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est indifférent pour la foi de croire ou de ne pas croire au péché originel tel que le docteur de la grâce l'entend! Si donc les dogmes se transforment, c'est une preuve certaine que la religion subit une transformation analogue. Semler le reconnaît implicitement. Dans le christianisme traditionnel, les articles de foi sont identifiés avec la religion, au point que celui qui n'y croit pas est exclu de l'Église, et hors de l'Église il n'y a point de salut. Semler, au contraire, sépare le dogme de la religion, et il se révolte contre une doctrine qui exige comme condition de salut qu'on appartienne à l'Église, et que l'on croie ce qu'elle commande de croire. N'estil pas évident que voilà deux religions diverses en présence? Que Semler nie après cela que sa religion soit une religion nouvelle, nous dirons que c'est une querelle de mots. Le mot est le même, c'est toujours le christianisme, mais les idées et les sentiments ont entièrement changé.

II

Les protestants tiennent au nom de christianisme. Nous le voulons bien; nous reconnaissons que le lien qui les rattache au passé leur donne une grande force, et offre une grande facilité pour opérer le passage entre le passé et les aspirations de l'avenir. Peu importe après tout le nom; où en trouver d'ailleurs un plus illustre que celui du Christ? Il a inauguré une ère nouvelle, dans le développement religieux de l'humanité, on peut dire l'ère définitive, en ce sens qu'il a ramené la religion à son essence, la régénération intérieure de l'homme. Ce qui importe, c'est que ce perfectionnement soit libre de toute entrave, de toute formule, de toute Église, et surtout de toute révélation immuable. Une fois qu'il sera entendu que le christianisme est perfectible, les philosophes pourront l'accepter, et ils finiront par s'y rallier.

Toutefois la médaille a son revers. Les protestants maintiennent le christianisme, mais qu'entendent-ils par christianisme? Est-ce une révélation miraculeuse? est-ce une révélation naturelle? Le plus souvent on l'ignore. On est en présence d'un mot dont on ne sait point la signification. Chaque écrivain en fait ce que bon lui semble; et le lecteur le plus souvent reste dans l'incertitude sur les vrais sentiments de l'auteur. Les Allemands aiment le vague,

et s'en contentent. Rien de mieux, c'est leur affaire. Mais est-ce bien une religion que celle que l'on ne peut définir? Comment transmettre une religion pareille? comment l'enseigner aux générations naissantes? Ces réflexions nous sont venues à la lecture d'un ouvrage intitulé la Perfectibilité de la religion révélée (1). Il parut, au milieu des orages de la révolution, peu de temps après celui de Condorcet. C'est l'idée du progrès qui domine dans les Lettres du penseur allemand, comme dans l'Esquisse du philosophe français. Nous avons apprécié ailleurs la doctrine du noble martyr qui glorifia la liberté, quand il était déjà sous la hache du bourreau. L'écrivain allemand mérite aussi qu'on fasse connaître ses idées, car il est le premier qui ait déclaré le christianisme perfectible.

C'est bien du christianisme qu'il s'agit dans les Lettres sur la perfectibilité de la religion révélée. En quel sens la religion chrétienne est-elle révélée? L'auteur croit-il à la révélation miraculeuse? croit-il que Jésus-Christ soit le Fils de Dieu, coéternel au Père, incarné dans le sein d'une Vierge, mort et ressuscité? Il ne faut pas chercher de réponse à ces questions dans un livre allemand. On est déjà très heureux quand on peut deviner la pensée de l'auteur. Dans les Lettres cela n'est point difficile. Il est évident que la révélation dont parle le philosophe n'est plus l'ancienne révélation. Le mot est le même, mais il a changé complétement de sens. Qu'est-ce qui caractérise la révélation miraculeuse? C'est Dieu lui-même qui révèle aux hommes la vérité absolue, immuable. Or, l'auteur des Lettres nie résolûment que le christianisme soit parfait, il ne lui reconnaît qu'une perfection relative, eu égard aux révélations antérieures, eu égard aux besoins des hommes auxquels il fut prêché. Il nie avec la même décision l'immutabilité; il soutient hardiment que la religion chrétienne est changeante et progressive; ce changement n'est pas le développement d'une conception toujours identique au fond, c'est un perfectionnement, un accroissement, comme dit notre philosophe, et il ajoute que cela est de l'essence de la religion, que ce n'est qu'à la condition de progresser sans cesse qu'elle peut remplir sa destination (2).

(1) Briefe über die Perfectibilitat der geoffenbart en Religion. Jena 1795. (L'ouvrage est de Krug.)

(2) Ibid, pag. 42.

Qui ne voit que dans cette doctrine il ne reste rien du christianisme traditionnel? Au point de vue des orthodoxes, l'homme est incapable de trouver la vérité par lui-même, il faut que Dieu la lui révèle, et même après qu'elle lui est communiquée, il ne la comprend point, tout est mystère. La révélation progressive, au contraire, est en harmonie avec l'entendement des hommes auxquels elle s'adresse, et elle croît avec leur intelligence; elle est toujours imparfaite, quoique perfectible. Faut-il pour une religion imparfaite, pour une religion que l'esprit humain perfectionne, une communication miraculeuse entre le Créateur et les créatures? On conçoit la nécessité d'une révélation surnaturelle, quand il s'agit de faire connaître des vérités surnaturelles; on ne la conçoit plus, quand il s'agit de vérités que l'homme peut concevoir par les seules forces de sa nature, et qu'il peut développer, changer, perfectionner par les lumières de la raison. Une révélation imparfaite, mais perfectible, n'est plus la révélation miraculeuse du christianisme traditionnel, c'est une révélation qui se fait naturellement par l'intermédiaire de l'humanité. Écoutons le philosophe allemand.

La révélation est nécessairement imparfaite; la raison en est bien simple, c'est qu'elle s'adresse à des êtres imparfaits. Dieu voudrait révéler la vérité absolue aux hommes, qu'il ne le pourrait pas. Dieu peut tout, mais il ne peut pas l'impossible; il ne peut point faire que l'homme soit tout ensemble un être imparfait et un être parfait. Mais si la révélation est essentiellement imparfaite, elle est aussi essentiellement perfectible, car elle est donnée à des êtres perfectibles. Dès que l'on admet que le progrès est la loi de l'humanité, il doit dominer toutes les faces de l'activité humaine. Par quelle inexplicable exception, la religion resteraitelle immuable, quand tout autour d'elle change et se transforme? La religion n'est-elle pas l'instrument le plus énergique de l'éducation, c'est à dire du progrès? Et l'on veut qu'elle reste immuable (1)!

L'idée que la religion est une éducation vient de Lessing; elle suffit pour transformer la révélation miraculeuse en révélation naturelle, c'est à dire la communication surnaturelle de la vérité en une recherche de la vérité. On connaît la parole profonde de

(1) Briefe über die Perfectibilitat, etc., pag. 46-48.

Lessing: il préférait, disait-il, la recherche laborieuse de la vérité imparfaite à la possession de la vérité absolue qui lui serait communiquée par Dieu. C'est dire en d'autres termes qu'il était homme et satisfait de sa condition. Les orthodoxes ravalent la nature humaine, pour le besoin de leur cause; il leur faut des êtres déchus, viciés, pour justifier la venue d'un Réparateur. Mais toute misérable que soit notre organisation, n'avons-nous pas le moyen de la perfectionner, en développant les facultés dont Dieu nous a doués? N'est-ce pas là notre mission? Notre destinée implique donc une éducation progressive, infinie. Reste à savoir quel est le meilleur instrument d'éducation. C'est Dieu qui y préside. Quelle voie va-t-il choisir? Se décidera-t-il à communiquer la vérité absolue aux hommes ? Dans quel but le ferait-il? Élever les hommes, c'est développer leurs facultés. Or, n'est-ce pas par l'activité que nos forces corporelles, intellectuelles et morales se développent? Qu'est-ce qui fortifie le plus l'intelligence, le travail propre qui consiste à rechercher la vérité, ou l'état passif où elle reçoit la vérité que Dieu daigne lui révéler? Lessing répond que si Dieu voulait lui révéler la vérité, il lui demanderait de lui laisser la recherche de la vérité. La réponse implique la négation de la révélation miraculeuse (1).

Les penseurs allemands ne sont pas aussi explicites. Ils supposent toujours que la révélation chrétienne a quelque chose de divin, car ils prétendent qu'il n'y aura plus de nouvelle révélation. Qu'est-ce à dire? Le christianisme serait-il le dernier mot de Dieu ? Cela n'est pas possible, car ce serait immobiliser la religion, et nier le progrès, tandis que l'auteur des Lettres nie au contraire l'immutabilité de la révélation, et soutient qu'elle est perfectible de son essence. Pourquoi donc veut-il que le christianisme soit la dernière révélation? Il le veut, parce qu'il est protestant et que le protestantisme est né inconséquent. Par cela seul que la religion est perfectible, elle change incessamment; la religion d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier; à plus forte raison la religion du dixneuvième siècle n'est-elle plus celle de Jésus-Christ. Chose singulière ! L'auteur lui-même l'avoue. Quand on parle aux orthodoxes d'un christianisme perfectible, ils s'indignent ou ils haussent les

(1) Briefe über die Perfectibilitat, etc., pag. 59-63.

épaules; ils demandent ce que l'on prétend perfectionner dans la morale évangélique. Les libres penseurs mêmes s'inclinent devant la majesté de l'Évangile! Est-ce que notre théologien partage ce respect superstitieux? Son principe de perfectibilité ne le lui permet pas; tout en disant que le christianisme est la dernière révélation, que Jésus-Christ en a posé les fondements pour l'éternité, il déclare sans hésiter que la morale chrétienne est perfectible, partant imparfaite. Donc il n'est pas vrai de dire, comme il le fait ailleurs, que Jésus-Christ ait accompli la révélation. Si le Christ ne l'a pas accomplie, qui donc l'accomplira? Le philosophe allemand répond: la raison et la conscience humaines. Cet aveu est une preuve invincible que, dans la pensée de l'auteur, la révélation chrétienne ne saurait être l'œuvre de Dieu; est-ce que par hasard l'homme pourrait perfectionner ce que Dieu fait? Si l'esprit humain est capable de perfectionner la morale évangélique, il a aussi été capable de la créer. Que les orthodoxes crient au sacrilége, c'est leur droit. Au point de vue d'une religion perfectible, il n'y a aucune irrévérence à revendiquer pour l'esprit humain une morale qui est imparfaite comme tout ce qui sort des mains de l'homme (1).

En définitive, la révélation progressive n'est plus une révélation divine, dans le sens de la vieille orthodoxie; elle n'émane plus miraculeusement de la Divinité, elle est divine comme tout ce que l'homme pense et fait, car il ne vit que par une communication incessante avec celui qui est le principe et la cause de toute vie. C'est dire que la révélation progressive n'a rien qui la distingue des autres manifestations de l'esprit humain, de l'art, de la philosophie, de la science. L'auteur des Lettres en convient implicitement. Il défend la révélation progressive du reproche d'incertitude que lui adressent les défenseurs de la révélation surnaturelle (1). Elle est incertaine, comme l'est la philosophie, incertaine par cela même qu'elle est changeante et perfectible. Est-ce à dire que la religion progressive cesse d'être une religion? Nous avons d'avance répondu à la question. Ajoutons que la religion se modifiera comme tout se modifie.

Qu'est-ce qui fait l'essence du christianisme traditionnel? C'est

(1) Briefe über die Perfectibilitat, etc., pag. 197-199, 343-345.

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