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la foi en certaines vérités, successivement formulées par les conciles, et dont l'Église a le dépôt. La révolution du seizième siècle brisa la puissance de l'Église. Puis vint la philosophie qui s'attaqua au dogme. Les critiques des libres penseurs portèrent coup. Ils étaient en réalité les organes de la conscience moderne. La foi avait perdu insensiblement son empire sur les âmes. De là les cris d'alarme des zélés qui croyaient que la religion périssait. Non, elle se transformait. Il y a encore un autre élément dans le christianisme que le dogme, c'est la morale. On peut dire que c'est l'élément essentiel, en ce sens du moins, qu'il joue le rôle principal dans la prédication évangélique. A mesure que le dogme était déserté, la religion devenait une règle des mœurs. Sous des noms différents, et sous des formes diverses, c'est là ce que les philosophes entendaient, au dix-huitième siècle, par loi naturelle, et les protestants avancés par christianisme. En dépit de la réaction catholique, en dépit des superstitions que l'on essaie de réchauffer, telle est encore la croyance de l'humanité moderne.

En présence de la transformation qui s'est faite dans la religion, l'idée de révélation a aussi dû se modifier. C'est surtout pour les prétendues vérités de foi que la révélation miraculeuse était considérée comme une nécessité. Du jour où la religion devint une règle des mœurs, la révélation surnaturelle cessa d'être nécessaire, et si elle n'est pas nécessaire, elle n'a pas de raison d'être. C'est aussi pour ces vérités de foi que l'on demandait la certitude d'une autorité divine. La religion, en tant qu'elle est une règle morale, peut se passer de toute révélation extérieure, miraculeuse. Elle se fonde sur une autorité irrécusable, sur la conscience éclairée par la raison. Sans doute, ces témoignages ne fondent pas une certitude absolue; mais la révélation chrétienne ellemême n'a pas procuré cette certitude, témoin les hérésies et les sectes qui n'ont cessé de déchirer l'Église. Il y aura moins de discussions sur la religion morale qu'il n'y en a eu sur la religion dogmatique, car ce sont les dogmes qui de tout temps ont divisé les esprits. Sur la morale il y aura toujours, à chaque âge de l'humanité, des convictions arrêtées qui suffiront pour diriger les hommes dans l'accomplissement de leur destinée.

LIVRE II

L'ÉGLISE ET LA LIBRE PENSÉE

CHAPITRE PREMIER

L'INTOLERANCE CHRÉTIENNE

§ 1. L'intolérance religieuse

No 1. Ce que c'est que l'intolérance théologique

I

L'intolérance est le grand crime que les libres penseurs reprochent au christianisme. Ce ne sont plus seulement les philosophes qui accusent l'Église; la tolérance est si bien entrée dans nos mœurs, que nous avons de la peine à comprendre que la religion chrétienne ait jamais fait de la persécution un droit et un devoir. Nos constitutions proclament une doctrine absolument contraire; elles placent parmi les droits naturels, inaliénables, imprescriptibles de l'homme, la libre manifestation de la pensée; et ce que le législateur considère comme un droit, les philosophes, que dis-je ? des chrétiens mêmes, le regardent comme le devoir de tout être pensant. En présence de la réprobation universelle qui frappe l'intolérance, grand est l'embarras des défenseurs du christianisme. Ils n'osent plus enseigner les maximes qui jadis étaient professées et pratiquées par leur Église, car ce serait déclarer que la religion chrétienne est inalliable avec les principes qui

sont le fondement de notre état social; ce serait avouer qu'il y a lutte à mort entre le christianisme et la société, et qui pourrait douter de l'issue de cette lutte? Ils n'osent pas davantage arborer franchement le drapeau de la libre pensée. Leur dogme le leur défend. Ils n'osent pas même répudier les hommes qui ont soutenu la théorie de l'intolérance et de la persécution; car parmi eux se trouvent les plus illustres docteurs de l'Église, ceux qu'elle honore comme ses Pères, depuis saint Augustin jusqu'à Bossuet. Que faire dans cette cruelle perplexité? On se tire d'affaire par des distinctions, par des équivoques, et au besoin on altère les faits. En plein dix-neuvième siècle, on recommence, en sens inverse, l'œuvre des faussaires du moyen âge. Ceux-ci fabriquèrent de faux titres pour servir d'appui à la domination pontificale. Aujourd'hui on fait mentir l'histoire, pour établir que jamais l'Église n'a persécuté qui que ce soit. Dieu l'en garde, cet agneau sans tache! L'Église se souiller de sang! L'Église, qui est toute douceur, toute charité, recourir à la force pour violenter les consciences! Calomnie d'incrédules! Falsification de l'histoire ! Nous allons voir de quel côté sont les calomniateurs et les faussaires.

Les défenseurs de l'Église commencent par distinguer entre l'intolérance théologique et l'intolérance civile. Ils avouent la première, ils nient la seconde. L'intolérance théologique n'est autre chose que la prétention qu'a l'Église de posséder la vérité absolue. Fondée par Dieu, organe de la vérité divine, comment pourrait-elle tolérer une doctrine autre que la sienne? Toute vraie religion, dit Bergier, doit être intolérante (1); car il n'y a de vraie religion que celle qui est révélée par Dieu, et est-ce que Dieu dit à l'erreur qu'elle est un droit? dit-il au mensonge qu'il fait bien de combattre la vérité? Qui oserait donc faire à l'Église un crime de son intolérance? C'est sa gloire, dit Bossuet, que « cette sainte et inflexible incompatibilité. » « Elle veut être seule, parce qu'elle se croit l'épouse; titre qui ne souffre point de partage. Elle ne peut souffrir qu'on révoque en doute aucun de ses dogmes, parce qu'elle croit aux promesses et à l'assistance perpétuelle du SaintEsprit. » Vainement lui demande-t-on la tolérance; Bossuet rẻpond: « La sainte sévérité, et la sainte délicatesse de ses senti

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. VI, pag. 483.

ments ne lui permettent pas cette indulgence, ou plutôt cette mollesse; et son inflexibilité, qui'la fait haïr par les sectes schismatiques, la rend chère et vénérable aux enfants de Dieu (1). »

Bossuet a raison de dire que l'intolérance théologique est de l'essence de toute religion révélée. Voilà pourquoi les réformateurs du seizième siècle furent aussi intolérants que les papes. Toutefois, au dix-septième siècle l'esprit de la Réforme avait bien changé, car nous voyons l'évêque de Meaux faire une rude guerre aux réformés, en les accusant de tolérance. L'accusation est caractéristique. Ce que nous considérons aujourd'hui comme un droit, était aux yeux de Bossuet, le plus grand des crimes; et au point de vue de la foi orthodoxe il avait raison. Si les réformés étaient devenus tolérants, c'est qu'ils n'étaient plus très convaincus de la révélation chrétienne. Un zélé disciple de Calvin en fit de vifs reproches à ses coreligionnaires. Jurieu invective contre les tolérants, qu'il appelle les indifférents, parce qu'ils vont à la tolérance universelle des religions. La tolérance, d'après le fougueux ministre, ne tend pas à moins qu'à ruiner le christianisme : << Il est temps, s'écrie-t-il, de s'opposer à ce torrent impur (2). » Comment la tolérance, qui s'inspire de la charité, peut-elle ruiner le christianisme, qui est la religion de la charité? C'est que la tolérance est une fausse charité. Jurieu a sur ce point une comparaison qui montre mieux que le raisonnement combien la tolérance est antipathique aux vrais chrétiens : « Quand un homme est bien persuadé qu'un malade a la peste, qu'il peut perdre tout un pays, il ne conseillera jamais qu'on mette un tel homme au milieu de la foule, et qu'on permette à tout le monde de l'approcher; et s'il permet à tous de le voir, c'est qu'il croira la maladie légère et nullement contagieuse. » Quelle est cette affreuse maladie de l'âme que Jurieu compare à la peste? C'est la tolérance, car la tolérance implique que l'on peut être sauvé dans toutes les religions. Celui, au contraire, qui est bien convaincu qu'on ne peut se sauver que dans une seule religion, la seule vraie, celui-là ne sera jamais tolérant (3).

Pourquoi la tolérance envahit-elle tous les pays réformés au

(1) Bossuet, VI' avertissement sur les Lettres de M. Jurieu. (OEuvres, t. XI, pag. 444.) (2) Jurieu, Tableau du socinianisme, lettre I, pag. 5, 6; lettre VI, pag. 11.

(3) Idem, ibid., lettre VIII, pag. 402.

dix-septième siècle, les Provinces-Unies, l'Angleterre, et jusqu'à la patrie du protestantisme? Bossuet va nous l'apprendre : « Il s'est formé, dit-il, une secte où l'on ne parle que de paix et de charité universelle. Les défenseurs de cette paix se donnent euxmêmes le nom de Latitudinaires, pour exprimer l'étendue de leur tolérance qu'ils appellent charité. » Sur quoi fondent-ils la tolérance? Sur ce qu'il n'y a point de juge infaillible de la foi. Burnet, le célèbre évêque anglican, conclut de là « qu'on ne doit pas être trop prompt à juger mal de ceux qui sont d'un autre sentiment que nous, ni agir avec eux d'une manière rigoureuse, puisqu'IL EST possible qu'ils AIENT RAISON ET QUE NOUS AYONS TORT. » Voilà les coupables en aveu. Si l'on ne sait plus où est la vraie foi, que devient la foi? Les tolérants, dit Bossuet, font peu de cas des dogmes spéculatifs et abstraits, comme ils les appellent, et ne vantent que la doctrine des mœurs. Tout consiste à bien vivre, disent nos indifférents. Bossuet s'indigne de cette abominable charité; lui qui est si modéré, quand il discute avec ses frères séparés, va jusqu'à traiter d'hypocrisie, et la plus dangereuse, cette maxime qui veut réduire le christianisme aux mœurs, en laissant aux hommes la latitude de croire ce qu'ils veulent (1). Elle aboutit en effet à l'indifférence dogmatique, c'est à dire à la ruine du christianisme traditionnel. Bossuet voyait dans la tolérance prêchée par les réformés de son temps la preuve la plus certaine de ce qu'il ne cessait de soutenir : que le protestantisme n'était pas une réformation, mais le premier pas hors du christianisme. Il avait raison, car l'intolérance dogmatique est le caractère distinctif des religions révélées; quand elle fait place à la tolérance, on peut être sûr que la foi dans la vérité miraculeusement révélée n'existe plus.

II

A en croire les modernes apologistes, rien n'est plus inoffensif que l'intolérance théologique. Libre aux incrédules de fermer les yeux à la lumière divine, et de nier la révélation, de nier que l'Église soit instituée par le Fils de Dieu. De son côté, l'Église,

(1) Bossuet, VI avertissement sur les Lettres de M. Jurieu. (OEuvres, t. XI, pag. 436, 439.)

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