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appliqua aux apôtres ce passage du psalmiste: « Leur voix s'est fait entendre par toute la terre, et leur parole a été portée jusqu'aux extrémités du monde » (1).

Ne dirait-on pas un ennemi du christianisme accumulant les témoignages les plus sacrés pour le décréditer ?Il ne pourrait s'y prendre mieux. Si Jésus-Christ a prédit qu'incontinent après sa mort, l'Évangile serait prêché par toute la terre, il s'est trompé, comme quand il a prédit que la fin du monde était prochaine : les deux erreurs setiennent, puisque le monde doit finir quand l'Évangile sera prêché par toute la terre. Nous avons dit ailleurs quelle est la réalité des choses; elle est le contre-pied de ces magnifiques prédictions (2). Saint Paul doit avoir eu une singulière idée de l'étendue de la terre, pour qu'il ait osé affirmer à plusieurs reprises que «l'Évangile était ouï de toute créature qui était sous le ciel. » Il y aura bientôt dix-neuf cents ans que l'apôtre des Gentils a prononcé ces paroles, et elles sont encore aujourd'hui une fiction! On s'explique ces exagérations, quand on voit dans le christianisme un établissement humain; l'enthousiasme de la foi excuse l'hyperbole. Mais tel n'est pas, tel ne peut pas être le sentiment des chrétiens : tout ce que dit Jésus-Christ, tout ce que dit l'apôtre, est pour eux la vérité absolue. Voilà pourquoi Bossuet n'hésite pas à répéter ces contre-vérités (3). Après dix-sept siècles, il lui était cependant facile de s'assurer que l'Évangile n'était pas ouï de toute créature qui est sous le ciel. C'est un point de fait. Mais les faits ont tort quand ils contredisent la révélation; on nie donc les faits, ou on les arrange de façon à sauver la divinité de la religion chrétienne.

Les libres penseurs se sont emparés du prétendu miracle qui faisait l'admiration de Bossuet, et ils l'ont tourné contre le christianisme. C'est parce que le christianisme est une religion divine, disent les apologistes, qu'il s'est répandu avec une promptitude si merveilleuse dans le monde. Il faut croire, dit Voltaire, que cette divinité est une illusion, puisque l'extension miraculeuse de l'Évangile n'est qu'une fable. Si réellement Dieu était descendu du ciel pour prêcher la vérité aux hommes, concevrait-on qu'il eût

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(1) Paul, Rom., I, 8; Coloss., I, 5-6-23; Rom., X, 18.

· (2) Voyez mon Etude sur le christianisme.

(3) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. (OEuvres, t. IX, pag. 218, 249.)

laissé la plus grande partie du genre humain en proie à l'erreur? <<< Cela paraît une fatale contradiction à nos faibles esprits; mais ce n'est pas à nous d'interroger la Providence, nous ne devons que nous anéantir devant elle (1). » La conclusion moqueuse du grand railleur ne dit pas encore tout ce qu'il y a à dire. Le christianisme, après s'être si miraculeusement répandu, a été détruit, là où il régnait, par le mahométisme; il perd chaque jour par l'indifférence et par l'incrédulité. Comprend-on quel'imposteur l'emporte sur le Fils de Dieu! Comprend-on que le démon soit vainqueur du Christ!

Les apologistes du dix-huitième siècle n'ont plus la même confiance dans le miracle de la prédication évangélique; c'est moins dans la promptitude que dans la difficulté de la conversion qu'ils cherchent le prodige. Bergier insiste sur les préjugés des Juifs et des Gentils que le christianisme naissant eut à vaincre, et qu'il ne put vaincre que parce que Dieu même en est l'auteur. Les Juifs attendaient, il est vrai, un Messie, mais c'était un conquérant, qui les délivrerait du joug des Romains, qui les comblerait de gloire et de prospérité; et voilà qu'ils croient à un Messie, né dans une crèche et mort sur une croix! De leur côté, les païens haïssaient les Juifs et les méprisaient. Pouvait-on croire qu'ils écouteraient les Juifs venant leur prêcher un Dieu crucifié? De deux choses l'une, dit notre apologiste: ou la révolution s'est opérée en vertu des preuves de la divinité de Jésus-Christ; ou un vertige a saisi tout à coup les Juifs et les Gentils : ils ont pris de nouvelles idées et de nouvelles mœurs, sans aucun motif (2).

Voilà encore une fois une histoire de fantaisie. Ne dirait-on pas que les Juifs, par une inspiration subite de la grâce, laissèrent là leurs espérances et leur ambition, pour suivre le Fils de l'Homme? Peu de Juifs, au contraire, se convertirent, en sorte que le miracle se tourne de nouveau contre le christianisme. S'il y avait des preuves si évidentes de la divinité du Christ, comment se fait-il que les témoins de tous ces prodiges refusèrent de croire en celui qui les opérait sous leurs yeux? Il y a quelque chose de miraculeux, c'est l'incrédulité des Juifs; mais ce miracle-là ne prouve

(1) Voltaire, Dictionnaire philosophique, au mot Christianisme (t. XXX, sect. I, pag. 415.) (2) Bergier, Traité de la vraie religion, t. VIII, pag. 328.

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guère pour la divinité du christianisme. Quant aux Gentils, ceux qui étaient réellement imbus des préjugés de la civilisation ancienne, ne se convertirent pas : Jamais, s'écrie l'empereur Julien, un vrai Hellène n'adorera le Dieu des Galiléens. Ce fut l'invasion des Barbares qui fonda définitivement le christianisme.

Au tableau imaginaire des apologistes, les libres penseurs opposent la réalité des choses. Bien qu'ils chargent les couleurs, y a plus de vérité dans l'histoire, telle que Voltaire la raconte, que dans les fictions de l'abbé Bergier : « Quand les premiers Galiléens, dit-il, se répandirent parmi la populace des Grecs et des Romains, ils trouvèrent cette populace infectée de toutes les traditions absurdes qui peuvent entrer dans les cervelles ignorantes qui aiment les fables des dieux déguisés en taureaux, en chevaux, en cygnes, en serpents, pour séduire des femmes et des filles. Les principaux citoyens n'admettaient pas ces extravagances; mais la populace s'en nourrissait, et c'était la canaille juive qui parlait à la canaille païenne. Il n'était pas difficile à des énergumènes juifs de faire croire leurs rêveries à des imbéciles qui croyaient des rêveries non moins impertinentes. L'attrait de la nouveauté attirait des esprits faibles, lassés de leurs anciennes sottises, et qui couraient à de nouvelles erreurs, comme la populace des foires, dégoûtée d'une ancienne farce qu'elle a trop souvent entendue, demande une farce nouvelle (1). »

Une erreur qui remonte au fondateur du christianisme contribua à répandre la religion chrétienne. Jésus-Christ prêcha que la fin du monde était instante. On le nie en vain; s'il ne l'a pas prêché, il faut dire qu'aucun de ses apôtres ne l'a compris, car tous ont eu cette croyance. Voltaire va nous raconter comment ces rêveries agirent sur un peuple ignorant et superstitieux. «< Le monde allait être détruit; le royaume des cieux était ouvert; Simon Barjone en avait les clefs, la terre était prête à se renouveler; la Jérusalem céleste commençait à être bâtie, comme de fait elle fut bâtie dans l'Apocalypse, et parut dans l'air pendant quarante nuits de suite. Toutes ces grandes choses augmentèrent le nombre des croyants. Ceux qui avaient quelque argent le donnèrent à la communauté, et on se servit de cet argent pour

(1) Voltaire, Examen important de mylord Bolingbroke, chap, xii. (OEuvres, t. XXX, pag. 48.)

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attirer des gueux au parti, la canaille étant d'une nécessité absolue pour établir toute nouvelle secte. Car les pères de famille qui ont pignon sur rue sont tièdes; et les hommes puissants qui se moquent longtemps d'une superstition naissante, ne l'embrassent que quand ils peuvent s'en servir pour leurs intérêts, et mener le peuple avec le licou qu'il s'est fait lui-même (1). »

Le tableau n'est pas flatté; s'il paraît injurieux au christianisme, c'est que, par une habitude d'enfance, nous y attachons une sainteté qui n'existe que dans notre imagination. Puisque c'était un établissement humain, pourquoi les passions et les erreurs des hommes n'y auraient-elles pas joué un rôle? La nouvelle religion eut pour elle le succès. Voilà à quoi se réduit le miracle de sa propagation dans le monde. Faut-il conclure de là à sa divinité? La conséquence serait dangereuse, car elle pourrait être invoquée au profit de religions rivales. C'est ce que remarqua, au dixhuitième siècle, un savant théologien qui combattit les ennemis du christianisme. Le mahométisme ne se répandit-il pas dans les trois parties du monde avec une rapidité bien plus grande que la religion chrétienne? On le récuse à cause de la violence qui entraîna la conversion des vaincus. Le reproche n'est pas fondé; mais peu importe. Il y a une autre religion qui compte autant de sectateurs que l'Evangile et qui est tout aussi pacifique que lui : en faut-il conclure que le bouddhisme est divin? Et le mosaïsme ne s'est-il pas maintenu malgré les violences, malgré les persécutions les plus atroces? La conclusion de Mosheim est qu'il faut abandonner cette preuve de la divinité du christianisme (2). Le pieux écrivain fait ce sacrifice de très bonne grâce; pourquoi s'attacher à des témoignages contestables, quand on peut s'appuyer sur les miracles et les prophéties?

V

Quoi qu'en dise Mosheim, les apologistes reculaient. Les reuves que nous venons d'énumérer paraissaient jadis décisives; saint

(1) Voltaire, Histoire de l'établissement du christianisme, chap. x. (OEuvres, t. XXX, pag. 500.)

(2) Mosheim, Geschichte der Feinde der christlichen Religion, t. I, pag. 294.

Augustin disait qu'il n'en fallait pas d'autres pour convaincre un · homme raisonnable. Aujourd'hui on les passe sous silence, ou on ne les mentionne que pour mémoire. Le même sort n'attend-il pas les preuves par excellence de la révélation chrétienne, les prophéties et les miracles? Au dix-septième et au dix-huitième siècle, les orthodoxes étaient d'accord pour célébrer ces invincibles témoignages. Pascal dit, dans son langage lapidaire, « que les miracles sont fondement »; mais « la plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties » (1). Bossuet insiste aussi sur les prophéties; il les appelle << la gloire et le fondement de la religion chrétienne. >> << Il les faut considérer, dit-il, comme la partie la plus essentielle et la plus solide de la preuve des chrétiens; »il ajoute, «que ce n'est pas seulement une preuve, que c'est la plus forte de toutes les preuves, une véritable démonstration selon les Pères de l'Eglise (2).» C'était l'opinion commune au dix-huitième siècle, au moins dans le sein de l'Église gallicane : « Les prophéties, dit Calmet, sont la marque la plus incontestable de la vraie religion, puisque c'est le plus surprenant de tous les miracles (3). »

Pourquoi les apologistes attachent-ils plus d'importance aux prophéties qu'aux miracles? Pascal ne répond qu'en partie à notre question. « Je vois plusieurs religions contraires, » dit-il; il en conclut << qu'elles sont toutes fausses excepté une. » C'est dire qu'il ne peut y en avoir qu'une de vraie. Comment distinguer cette religion unique, la seule vraie? « Chacune, continue Pascal, veut être crue par sa propre autorité, et menace les incrédules. » Il est évident que là-dessus on ne peut pas les croire. Pourquoi donc Pascal croit-il que le christianisme est la religion fondée par Dieu ? Parce qu'il y trouve des prophéties accomplies (4). Pascal ne nous dit pas la raison pour laquelle il place les miracles sur l'arrière-plan. Son langage et celui de Bossuet impliquent une certaine défiance à l'endroit des miracles, tandis que chez les Pères de l'Eglise les deux preuves marchent toujours de pair (5). Voilà déjà un fondement qui chancelle; et cela se com

(1) Pascal, Pensées, XXIII, 1; XVIII, 1.

(2) Bossuet, Défense de la Tradition et des saints Pères, liv. m, chap. XXII, XXIII et XXIV.

(3) Calmet, Commentaire sur la Bible, t. XIV, préface, pag. 13.

(4) Pascal, Pensées, XI, 8.

(5) Voyez les témoignages dans Strauss, christliche Glaubenslehre, t. I, pag. 86, ss.

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