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reconnaissaient à l'État? Celui qui dit : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. C'était proclamer au moins une liberté, en face de l'État, celle de la conscience. Les disciples du Christ profitèrent bien mal de l'enseignement de leur maître. Ils demandèrent la liberté tant qu'ils furent persécutés. Du moment où Constantin donna à l'Église une place dans l'État, les chrétiens se firent à leur tour persécuteurs. Bergier dit que ce furent les princes. « Les empereurs chrétiens, pour leur tranquillité et celle de leurs sujets, pour bannir enfin les crimes du paganisme, firent des lois coactives en faveur de la religion chrétienne. Quand ils auraient péché contre l'humanité et contre la saine politique, ce qui n'est point, il faudrait encore prouver qu'ils y ont été excités par les lois de l'Évangile on ne le prouvera jamais (1). » Non certes, mais on prouvera, et ce sont les évêques gallicans, Bossuet à leur tête qui le disent, que l'Église demanda, qu'elle sollicita des lois de contrainte contre les païens et contre les hérétiques. Qu'est-ce donc que cet appel à l'Évangile? On le comprendrait dans la bouche d'un protestant; mais chez un catholique! Bergier lui-même est obligé d'avouer que les évêques suggérèrent aux empereurs l'emploi de la force, qu'ils exaltèrent jusqu'aux cieux le zèle de Constantin et de ses successeurs. Ces évêques avaient donc oublié leur Évangile, et c'est mal à Bergier de le leur avoir rappelé. N'est-ce point faire cause commune avec les philosophes?

Telle n'est point l'intention de notre abbé. Il demande «< si les évêques avaient tort d'applaudir à des lois qui mettaient les chrétiens à l'abri des persécutions sanglantes qu'ils avaient essuyées pendant trois cents ans?» C'est demander si les chrétiens ont dû se faire persécuteurs, pour cesser d'être persécutés. Sont-ce là les enseignements que Jésus-Christ donna à ses apôtres ? Il les chargea de prêcher la bonne nouvelle, pour sauver les âmes. Il ne leur dit pas d'être des ministres de mort. Ici Bergier nous arrête, et avec sa bonne foi habituelle, il nie que Constantin ait ordonné sous peine de mort aux païens de renoncer au paganisme (2). Non, Constantin n'ordonna pas cela. Mais ce que lui ne fit point, est-ce

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. X, pag. 423, ¡ss.

(2) Idem, ibid., t. X, pag. 425.

que l'un des successeurs ne l'aurait pas fait? Théodose défendit à ses sujets d'immoler désormais aucune victime en l'honneur des dieux; il déclara l'acte du sacrifice, crime de haute trahison, et le punit de mort. Voilà une de ces lois auxquelles les évêques applaudirent; parmi ces évêques nous trouvons saint Augustin et il ne fut pas le seul : « Qui de nous, s'écrie-t-il, n'a pas approuvé les lois qui abolissent les sacrifices, bien que la peine soit celle de la MORT? » Est-ce la seule loi de sang qui ait été portée contre les non croyants? Théodose, auquel les chrétiens donnent le nom de grand, déclare qu'il voudrait expulser les manichéens de la terre entière. Ses successeurs trouvèrent le moyen de purger le monde de cette secte dangereuse : la MORT (1)!

Que devient en présence de ces témoignages l'excuse banale que les hérétiques et les païens étaient des séditieux? Ils l'étaient si peu, que nous serions tenté de leur reprocher leur obéissance aux lois des empereurs. Il y eút, il est vrai, une secte qui se livra à des excès, celle des donatistes en Afrique. Mais est-ce à cause de leurs crimes que les empereurs sévirent contre eux? La question seule implique une absurdité. Il ne fallait pas de lois de persécution pour réprimer le brigandage, les lois ordinaires suffisaient, et si elles étaient insuffisantes, les empereurs en pouvaient faire de nouvelles. Non, c'est l'hérésie, c'est le schisme qu'Honorius voulait frapper; cela est si vrai qu'il ne parle pas même des violences auxquelles se livraient les donatistes, il ne parle que de sa volonté d'abolir une secte détestée, il prescrit des peines contre les sectaires qui ne rentreront pas dans le sein de l'Église. Voilà ce que Bayle avait déjà répondu aux chicanes des persécuteurs (2). Ce qui n'empêcha point Bergier de les répéter.

II

Les Barbares arrivent. Une nouvelle ère s'ouvre. Ce sont les peuples de race germanique qui gouvernent. Dès qu'ils sont convertis, ils deviennent persécuteurs. Savaient-ils avant leur con

(1) Voyez mes Études sur le christianisme, pag. 325, 326.

(2) Bayle, Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ: Contrains-les d'entrer, t. II, pag. 14. (Edit. in-12.)

version ce que c'était qu'un infidèle? ce que c'était qu'un juif, un hérétique ou un orthodoxe? Qui le leur a appris? Qui leur a inspiré l'intolérance? Les faits répondent à notre question. Montesquieu, le plus chrétien des philosophes, qualifie d'effroyable la législation des Visigoths contre la malheureuse race d'Israël; et le mot n'est point trop dur. Les lois interdisent aux juifs de célébrer leurs mariages, leur sabbat, leur pâque, et de pratiquer la circoncision, sous peine d'être lapidés ou brûlés vifs. Qui est l'auteur de ces lois de sang? Les conciles. Qui fut chargé de leur exécution? Le clergé. On vante l'humanité de l'Église; elle ne demande point le sang des infidèles, dit-on, elle désiré leur salut. Hypocrisie ! Nous préférons la sauvage intolérance des conciles espagnols; ils craignent l'indulgence des laïques; ils prononcent l'anathème contre ceux qui n'exécuteront pas la loi : « Que celui qui ne l'observe point soit infâme sur cette terre, et qu'il brûle toujours dans l'enfer avec le diable pour compagnon!» Les juifs ne se convertirent point, et ils ne furent point exterminés. Preuve, dira-t-on, de la longanimité de l'Église. Non, si elle les souffrit, si elle leur permit de vivre, c'est qu'une prophétie prédisait leur conversion finale. En attendant qu'elle s'accomplit, quelle était la destinée des juifs? Ils doivent être les esclaves des chrétiens, à cause de leur crime inouï. C'est un pape qui le dit, et c'est un pape qui répète que la servitude des déicides sera perpétuelle. Innocent III fait un devoir aux princes de les retenir dans l'esclavage: il faut, dit-il, que par leur misérable condition ils attestent que le sang du Christ est sur eux et sur leur postérité (1).

Au douzième siècle, les bûchers se dressent. Qui les allume? qui condamne les hérétiques au feu ? C'est l'État, dit-on, ce n'est point l'Église. Hypocrisie ou calomnie ! L'hérésie est-elle un crime civil ou religieux? Qui a appris aux princes que les hérétiques étaient pires que des voleurs, pires que des assassins? Des évêques, des saints. Qui a enseigné aux laïques que les sectaires étaient coupables de lèse-majesté divine? Un pape, Innocent III. Qui a signalé ces grands criminels à la vindicte de la justice? Le premier concile qui s'occupa des hérésies, ordonna au pouvoir séculier de sévir contre les sectaires. Innocent III menaça d'ex

(1) Voyez mes Études sur la féodalité et sur le catholicisme, pag. 481, s. 487, s.

communier ceux qui n'exécuteraient pas ses ordres; il alla jusqu'à dépouiller de leurs terres les princes qui par leur inaction se faisaient les complices de l'hérésie. Les rois sont les exécuteurs des hautes œuvres de l'Église. Voilà le rôle de l'État dans les persécutions (1).

Après avoir immolé les malheureux sectaires, l'Église les calomnie. Ils ont été poursuivis, dit Bergier, et livrés à la justice séculière, non parce qu'ils s'écartaient de la foi orthodoxe, mais parce qu'ils attaquaient les fondements mêmes de l'ordre social (2). Autant de mots, autant de mensonges. Nous avons les sentences rendues contre les hérétiques; il n'y est question que d'erreurs de foi. Nous avons le récit des chroniqueurs, tous clercs, tous ennemis jurés de l'hérésie; ils disent que les manichéens, les plus mal famés des sectaires, étaient des hommes considérés pour leur sagesse, pour la sainteté de leur vie et pour leur charité. Quels étaient les crimes pour lesquels on les envoyait au bûcher?«< Ils enseignaient que le baptême ne remet point les péchés, que Jésus-Christ n'est point né de la Vierge, que l'eucharistie est une invention humaine. « Ce crime est celui des libres penseurs, que dis-je? c'est celui des protestants avancés. Ainsi des milliers de malheureux furent immolés, par l'unique raison qu'ils rejetaient des dogmes que les chrétiens mêmes ont fini par répudier! Faut-il demander quel fut le rôle de l'Église dans les persécutions? Ce n'est pas elle qui prononçait les sentences de mort, non. Mais pourquoi livrait-elle les hérétiques au bras séculier? Ignorait-elle la mort qui les attendait? Non seulement elle savait qu'on les brûlerait, mais c'est pour qu'ils fussent brûlés, qu'elle les livrait à la justice civile (3).

III

Il y a pis que les bûchers, il y a les guerres de religion. Les défenseurs de l'Église ont un moyen facile de la justifier; ils nient. Cependant il y a des guerres qui s'appellent saintes. Qui leur a donné

(1) Voyez mes Études sur la Papauté et l'Empire, pag. 430, ss.
(2) Bergier, Dictionnaire, aux mots Albigeois et Tolérance.
(3) Voyez mes Études sur la Papauté et l'Empire, pag. 449, 450.

ce nom? L'Église. Qui a promis des indulgences aux combattants? L'Église. Et comment peut-on faire son salut en tuant? C'est que l'on tue les ennemis de Dieu. Bergier fait vraiment pitié quand il dit que la croisade contre les Albigeois fut allumée par leurs trahisons, leur perfidie et leurs parjures (1). Le pape est-il dans l'usage de prêcher une croisade contre les traîtres, les perfides et les parjures? Il y a sans doute quelque équivoque sous roche; l'abbé entend par traîtres, ceux qui trahissent leur Dieu, le Dieu de Rome, bien entendu. C'est là ce qué le concile d'Albi reproche aux Albigeois, mais il le dit ouvertement; au moyen âge on ne se cachait point pour persécuter, on s'en faisait gloire. Les crimes des Albigeois n'étaient rien que des erreurs de dogme; il n'y en a jamais eu d'autres à la charge des hérétiques (2). A défaut de témoignages, le simple bon sens nous le dirait. Le pape a-t-il jamais songé à prêcher une guerre sainte contre les brigands, les adultères, les assassins? ll devrait commencer par la prêcher dans le patrimoine de saint Pierre !

Nous arrivons aux guerres religieuses du seizième siècle. C'est ici que les défenseurs de l'Église triomphent. Rousseau dit que les guerres de religion avaient leur cause à la cour. Bergier s'empare de cet aveu, et proclame d'un ton d'oracle « que le principal motif de ces guerres n'était pas la religion. » En prenant le contre-pied de cette affirmation, on aura la vérité. Voltaire déjà donna cette leçon d'histoire au défenseur de l'Église (3). Les persécutions, dit-il, précédèrent les intrigues de cour. Il y a une réponse plus accablante à faire; c'est l'Église qui, dès le principe de la Réformation, provoqua la violence contre les protestants. Quand une diète fut convoquée à Worms, le légat du pape dit à l'empereur qu'il n'y avait qu'un moyen de réprimer la révolte de Luther, la force; que l'Église ayant parlé par l'organe de son chef, tout ce qui restait à faire à la puissance séculière, c'était d'exécuter la sentence du pape. Tel était le langage de Léon X. Adrien, qui lui succéda, dit de lui-même que son caractère le portait à la douceur plutôt qu'à la sévérité; mais quand il s'agit de réprimer l'hérésie, Rome n'a qu'une doctrine, la violence: « Lorsqu'une maladie

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. X, pag. 484.

(2) Idem, Dictionnaire, au mot Guerres de religion.

Voltaire, Conseils raisonnables à M. Bergier. (OEuvres, t. XXX, pag. 372.)

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