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en fait un devoir. De cette manière, elle conserve sa réputation de charité, et elle a aussi le bénéfice de la contrainte. Cela n'est-il pas admirable? Ce qu'il y a de plus admirable, c'est la bêtise des princes qui ont consenti à jouer ce rôle odieux pendant des siècles!

II

Si les princes ont fini par ouvrir les yeux, c'est grâce à la philosophie. On le conteste. On dit que les philosophes ont volé l'hu'manité au christianisme, on prétend que leur philanthropie n'est que la petite monnaie de la charité chrétienne. Pour les libres penseurs du dix-huitième siècle, humanité voulait dire tolérance. Est-ce qu'ils ont emprunté ou volé ce sentiment à l'Église? Mettons en regard un incrédule et un orthodoxe. Voltaire fait une cruelle satire de l'intolérance catholique dans une lettre qu'il suppose écrite au jésuite Letellier, confesseur de Louis XIV, par un révérend père. « Il n'y a plus, dit le correspondant, que cinq cent mille huguenots dans le royaume, quelques-uns disent un million, d'autres quinze cent mille. Comment nous en délivrer? Voici mon humble avis 1° Il est aisé d'attraper en un jour tous les prédicants, et de les pendre tous à la fois dans une même place, non seulement pour l'édification publique, mais pour la beauté du spectacle. 2o Je ferais assassiner dans leurs lits tous les pères et mères, parce que, si on les tuait dans les rues, cela pourrait causer quelque tumulte; plusieurs même pourraient se sauver, ce qu'il faut éviter sur toute chose. Cette exécution est un corollaire nécessaire de nos principes; car, s'il faut tuer un hérétique, comme tant de grands théologiens le prouvent, il est évident qu'il faut les tuer tous. » Voltaire continue à parodier l'intolérance de l'Église. I sent cependant quelque hésitation : « J'avoue, dit-il, que j'ai cru aller un peu trop loin. Je me disais à moi-même : on ne m'en croira pas, on regardera cette lettre comme une pièce supposée. Mes scrupules heureusement ont été levés, quand j'ai lu dans l'Accord de la religion et de l'humanité, page 149, ces douces paroles : L'extinction totale des protestants en France n'affaiblirait pas plus la France qu'une saignée n'affaiblit un malade bien consti

tuẻ (1). » L'abbé, qui a écrit ces horribles paroles, soutenait dans son ouvrage les principes de saint Augustin; il restait fidèle à la tradition constante de son Église. Dira-t-on encore que c'est au christianisme traditionnel que les philosophes empruntèrent leur humanité?

L'abbé qui n'aurait pas reculé devant une saignée pour délivrer la France de la maladie de la réforme, était un enfant terrible: il disait tout haut ce que le gros de l'armée se contentait de penser tout bas. Les prudents, les malins virent qu'il fallait transiger avec l'esprit du siècle. Transiger n'est pas le mot, car l'Église ne cède jamais; son immutabilité le lui défend; mais elle veut bien permettre aux siens de jeter de la poudre aux yeux de ceux qui aiment à se laisser tromper. Un abbé Bergier prit en main la cause de l'Église contre les reproches d'intolérance que lui faisaient les philosophes. A défaut de talent, il avait l'audace qui est le partage des zélés; ces gens ne doutent de rien, parce qu'ils ne savent rien et ne comprennent rien, que leur credo. Notre abbé nia hardiment que l'Église eût jamais persécuté : « C'est une affectation maligne, dit-il, de confondre l'intolérance civile avec l'intolérance religieuse; les moyens qu'ont employés les souverains, pour établir l'unité de religion parmi leurs sujets, avec les moyens dont les ministres de l'Évangile se sont servis pour persuader; la raison d'État qui détermine les rois avec l'esprit des maximes du christianisme (2). » Ainsi l'intolérance civile ou la persécution ne regarde point l'Église, c'est l'affaire des rois, et qui oserait contester aux princes « le droit de protéger la religion par des lois, et d'en punir les infracteurs (3)? >>

Cette apologie est répétée journellement au dix-neuvième siècle. Un illustre prédicateur, Lacordaire, comptant sur l'ignorance de son auditoire, a osé la reproduire en pleine chaire. Oui, ce sont les princes qui ont porté les lois de sang, et ce sont les bourreaux qui les ont exécutées. Mais qui a dicté ces lois aux princes? L'Eglise gallicane vient de nous dire, que ce sont des évêques, des conciles qui les ont sollicitées. Et qui a fait un devoir aux princes de les appliquer? Toujours les évêques et les conciles. Si

(1) Voltaire, Traité de la tolérance, chap. xvII et XXIV. (OEuvres, t. XXVII, pag. 154, 189.) (2) Bergier, Traité de la vraie religion, t. X, pag. 424.

(3) Idem, Dictionnaire de théologie, au mot Intolerance.

donc il y a un coupable dans la persécution, sont-ce les rois qui persécutent, ou est-ce l'Église qui leur prêche, qui leur ordonne l'intolérance, comme le premier de leurs devoirs? Nos catholiques libéraux prétendent que l'Église a toujours professé la tolérance civile, c'est à dire « que toute religion doit être permise, que chaque homme doit être maître d'avoir une religion ou de n'en point avoir. » Qu'en pense l'abbé Bergier? « C'est une absurdité, dit-il, que l'on a osé soutenir de nos jours. » Si la tolérance est une absurdité, il faut dire que l'intolérance civile est l'expression de la vérité et de la justice. C'est ce que dit encore notre abbé : << Il doit y avoir une religion dominante, commandée sous certaines peines. » Commander la religion dominante sous certaines peines, cela ne s'appelle-t-il pas persécuter? La persécution est donc légitime. Bergier ajoute que « la première obligation que la religion impose aux princes, c'est d'empêcher que l'on ne prêche contre elle (1). » Nous voilà en pleine intolérance, enseignée, justifiée, que dis-je? imposée par ceux-là mêmes qui défendent l'Église contre l'accusation d'intolérance. Ce que c'est que d'être défenseur d'une mauvaise cause! On finit par plaider contre soi-même. Vous n'y êtes pas, répond l'abbé Bergier. « Je défie les philosophes de citer un exemple de gens persécutés précisément parce qu'ils avaient des sentiments particuliers sur Dieu et sur son culte, sans avoir péché d'ailleurs en aucune manière contre les lois (2). » Au premier abord, l'on est confondu de tant d'audace. En y regardant de près, on voit que cette apologie est fondée sur une équivoque, c'est à dire sur l'hypocrisie. Ce n'est pas comme hérétiques, dit notre abbé, que les sectaires ont été condamnés au feu, c'est comme séditieux. Mais qu'est-ce que Bergier entend par sédition? Le christianisme, dit-il, vient de Dieu, personne n'a le droit de désobéir à une religion divine; tous ceux qui l'attaquent sont donc des ennemis publics, des séditieux que la société a le droit et le devoir de punir et de réprimer (3). L'abbé français oublie un mot dans son raisonnement; pour le compléter, il faut ajouter que l'Église catholique, apostolique et romaine est l'organe de cette religion divine, que c'est à elle et à elle seule à décider qui s'écarte

(1) Bergier, Dictionnaire de théologie, aux mots Tolérance et Intolérance. (2) Idem, ibid., au mot Intolérance..

(3) Idem, Traité de la vraie religion, t. IV, pag. 15.

de la loi de Dieu, qui est coupable de sédition. Maintenant nous le demandons: que faut-il admirer le plus, la niaiserie de la distinction entre l'hérétique et le séditieux, ou l'hypocrisie qui l'a inspirée? L'Église ne demande pas la punition des hérétiques, comme tels; elle veut seulement que les séditieux soient réprimés. Or il se trouve que tout homme qui s'élève contre l'Église est un séditieux. N'est-ce point dire que tout hérétique est un séditieux? Que devient donc la distinction?

La justification de l'Église se réduit en définitive à une pétition de principe. S'il était vrai qu'il y eût une Église fondée par Dieu, dépositaire de la vérité révélée, s'il était vrai que cette vérité fût une condition de salut, il est évident que l'Église aurait le droit et le devoir de contraindre tout homme à embrasser une foi qui seule peut le sauver. Voilà pourquoi nous disons que le christianisme, en tant qu'il est une religion miraculeusement révélée, est intolérant par essence. Mais la révélation n'est qu'une hypothèse gratuite. Il y a à côté du christianisme des religions qui se disent également divines. Ces prétentions contraires se détruisent l'une l'autre. Qu'on réfléchise un instant aux horribles conséquences qui découlent de la doctrine chrétienne. Pour sauver les âmes, l'Église emploie la violence, et quand elle rencontre de l'opposition, elle immole les séditieux. Le mosaïsme a le même droit contre les séditieux chrétiens. Et qui pourrait contester ce droit et ce devoir au mahométisme contre les séditieux chrétiens et juifs? Voilà les trois révélations à l'œuvre; les bûchers se dressent dans le monde entier. Pour sauver les hommes, on fait partout des sacrifices humains. Quand les bûchers ne suffisent point, on recourt aux exécutions en masse, à des guerres que l'on déclare sacrées, et où l'on fait son salut en tuant. Plus il y aura de foi, et plus il y aura de zèle; la terre entière ne sera qu'une immense boucherie; les hommes s'entre-tueront jusqu'au dernier, le tout. pour leur salut éternel!

No 2. Les faits
I

Les défenseurs du christianisme traditionnel font de l'hypocrisie en pure perte. Pour mieux dire, leur défense tourne contre la

religion chrétienne. Tant que l'on ne parle que devant des enfants et des femmes, ou devant des hommes dont on a eu soin d'aveugler l'intelligence, tout va bien; on pourrait leur faire accroire au besoin que l'Église, loin d'avoir persécuté les non croyants, a été persécutée par eux. Mais pour compléter cette œuvre d'obscurantisme, il faudrait aller plus loin et détruire les témoignages historiques qui donnent un démenti aux apologistes. Que faire? Une fois engagés dans une fausse voie, ils vont jusqu'au bout; entraînés par la nécessité de la défense, et voyant l'impossibilité de se défendre, ils tronquent les faits, ils altèrent l'histoire. Rien de plus logique et de plus naturel. Il s'agit, au fond, de la domination de l'Église. Elle est basée sur une erreur gigantesque, une révélation miraculeuse qui n'a jamais existé; elle s'est consolidée par des faux; maintenant qu'elle menace de s'écrouler, on essaie de la défendre par la falsification de l'histoire. Il nous sera bien facile de justifier cette grave accusation. Notre travail est déjà fait dans le cours de ces Études; il suffit de réunir les preuves éparses.

Les philosophes du dix-huitième siècle reprochaient au christianisme d'avoir inauguré l'ère de l'intolérance et de la persécution. Ils exaltaient la tolérance des païens, ils célébraient les infidèles, pour faire honte à la religion chrétienne. Pour laver l'Église de cette accusation, ses défenseurs se mirent à chercher dans l'histoire ancienne tout ce qu'il y avait de faits d'intolérance et de persécution. Les aveugles! Comme si les crimes de l'antiquité étaient une excuse pour les crimes des chrétiens! Oui, l'intolérance existait avant la venue du Christ, mais chez qui? Là où il y avait une religion qui se prétendait révélée. Chez les Juifs, le zèle était assez haineux pour couvrir la terre de sang et de ruines; heureusement que la force leur faisait défaut. Les Gentils ignoraient cette sainte fureur : si chez eux il y eut des persécutions, ce ne fut pas la religion qui les alluma, mais une fausse conception de la souveraineté. On considérait la puissance souveraine comme absolue; on n'avait aucune idée des droits également souverains de l'homme. Il en résulta que la liberté religieuse fut méconnue, comme toute espèce de liberté. Ce n'était pas intolérance de la foi, mais despotisme de l'État.

Qui s'éleva le premier contre la toute-puissance que les anciens

E

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