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sont pour jamais à la broche, en attendant qu'on trouve leurs corps pour les faire rôtir avec elles (1). »

Voltaire eut les rieurs pour lui. Il écrit au cardinal de Bernis, cardinal aimable qui faisait de petit vers pour madame de Pompadour: «Messieurs de Sorbonne seront sauvés probablement dans l'autre monde, mais ils sont furieusement sifflés dans celui-ci (2).» Voltaire faisait de la philosophie en riant. Il dit lui-même qu'il s'est plû à attaquer souvent l'opinion que tout infidèle est damné, quelles que soient ses vertus et l'innocence de sa vie, et il nous apprend la raison de son insistance; c'est qu'il importe au repos de l'humanité de persuader à tous les hommes qu'un Dieu, leur père commun, récompense la vertu, indépendamment de la croyance, et qu'il ne punit que les méchants. Rien de plus innocent que l'intolérance théologique, si nous en croyons nos modernes apologistes. On serait tenté de les accuser d'hypocrisie, quand on voit les conséquences de cette funeste doctrine. «< Tout non croyant, dit Voltaire, devient un ennemi de Dieu et de notre salut. Il est raisonnable, presque humain, de brûler un hérétique et d'ajouter quelques heures de plus à son supplice éternel plutôt que de s'exposer soi et sa famille à être précipités par les séductions de cet impie dans les bûchers éternels. C'est à cette seule opinion qu'on peut attribuer l'abominable usage de brûler les hommes vivants. Heureusement qu'elle est aussi ridicule qu'atroce, et plus injurieuse à la Divinité que tous les contes des païens sur les aventures galantes des dieux immortels (3). »

Voltaire n'a pas tort de crier contre l'insolence fanatique des gens qui disent: « Nul n'aura de vertus que nous et nos amis. Socrate, Confucius, Marc-Aurèle, Épictète ont été des scélérats, puisqu'ils n'étaient pas de notre communion (4). » Voltaire a raison de s'indigner contre un dogme qui punit des feux éternels de l'enfer des nations entières, dont le seul crime est d'avoir ignoré une révélation, que Dieu ne leur a point fait connaître (5). Qui croirait que des absurdités qui révoltent le sens moral autant que le bon

(4) Voltaire, Première anecdote sur Bélisaire. (OEuvres, t. XLI, pag. 240.)

(2) Idem, Lettre du 16 avril 1667. (OEuvres, t. LIV, pag. 143.)

(3) Idem, préface des Trois Empereurs en Sorbonne. (OEuvres, t. XII, pag. 184.)

(4) Idem, Lettre sur les Français. (OEuvres, t. XLII, pag. 207.)

(5) Idem, le Pour et le Contre. (OEuvres, t. X, pag. 71)

sens, trouvèrent, en plein dix-huitième siècle, des défenseurs dans le sein de la réforme? Un prédicant de Rotterdam prit parti pour la Sorbonne contre les Gentils. Le ministre réformé est mille fois plus hargneux que les théologiens catholiques. Il met un acharnement d'inquisiteur à rechercher tout ce que les anciens ont dit de mal des philosophes; c'est surtout à Socrate qu'il en veut; il envenime le mal, il déguise le bien, le tout pour convaincre le lecteur que le sage d'Athènes et ses pareils méritent de brûler en compagnie de tous les infidèles. Un arminien répondit à ce haineux disciple de Calvin, pour sauver l'honneur de Socrate; il aurait dû dire pour sauver l'honneur du christianisme, car la religion du Christ avait bien plus à risquer dans ces scandaleux débats que le salut du sage d'Athènes. On dirait que la réforme donnait la main à Rome, pour se précipiter ensemble dans le même abîme (1)!

Hâtons-nous de quitter ces indignes disciples de Jésus-Christ. Les philosophes, sans excepter les plus mal famés, méritaient plus que les théologiens de Paris et de Rotterdam de passer pour chrétiens. Voici un libre penseur que les uns disent athée, les autres matérialiste. Le panthéisme est le moindre reproche que l'on puisse faire à Diderot. Mais quelle profondeur de charité dans cette âme non chrétienne! Il demande ce que Dieu fera à ceux qui n'ont pas entendu parler de son fils? Ils sont dans les ténèbres de la mort éternelle, répond le charitable saint Augustin. C'est dire, réplique notre incrédule, que Dieu punira des sourds de n'avoir pas entendu. Que fera Dieu à ceux qui, ayant entendu parler de sa religion, n'ont pu la concevoir? Orgueil satanique, répondent les théologiens, obstination criminelle qui mérite la damnation! Vous punirez donc, dit le philosophe matérialiste, des pygmées de n'avoir pas su marcher à pas de géant? L'auteur de la nature, qui ne me récompensera pas pour avoir été un homme d'esprit, ne me damnera pas pour avoir été un sot. « Et il ne te damnera pas même, ajoute Diderot, pour avoir été un méchant. Quoi donc, n'as-tu pas déjà été assez malheureux, d'avoir été méchant (2)! »

(1) Eberhard, Neue Apologie des Sokrates, t. I, pag. 5-10.

(2) Diderot, Addition aux pensées philosophiques, n** 22, 23, 11, 12 (OEuvres, t. 1, pag. 127).

Ce cri de charité est d'un incrédule! Il fait honte aux orthodoxes. Il faut à ceux-ci un enfer, un enfer bien garni de tous ceux qui n'ont pas voulu, même de ceux qui n'ont pas pu croire à Jésus, Christ, c'est à dire de tous ceux qui sont hors de l'Église. On pardonnerait peut-être le manque de charité à des gens qui ont toujours la charité sur la langue; on les plaindrait du moins ces malheureux qui débordent de haine. Mais que penser de leurdévote cruauté, quand on voit qu'elle est inspirée par un calcul d'ambition! La domination de l'Église repose sur la peur de l'enfer, il faut qu'il soit rempli, afin que les trésors de l'Église se remplissent, et qu'elle ait le plaisir de dominer sur la bêtise humaine. Voilà où aboutit l'intolérance théologique, cette sainte incompatibilité, cette revendication de la vérité, cette préoccupation du salut des hommes. O hypocrites! jusqu'à quand vous permettra-t-on de vous moquer du bon sens et d'insulter le sens moral!

§ 2. L'intolérance civile

No 1. La doctrine

I

L'intolérance théologique peut-elle se concilier avec la tolérance civile? ne conduit-elle pas nécessairement à la persécution? Si nous consultons l'histoire, la réponse sera très facile. La distinction entre l'intolérance théologique et l'intolérance civile était ignorée, aussi longtemps que l'Église domina sur les peuples: intolérante par son dogme, elle força les princes à écrire l'intolérance dans les lois et à la pratiquer. C'est seulement quand la philosophie proclama la tolérance, c'est quand le dix-huitième siècle fit un crime à l'Église, un crime au christianisme des sanglantes persécutions exercées contre les non croyants, que les défenseurs de la religion chrétienne imaginèrent leur distinction. Ils avouèrent l'intolérance théologique, en prétendant que c'était de la charité. Ils nièrent hardiment que l'Église eût jamais persécuté qui que ce soit pour cause de foi. Nous venons de faire appel à l'histoire. Les apologistes du christianisme l'invoquent également. Selon eux, les

philosophes font mentir les faits, aussi bien que la doctrine. Il n'y a jamais eu de guerres de religion, et l'inquisition est une fable. Si le sang a coulé, si les bûchers ont été dressés contre l'hérésie, ce n'est pas l'Église qu'il en faut accuser, c'est la société civile. L'Église a horreur du sang; elle a ses martyrs qui sont morts pour la foi, elle n'a jamais prononcé une sentence de mort, contre personne.

Voilà ce qu'on lit dans un Éclaircissement sur la tolérance, qui parut à Rouen en 1782; l'auteur ne se contente point de défendre l'Église, il accuse encore les philosophes de calomnier le catholicisme. On retrouve les mêmes reproches dans les censures de la Sorbonne. En condamnant le Bélisaire de Marmontel, la faculté de théologie dit : « La religion que Jésus-Christ a établie ne respire que la patience, la douceur et la charité la plus tendre envers les hommes. » La censure prononcée contre Raynal ajoute : « C'est par des calomnies atroces que l'auteur cherche à rendre la religion odieuse; il la représente enjoignant d'égorger sans pitié tout ce qui s'écarte des opinions dominantes. Tandis que JésusChrist nous ordonne d'aimer tous les hommes, même nos ennemis. Ce précepte ne souffre pas d'exception. Aussi l'Église, animée de l'esprit de charité de son divin époux, est-elle pleine de tendresse pour ceux-mêmes qui sont dans l'erreur. Si des enfants rebelles refusent de l'écouter, elle emploie, il est vrai, contre eux les peines spirituelles que Jésus-Christ lui donne le droit d'infliger, mais c'est toujours à regret et dans le dessein de les retirer des piéges du démon qui les retient captifs. Si, opiniâtres dans l'erreur, ils cherchent à renverser les fondements de la foi, alors elle implore le secours des princes que Dieu lui a donnés pour être ses protecteurs sur la terre; mais elle leur recommande en même temps de ne pas sortir des bornes que prescrit la charité. Est-ce là une religion superstitieuse qui se repaît du sang des infortunés qui sont dans l'erreur (1)? »

Non, superstitieuse n'est point le mot il faut dire ambitieuse et hypocrite. L'apologie est une contre-vérité absolue. On ne peut pas nier que le sang ait coulé pour la cause du christianisme.

(1) Censure de Bélisaire, pag. 126. Censure de Raynal, (dans le X volume de Raynal, pag. 367.)

Qui l'a versé ? Les princes. Et qui a fait un devoir de la persécution aux princes? Ce n'est certes pas l'Évangile, ce n'est pas JésusChrist, c'est l'épouse du Christ, cette douce mère qui ne respire que charité. Ainsi quand les rois se font bourreaux au service de l'Église, et sur son commandement, ce n'est point l'Église qui persécute, elle se lave les mains du sang qui coule, et elle dit que les princes sont coupables! Cela n'est-il pas l'idéal de l'hypocrisie? De quel côté donc se trouve la calomnie? Les faits prononceront.

Nous commençons par la doctrine de l'intolérance, afin qu'il soit bien évident que, si l'Église a persécuté les non croyants, c'est à la religion qu'il s'en faut prendre, et non à des circonstances passagères, bien moins encore aux princes ou à la société civile. L'intolérance et la persécution naissent avec le dogme de la révélation. Non, ce n'est pas l'Évangile qui commande de verser le sang, c'est le dogme de la vérité révélée, vérité qui est de foi et nécessaire au salut. Il n'y a qu'une voix parmi les Pères de l'Église sur le devoir des princes d'employer la force pour le triomphe de la vraie foi; nous citons les plus charitables : « Si c'est une grande chose d'empêcher les meurtres, dit Grégoire de Nazianze, de punir les adultères, de châtier les larcins, c'en est une bien plus grande de soutenir la piété par l'autorité des lois. » « On réprime les assassins, s'écrie saint Augustin; les sacriléges resteront-ils impunis?» La peine dont la loi frappe le païen et l'hérétique n'est pas plus injuste que celle qu'elle inflige aux criminels. Si l'intolérance est un droit, la persécution devient un devoir. Sur ce point encore, les saints Pères sont unanimes; seulement ce que nous appelons persécution, ils l'appellent justice (1).

Les Pères de l'Église ne sont-ils pas l'Église? Saint Augustin, saint Grégoire n'étaient-ils pas les organes de la conscience chrétienne? Que l'on nous dise alors où était l'Église au quatrième siècle! Que l'on nous prouve que les saints Pères qui invoquaient la force contre les païens et les hérétiques n'exprimaient pas les sentiments généraux de la société catholique! Nous défions les défenseurs du christianisme traditionnel de faire cette preuve. Nous allons fournir la preuve contraire. La doctrine des Pères

(1) Voyez les témoignages dans mes Études sur le christianisme, pag. 304, ss. (2° édition.)

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