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vérité absolue! Est-ce que la vérité absolue s'appuie sur des mensonges? Est-ce que la vérité absolue s'appuie sur des crimes? C'est parce qu'il est faux dans son principe que le christianisme traditionnel n'a pu s'établir que sur de faux témoignages.

III

<< Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger. » Ces paroles de Pascal résument un argument favori des apologistes chrétiens. Un écrivain réformé, qui jouit d'une grande autorité chez les catholiques, parce qu'il soutient avec eux les miracles et la révélation miraculeuse, Abbadie aime à s'arrêter sur le témoignage des martyrs. « Nous ne devons pas craindre de nous tromper, dit-il, en supposant que les premiers chrétiens avaient quelque sens commun; des gens qui font profession de se moquer de la pluralité des dieux, qui pratiquent une morale si sage, ne doivent pas être privés de la lumière naturelle. Or, il est assez difficile de se persuader que des gens qui ont une étincelle de bon sens souffrent la mort pour défendre une cause, s'ils n'avaient de puissantes raisons pour la croire bonne. Leur témoignage a d'autant plus de poids que la vérité de la religion chrétienne est toute fondée sur des faits. Si Jésus-Christ a fait des miracles, et s'il est ressuscité, la foi des chrétiens est véritable. Si Jésus-Christ n'a point fait de miracles, et s'il n'est point ressuscité, la foi des chrétiens est fausse. Sans mentir, il faudrait que ces hommes eussent été des insensés ou des frénétiques, pour mourir d'un genre de mort épouvantable, dans la seule intention de défendre une religion fondée sur des faits, qu'on n'aurait eu aucune raison de croire véritables... Que si nous croyons que le vulgaire des chrétiens ait entièrement manqué de raison en cela, je ne sais comment nous en pourrons accuser les premiers docteurs de l'Église, tels que sont : Clément, Polycarpe, Justin, Irénée, etc. Si ces docteurs s'étaient contentés de nous dire que Jésus-Christ et les apôtres ont fait des miracles, nous pourrions peut-être nous dispenser de les croire sur parole; mais lorsqu'ils souffrent la mort pour défendre la vérité de certains faits, dont il est impossible qu'ils ne fussent instruits, c'est à dire pour soute

nir que les apôtres avaient reçu le don de faire des miracles, de parler des langues étrangères, j'avoue que je commence à être convaincu. >>

Que d'illusions, que d'erreurs, que d'aveuglement il y a dans ces paroles ! Les martyrs sont des témoins: c'est la signification du mot grec qui a passé dans notre langue. Que dirait-on d'un plaideur qui invoquerait des témoins qui n'existent point? Voilà cependant ce que font les apologistes, quand ils produisent le témoignage des martyrs, alors que parmi ces prétendus confesseurs il y en a un nombre considérable qui ne doivent leur couronne qu'à une pieuse fraude. Il faut donc commencer par écarter les faux martyrs, car ici encore nous trouvons des faux, ou si l'on veut des légendes qui doivent leur origine à la fiction, à la tradition populaire; la piété chrétienne les peut admirer et y puiser un sujet d'édification; les profanes qui n'ont point la grâce, n'y voient le plus souvent qu'un amas de niaiseries. Nous aurions l'embarras du choix, si ce débat entrait dans notre sujet.

Restent les vrais martyrs. En quel sens les confesseurs sont-ils témoins et de quoi déposent-ils? Le témoin est celui qui atteste ce qu'il a vu. Il n'y a donc que les disciples directs de Jésus-Christ qui puissent être cités en témoignage. Les apôtres furent-ils martyrs et témoins de la révélation? On le prétend; à entendre les apologistes, presque tous les apôtres seraient morts au milieu des supplices et en confessant la vérité des miracles et de la résurrection de Jésus-Christ. Mais les plus habiles critiques conviennent qu'on ignore de quel genre de mort ont péri les apôtres (1). Supposons qu'ils aient été martyrs de leur foi. Est-il vrai qu'ils ont attesté, en mourant, « qu'ils avaient vu le Christ opérer des miracles, qu'ils l'avaient vu mort et ressuscité? » Bergier le dit, et Abbadie brode sur ce thème, en invoquant jusqu'à la torture pour défendre sa thèse. « On sait, dit-il, que quand on donne la question à un criminel, on lui fait confesser son crime. Les tourments arrachent l'aveu des actions les plus secrètes, et c'est un moyen presque infaillible de découvrir la vérité (2) ! » Ne dirait-on

(1) Fréret, Examen critique des apologistes de la religion chrétienne. (OEuvres, t. III, pag. 201.)

(2) Bergier, Traité de la vraie religion, t. IX, pag. 475. — Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, t. II, pag. 16.

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pas que les apologistes assistèrent au supplice, et qu'ils rédigèrent un procès-verbal de la déposition des accusés ainsi que des aveux qui leur furent arrachés? Qui leur a appris que les apôtres furent torturés pour constater des faits? Leur imagination et le besoin de la cause. Qui leur a appris que les apôtres déclarèrent qu'ils avaient vu Jésus-Christ mort et ressuscité? Toujours le besoin de la cause. Mettons la réalité à la place des fictions. Nous avons des jugements rendus contre des chrétiens. Qu'y lisons-nous? «< Attendu que tels et tels avouent qu'ils sont chrétiens, et qu'ils refusent de rendre hommage et respect à l'empereur (1). » Telle est la formule de la sentence. Il ne s'y trouve pas un mot des prétendus faits que les martyrs auraient confessés. On les condamne à mort comme rebelles à la loi. Supposer que les juges leur ont donné la question pour constater si les accusés reconnaissaient que JésusChrist a fait des miracles et s'il est ressuscité, c'est transformer lės magistrats en théologiens.

Il y a encore une autre illusion théologique dans le système des apologistes. Quand on leur accorderait que les apôtres sont morts pour témoigner que Jésus avait fait des miracles et qu'il était ressuscité, s'ensuivrait-il qu'ils eussent témoigné pour la divinité du Christ? Les apôtres ne croyaient pas à la divinité de leur maître; comment donc seraient-ils morts pour l'attester? Les témoins viennent déposer ici contre ceux qui les appellent en témoignage. Sans la divinité du Christ, il n'y a pas de christianisme révélé; eh bien, les apôtres croyaient au Messie, mais ils ne se doutaient point que ce Messie fût le Fils de Dieu, coéternel au Père. Que prouve donc le martyre des apôtres, si martyre il y a? Que l'on peut croire aux miracles et même à la résurrection de JésusChrist, sans croire à sa divinité. Voilà ce qu'on appelle une preuve de la révélation!

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Vous avons entendu les apologistes; écoutons les libres penseurs. Voltaire nous dira ce que prouvé la mort des martyrs : «Dites-nous si le supplice de la potence, de la roue, ou du feu, est une preuve de la religion? C'est une preuve sans doute de la barbarie humaine; c'est une preuve que d'un côté il y a des bourreaux, et de l'autre des persuadés. » N'y a-t-il eu des martyrs que

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dans l'Église orthodoxe ? Il y en a beaucoup plus chez les hérétiques. Vainement les théologiens récusent-ils les sectaires, en disant que c'est la cause qui fait le martyre. S'il est vrai, comme disent les apologistes, que les martyrs témoignent de certains faits, les témoignages de tous ceux qui meurent pour leur foi doivent être entendus. Dès lors Voltaire a raison de dire à l'abbé Bergier : « Non, si vous voulez rendre la religion chrétienne aimable, ne parlez jamais de martyrs; nous en avons fait cent fois, mille fois plus que les païens. Parler de martyrs à des chrétiens, c'est parler de gibets et de roues à des bourreaux et à des recors (1). »

A vrai dire, les martyrs ne prouvent rien, ni pour la religion orthodoxe, ni pour l'hérésie. Ils attestent la puissance de la foi, et non la vérité de la foi. La plus folle superstition peut inspirer une foi aveugle, aussi bien que les plus sublimes vérités. Si l'on se place au point de vue de la philosophie, il faut dire que tous les martyrs sont morts pour des croyances superstitieuses. D'après les apologistes, ils auraient témoigné pour les miracles de l'Évangile. Parmi ces miracles nous voyons figurer l'exorcisme des possédés; c'est même là le miracle que Jésus-Christ fait de préférence, et qu'il donne mission à ses apôtres de faire. Est-ce que l'exorcisme devient une vérité, parce que ceux qui sont morts pour leur foi croyaient aux démons? Les plus stupides erreurs, les plus horribles égarements de l'esprit, deviendront donc des vérités, parce que des fous les auront confirmés par leur mort! La croyance aux démons a conduit aux abominables procédures contre les sorcières : il faudra donc croire à la sorcellerie, parce que des sorcières ont déclaré qu'elles avaient été au sabbat avec le diable, et qu'elles ont souffert la torture et la mort pour leur foi! Il y a un autre enseignement dans la mort des martyrs. Tertullien dit que leur supplice est devenu la semence de la foi. Qu'estce à dire? La violence est donc impuissante à détruire la foi, fûtelle superstitieuse. Le christianisme n'a guère profité de la leçon. A peine vainqueur, il se fit persécuteur à son tour, et persécuteur plus acharné que ne l'avaient jamais été les empereurs romains. Dira-t-on qu'il a vaincu, et qu'en définitive la force est le seul moyen d'extirper des erreurs enracinées? Il y a des libres pen

(1) Voltaire, Conseils raisonnables à M. Bergier. (OEuvres, t. XXX, pag. 391.)

seurs qui le disent. Ils ne réfléchissent pas que si le paganisme a été détruit par la violence, c'est qu'il n'avait plus la foi qui engendre le martyre. Tant qu'une superstition a pour elle cette foi aveugle, on tentera vainement de l'abolir à coups de lois, de peines ou de supplices. On fera des martyrs, et les martyrs donneront une puissance nouvelle à l'erreur. Nous ne connaissons qu'un moyen de vaincre l'erreur, c'est la vérité.

IV

L'extension du christianisme a été longtemps un argument favori des apologistes, comme le martyre des confesseurs. C'est encore un miracle, si nous en croyons les Pères de l'Église, et le plus grand de tous : « Il n'en faudrait pas d'autres, dit saint Augustin, pour prouver la divinité de la religion chrétienne. » Il en va de ce miracle comme de toutes les illusions de la foi; elles s'évanouissent quand on les regarde de près. S'il y a un miracle qui témoigne contre les miracles, c'est celui de la propagation du christianisme. Il s'agit ici d'un fait historique qui peut se prouver avec le même degré de certitude que tous les faits. Eh bien, tel est l'aveuglement de la foi, que les esprits les plus élevés ne voient plus les choses telles qu'elles sont en réalité, ils les voient à travers un prisme qui les leur représente, telles qu'ils les désirent ou telles qu'ils les croient. Nous allons entendre saint Paul, nous allons entendre Bossuet; il suffira de constater leurs erreurs pour faire tourner contre le christianisme une de ces preuves triomphantes que l'on invoque en sa faveur.

Pour rendre le miracle plus éclatant, Bossuet le fait remonter au Fils de Dieu. Jésus-Christ, dit-il, avait prédit que son Évangile serait bientôt prêché par toute la terre: cette merveille devait arriver incontinent après sa mort. En effet, continue Bossuet, la promptitude inouïe avec laquelle se fit ce grand changement est un miracle visible. Les apôtres n'avaient pas encore achevé leur course, et saint Paul disait déjà aux Romains, « que leur foi était annoncée dans tout le monde. » Il annonçait aux Colossiens «< que l'Évangile était ouï de toute créature qui était sous le ciel; qu'il était prêché, qu'il fructifiait, qu'il croissait par tout l'univers. » Bossuet

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