière, les protestants ne formaient plus une faction dans l'État. Ils avaient ployé avec les autres sujets, et même, ce qui mérite d'être remarqué et ce qui ne l'a pas été encore, ils avaient ployé avant tous les autres sujets sous le joug de l'autorité souveraine (1)». Enfin, les abbés prétendent que Louis XIV révoqua l'édit de Nantes pour donner l'unité à la France. Nous allons voir qu'il n'en est rien.

Tout ce qui avait une fibre catholique battit des mains quand Louis XIV, de son propre aveu, manqua à sa parole royale, pour enlever aux huguenots le bienfait de la tolérance. C'est la seule excuse que l'on puisse invoquer pour le roi de France. Il était bien l'organe de l'opinion générale, quand il révoqua l'édit de Nantes. On lit dans Rulhière : « Non seulement le clergé, mais les parlements, les cours souveraines, les universités, les corps municipaux, les communautés des marchands, les artisans se livraient en toute occasion à leur pieuse animosité. Dès qu'on pouvait, dans quelque cas particulier, enfreindre l'édit de Nantes, abattre un temple, restreindre un exercice, ôter un emploi à un protestant, on croyait remporter une victoire sur l'hérésie. On imputait hautement à la malédiction de Dieu sur eux, toute espèce de malheur public (2) ».

Cet état de l'opinion nous explique un fait qui, au premier abord, paraît étrange c'est que, dans un siècle qui, sous des formes littéraires, préludait à la philosophie, il n'y a pas eu une voix pour protester contre la révocation de l'Édit de Nantes. Il y a un concert d'applaudissements dont l'unanimité afflige l'historien, car parmi ceux qui applaudirent à cette violation d'un droit sacré, se trouvent les plus grands génies qui honorent la France, hors de l'Église aussi bien que dans l'Église. Que tous ceux qui tenaient à l'Église, de près ou de loin, aient approuvé un acte d'intolérance, il ne s'en faut pas étonner : le roi, en persécutant les hérétiques, ne faisait que suivre les conseils, qu'appliquer la doctrine des Bossuet et des Fléchier. Il est bon de rappeler les paroles de ces illustres écrivains, car ils offrent un grave enseignement. On

(1) Rulhière, Éclaircissements sur la révocation de l'édit de Nantes, pag. 20. (2) Idem, ibid., pag. 36.

ne cesse de nous dire : Vous refusez de croire ce que croyait Bossuet. Répondons à ces louangeurs d'un passé qu'ils ignorent qu'eux-mêmes ne croient plus ce que croyait l'évêque de Meaux. Nous invoquons à notre tour l'autorité de Bossuet; lui est franchement intolérant, il ignore la distinction hypocrite entre l'intolérance dogmatique et l'intolérance civile, il applaudit à la révocation de l'édit de Nantes parce qu'elle anéantit l'hérésie; il nie qu'il y ait eu aucun motif politique dans cette cruelle persécution, il élève jusqu'aux cieux ce que nous flétrissons comme un crime. Écoutons ses paroles enthousiastes; c'est un vrai chant de triomphe :

<< Ne laissons pas de publier ce miracle de nos jours: faisons-en passer le récit aux siècles futurs. Prenez vos plumes sacrées, vous qui composez les annales de l'Église agiles instruments d'un prompt écrivain et d'une main diligente, hâtez-vous de mettre Louis avec les Constantin et les Théodose. » L'éloge est significatif. Bossuet exalte Louis XIV pour avoir été persécuteur, comme le furent les empereurs chrétiens. L'aveuglement du grand orateur est tel, qu'il emploie toute la pompe de son style à célébrer la conversion subite, miraculeuse des huguenots, alors que cette prétendue conversion était l'œuvre d'une odieuse violence: « Nous avons vu une hérésie invétérée tomber tout à coup : les troupeaux égarés revenir en foule, et nos églises trop étroites pour les recevoir tout calme dans un si grand mouvement : l'univers étonné de voir dans un événement si nouveau la marque la plus assurée comme le plus bel usage de l'autorité... Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis. Poussons jusqu'au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Charlemagne : Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques; c'est le digne. ouvrage de votre règne (1). » Que penser de cette déclamation, quand on sait que les évêques délibérèrent s'il fallait contraindre à aller à la messe ces réformés qui revenaient en foule! Bossuet n'était donc qu'un rhéteur éloquent! Constatons qu'il ne songeait pas à voir une mesure politique dans la révocation de l'Édit de Nantes. Il affirme tout le contraire dans son Discours sur l'histoire univer

(4) Bossuet, Oraison funèbre de Michel Le Tellier. (OEuvres, t. VII, pag. 746.)

« ZurückWeiter »