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des Juifs. Ce n'est donc pas pour nous que ces livres ont été rédigés, et l'on voudrait en faire la voie invariable de notre salut! Il est vrai que l'Église les considère ainsi, de même que les réformateurs. Mais dans quel but? Il y a un but légitime; il y en a un autre qui est moins avouable. Au commun des fidèles, il faut une loi, qui leur apprenne quels sont les devoirs que la religion impose, comme il leur faut un code civil et un code pénal. Les hommes qui pensent n'ont pas besoin qu'on leur enseigne le catéchisme; mais ils forment une très petite minorité. Pour les masses, il faudra toujours des livres où elles trouvent la religion toute formulée. Il faut encore une profession de foi, afin de maintenir l'unité et la pureté des croyances. Ici nous touchons à l'intérêt de l'Église; si l'Écriture sainte a acquis l'autorité d'une révélation divine, immuable, éternelle, c'est surtout parce que la domination de l'Église y était intéressée.

Semler ne tient aucun compte de l'intérêt de l'Église. Il se demande seulement si les besoins du peuple pour lequel les livres saints furent écrits, sont encore aujourd'hui ce qu'ils étaient du temps d'Auguste. Nous avons d'avance répondu à la question. L'on n'a qu'à ouvrir les Évangiles pour toucher du doigt la révolution qui s'est accomplie dans nos idées et dans nos sentiments. Nous ne comprenons plus la langue que parlaient les Juifs et les Grecs; ce changement radical est comme une image des modifications qui se sont opérées dans notre manière de sentir et de penser. Le monde fantastique d'anges, de démons, de possédés, qui remplit les livres saints, nous est devenu étranger; il a fait place au monde réel que la science nous découvre, et dont la grandeur admirable dépasse ces puériles fictions. Nos sentiments moraux se sont transformés aussi bien que nos idées. Ce que Semler dit du péché originel en est une preuve évidente. Saint Paul et saint Augustin croyaient à la chute et à ses affreuses conséquences. Aujourd'hui la conscience générale proteste contre ce dogme terrible, et sa protestation est si impérieuse, que la théologie en a dû tenir compte; tout en maintenant le dogme, elle l'interprète de façon à l'annuler. Nous pouvons donc dire avec Semler (1), que les hommes ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient il y a deux mille

(1) Semler, Unterhaltungen, pag. 136-138; - Zusatze zu Lord Barrington, pag. 154, ss. 185-199.

ans. Dès lors, n'est-il pas contradictoire de maintenir comme une loi invariable des livres qui par cela même qu'ils étaient bons pour les Juifs et les Grecs ne peuvent plus l'être pour nous? Il faudrait commencer par nous transformer en hommes du siècle d'Auguste, si l'on voulait à toute force nous tenir le langage que l'on parlait au premier siècle. Cela est un miracle tout aussi impossible que de ressusciter ceux qui sont morts depuis deux mille ans. Revenons à la réalité, et disons avec Semler, mais en y mettant plus de décision, que pour des hommes nouveaux, il faut une foi nouvelle.

En réalité, notre foi n'est plus celle des premiers chrétiens. Par une singulière illusion, les protestants ont cru qu'en s'attachant à l'Écriture sainte, de préférence à la Tradition, ils retourneraient au christianisme primitif; ils n'ont pas vu que ce retour est une chose impossible. La Bible, à la vérité, reste la même, mais l'intelligence de la Bible change et avance toujours. Semler est une preuve vivante de ce progrès. Sa première dissertation portait sur les démoniaques. Est-ce que sa croyance était encore celle des disciples du Christ, et du Christ lui-même (1)? Celui que les chrétiens adorent comme Fils de Dieu passa sa vie à chasser les démons du corps des possédés, et il donna la même mission à ses apôtres. Et voilà le théologien allemand qui nie qu'il y ait des hommes possédés du démon! Après cela on soutiendra que notre foi est toujours la même, alors que les enfants ne croient plus ce que croyait Jésus-Christ! Le diable joue un rôle considérable dans le christianisme primitif; il était considéré comme le prince de ce monde et comme le roi des enfers. Les enfers étaient remplis de tous ceux qui étaient morts avant le Christ sans le connaître. Pour les sauver, le Fils de Dieu, dans sa charité, fit une descente dans le royaume de Satan. Ce conte bleu se trouve chez tous les Pères de l'Église, et il s'appuie sur l'autorité des apôtres, c'est à dire sur la parole de Dieu. Qui croit encore aujourd'hui à cette histoire digne de la mère l'Oie? Luther déjà y attachait peu d'importance, et Semler n'est pas loin de s'en moquer (2).

(1) Semler, Zusätze zu Lord Barrington, pag. 283.

(2) Idem, Versuch einer freiern theologischen Lehrart, pag. 482-484.

Les réformateurs du seizième siècle conservaient une grande vénération pour les saints Pères, au moins pour ceux des premiers siècles. Semler, au contraire, dit que notre foi est infiniment supérieure à celle des Pères de l'Église; le respect chez lui se change presque en dédain. Leur christianisme, dit-il, était à moitié juif; si Semler était remonté plus haut, et s'il avait eu le courage de voir clair, il aurait vu que les apôtres, les Douze du moins, étaient tout à fait juifs. C'est à eux que remonte la croyance de la fin prochaine du monde, et d'un règne de Jésus-Christ sur la terre renouvelée, croyance qui joue un si grand rôle dans les premiers temps du christianisme. Tertullien, dont la foi robuste ne reculait devant rien, osa écrire qu'il avait vu la Jérusalem nouvelle dans les nues pendant quarante jours! Irénée donna des détails tellement niais sur le règne de mille ans que les copistes eurent honte de les transcrire ! Il n'y a rien de spirituel, de moral dans la religion des Pères; tout est matériel, extérieur. Jésus-Christ vient pour nous racheter de la servitude du diable; il est le prix payé à Satan pour notre rachat. Tout cela est pris au pied de la lettre. Les sacrements, le baptême, l'eucharistie, sont des actes magiques qui opèrent sans le concours de l'homme, même sans qu'il en ait conscience, sur l'enfant qui vient de naître. Est-ce encore là notre religion (1)? Semler répudie la conception indigne que les Pères se faisaient des mystères, tandis que la doctrine traditionnelle célèbre les temps primitifs comme les plus beaux de l'Église. Le théologien du dix-huitième siècle s'élève avec force contre cette prétendue perfection c'est un préjugé, dit-il, auquel l'histoire donne à chaque page un démenti. Nous n'aurions pas l'histoire, qu'il faudrait dire que l'idéal de la religion n'a pas pu se réaliser il y a deux mille ans, puisque nous avançons toujours en science et en moralité (2). Voilà une parole bien hardie; elle rappelle le célèbre mot de Saint-Simon, que l'âge d'or n'est point derrière nous, mais devant nous. C'est décidément le drapeau du progrès.

Semler est si convaincu de la marche progressive des idées religieuses, qu'il a de la peine à comprendre que l'on ait jamais cru à leur immutabilité. Il en cherche la raison et il la trouve dans

(1) Semler, Unterhaltungen mit Lavater, pag. 51-56.

(2) Idem, Versuch, pag. 78, 657; - Unterhaltungen, pag. 17.

l'ambition de l'Église. Une foi absolue, révélée par Dieu même, est naturellement destinée à embrasser le monde entier. Quelle magnifique destinée pour l'Église, organe de cette foi! Ce n'est rien moins qu'une monarchie universelle, bien plus étendue que celle du peuple roi, puisqu'elle s'étend sur tous les êtres créés, et bien plus durable, puisqu'elle doit durer jusqu'à la consommation des siècles. Mais ce qui est si magnifique pour ceux qui exercent la domination, ne l'est guère pour ceux qui la subissent. Jamais il n'y en eut de plus tyrannique que celle de Rome chrétienne. Semler est à la recherche d'expressions pour la flétrir : c'est de la folie, dit-il, c'est de la niaiserie, c'est de l'outrecuidance. Ce qui fâche le plus l'honnête théologien et ce qui le met hors des gonds, c'est que toutes les subtilités imaginées par les docteurs grecs ou latins, sont devenues autant d'articles de foi, qu'il faut croire, sous peine de damnation éternelle. Il faut croire qu'il y a en JésusChrist deux natures, deux volontés, quoiqu'il n'y ait qu'une personne! Il faut croire que Marie est la mère de Dieu! Il faut croire que tout en devenant mère, elle est restée vierge (1). Si le bon Semler avait vécu au dix-neuvième siècle, il aurait entendu débiter comme article de foi, que la mère de Dieu a été conçue sans péché. En vérité, l'on ne sait, si l'on a affaire à des fous ou à des fourbes, s'il faut renfermer ces gens dans une maison de santé ou dans une maison de force.

Semler ne croit point que la foi en certains dogmes constitue l'essence de la religion et soit une condition de salut. C'est une idée catholique, dit-il, elle n'a d'autre fondement que l'intérêt d'une Église avide de domination. Voilà Semler d'accord avec les philosophes. Voltaire aussi s'en prenait à la théologie et à l'ambition insatiable de l'Église. Qu'est-ce qui fait donc l'essence du christianisme et de toute religion? C'est la rénovation intérieure, répond le théologien allemand (2). C'est une vie pure, répondent les philosophes. Les réponses ne différent que par la forme, elles sont identiques au fond. Seulement il y a plus de sentiment religieux chez Semler et plus de philosophie chez Voltaire. C'est cette essence du chris

(1) Semler, Zusætze zu Barrington, pag. 44. — Unterhaltungen, pag. 74-82, 96, 97. (2) Idem, Versuch, pag. 489.

tianisme qui est immuable, continue le théologien allemand, et les libres penseurs aussi disent que leur morale est éternelle. Nous voilà en apparence ramenés à l'immutabilité, mais ce n'est qu'en apparence. Sans doute on peut dire qu'il y a dans la religion comme dans la morale une loi invariable. Jésus-Christ l'a formulée en disant Soyez parfaits comme votre Père dans les cieux. Les philosophes aussi donnent pour mission à l'homme de se perfectionner sans cesse. Mais la question est de savoir en quoi consiste la perfection. Et la réponse n'est certes pas la même à toutes les époques de l'humanité. Que l'on compare les sentiments des premiers chrétiens avec les nôtres, et l'on verra qu'un abîme les sépare. Les chrétiens croyaient qu'il fallait fuir le monde, afin de se sanctifier dans le commerce solitaire avec Dieu. Nous croyons qu'il faut rester dans le monde, et agir au lieu de prier. Ne diraiton pas deux religions contraires? Cependant la conception des premiers chrétiens remonte à Jésus-Christ. Si nous avons une idée toute différente de notre destinée, ne faut-il pas dire que notre religion n'est plus celle du Christ?

Ici Semler proteste; il ne veut pas que le progrès conduise à une nouvelle religion. Ce sera toujours le christianisme, dit-il. De son temps un homme moitié savant, moitié mystique, Swedenborg, soutenait que les croyances des chrétiens, telles qu'elles étaient arrêtées par les conciles, ayant changé, il fallait fonder une nouvelle Église, édifier une nouvelle Jérusalem. Il citait comme exemple, le péché originel, la justification par la foi, ces dogmes si chers aux réformateurs du seizième siècle, et qui au dixhuitième étaient désertés à l'envi ou profondément modifiés par les orthodoxes eux-mêmes. Peu importe, répond Semler. Ce ne sont pas les dogmes qui constituent la religion; la religion peut donc rester la même, quoique les dogmes se modifient (1). Cela suppose que les dogmes n'exercent aucune influence sur notre manière de penser et de sentir; or, il est évident que cette influence est profonde. Que l'on voie au dix-septième siècle les disciples sévères de saint Augustin, les solitaires de Port-Royal, que l'on compare leur religion avec celle des jésuites, qui s'écartaient de la doctrine rigoureuse du Père latin, et que l'on dise s'il

(1) Semler, Unterhaltungen, pag. 252, ss.

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