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faite laquelle ignore la vie future? Il y a une autre révélation qui a l'ambition de compléter la loi naturelle, en y ajoutant des mystères. Ceci est une nouvelle impossibilité. Conçoit-on que Dieu ait laissé les hommes pendant des milliers d'années dans l'ignorance des vérités nécessaires à leur salut? Cela est incompatible avec la sagesse comme avec la bonté de l'Être qui est toute sagesse et toute bonté. Il ne peut donc y avoir de vérités nouvelles dans une religion révélée. Partant il n'y a point de mystères, et la révélation qui consiste en mystères est une illusion.

Telle est la vraie pensée des déistes. La perfection de la loi naturelle est une arme de guerre. Mais les armes qui ne sont que des instruments de démolition, sans être fondées sur la vérité, sont dangereuses elles peuvent être tournées contre celui qui les emploie. Les apologistes, qui sont d'une faiblesse extrême tant qu'il s'agit d'établir la nécessité d'une intervention miraculeuse de Dieu, regagnent de l'avantage quand ils attaquent la loi naturelle. Il ne leur est pas difficile de prouver que la perfection et l'immutabilité de cette loi sont une chimère. Ils nient que l'homme soit le même dans son enfance et dans son âge mûr; enfant, il n'a que des instincts; adulte, il jouit de sa raison. Dira-t-on que la même loi suffit pour l'enfant au berceau et pour l'homme fait? La réalité donne à chaque pas un démenti à des rêveries pareilles. Consultez les croyances des peuples, vous les verrez varier selon les lieux et les temps. Les orthodoxes concluent de là que la loi naturelle n'a jamais qu'une vérité relative; elle est parfaite, eu égard aux circonstances. Mais la perfection relative n'est point la vérité absolue. Celle-ci ne peut émaner de l'homme, ce serait dire que l'imperfection engendre la perfection. Dieu seul peut révéler la vérité entière (1).

Les déistes anglais étaient par système hostiles à l'idée d'une religion progressive. Chez les philosophes français la perfectibilité joue un grand rôle. C'est ce dogme qui les inspire, ils en sont les apôtres. Mais ils ne l'appliquent pas à la religion, ils n'admettent pas que la religion soit perfectible. Pour eux le progrès, en fait de religion, consisterait à n'en-plus avoir. Ils la confondent avec la superstition, ils n'y voient qu'une œuvre d'erreur

(1) Leland, a Defence of christianity, t. I, pag. 27.

et d'imposture. Une révélation progressive de la vérité religieuse eût donc été à leurs yeux le comble de l'absurde. Toutefois, sans en avoir conscience, les libres penseurs, les incrédules mêmes ont travaillé à édifier la religion de l'avenir. Si l'homme est perfectible, toutes les manifestations de sa pensée doivent obéir à cette loi de sa nature. Ou le progrès n'existe point, ou c'est une loi générale. C'est bien ainsi que les philosophes l'entendaient. Ils excluaient la religion de leur système, parce qu'ils n'y voyaient que fraude et bêtise. Mais ils maintenaient la religion dans son essence, sous le nom de loi naturelle ou de morale. La loi naturelle doit être perfectible, aussi bien que la philosophie dont elle est une dépendance. Cela revient à dire que la religion est progressive. Ce ne furent pas les libres penseurs qui tirèrent cette conclusion. Ils dédaignaient trop la religion, pour la comprendre dans leurs espérances et leurs aspirations. Il faut entrer dans le camp de la Réforme, pour rencontrer le premier germe de la révélation progressive.

N° 3. L'idée de la religion perfectible

I

Les premiers pas des réformés dans la voie du progrès furent bien timides, et il n'en pouvait être autrement. En effet le protestantisme orthodoxe maintient le dogme de la divinité du Christ, partant l'idée d'une révélation miraculeuse. Admettre que la religion chrétienne est perfectible, n'était-ce pas dire que la raison de l'homme peut perfectionner l'œuvre de Dieu ? Pour qu'il y eût progrès dans une religion émanée de Dieu, il ne faudrait rien moins qu'une nouvelle révélation. Des sectaires chrétiens, et parmi eux un Père de l'Église, rêvèrent une troisième révélation, celle du Saint-Esprit, tandis qu'ils attribuaient les deux premières au Père et au Fils (1). Ces rêveries n'étaient pas du goût du dix-huitième siècle, siècle philosophique, dont l'esprit inspirait ceux-là mêmes qui combattaient les philosophes. Restait le principe du

(1) Voyez mes Études sur le Christianisme et sur la Réforme.

développement, imaginé par les catholiques pour concilier, une révélation immuable avec les nécessités de la vie essentiellement changeante et progressive. Mais précisément parce que cette doctrine était d'origine romaine, elle était suspecte aux protestants; ils ne pouvaient pas l'accepter, car en l'acceptant il leur eût fallu retourner dans le sein de l'Église dont le despotisme avait provoqué la réforme.

Cependant les réformés du dix-huitième siècle voyaient que des modifications considérables s'étaient opérées dans leur foi, quand ils la comparaient à celle des réformateurs. Comment expliquer cette transformation? comment concilier le changement, le progrès avec la révélation miraculeuse de la vérité? Ils se tirèrent d'embarras par une distinction, qui elle-même est une révolution. Il ne faut point confondre, disent-ils, la religion et la théologie. La religion est dans son essence un mouvement intérieur qui régénère l'âme. La théologie est la science des dogmes. Il n'y a que la religion qui soit divine; quant à la théologie, elle est l'œuvre de l'esprit humain comme toutes les sciences; elle est donc changeante, elle obéit à la loi du progrès. Telle est la doctrine de Semler, confuse et indigeste, comme tout ce que cet homme estimable a pensé et écrit (1). Il est facile de se convaincre que la distinction est fausse. Si la théologie obéit à la loi du progrès, il en doit être de même de la religion. Laissons d'abord la parole au célèbre théologien.

Semler est un chrétien sincère; élevé par les piétistes, il conserva toujours cette piété intime qui caractérise les vrais disciples du Christ. Toutefois il y a chez lui un souffle du dix-huitième siècle, non de son incrédulité, mais du sentiment de la perfectibilité qui était la religion des philosophes. Il n'hésite pas à déclarer la philosophie perfectible, il aime à citer les paroles de Sénèque et de Bacon qui ouvrent des horizons infinis à l'esprit humain. Si la science est progressive, n'en doit-il pas être de même de la religion? A cette question, Semler ne donne pas de réponse nette et précise. Pour la théologie, il est d'accord qu'elle est essentiellement changeante; dans son langage aussi bizarre, aussi obscur que sa pensée, il dit que chaque âge a sa théologie

(1) Semler, Erklærung über einige theologische Aufgaben. (Préface.)

locale; il en résulte que la foi chrétienne ne reste pas toujours la même. «< Moi-même, dit-il, en lisant les dogmatiques écrites au seizième et au dix-septième siècle, je sens que je ne partage plus les croyances des théologiens de cette époque. » Et sur quoi porte le dissentiment? Sur des points qui constituaient l'essence de la Réforme, telle qu'on la comprenait alors: « Je ne puis pas croire, continue Semler, que l'homme naisse en état de péché mortel, ni qu'il soit damné en naissant (1). »

Qui ne voit que le christianisme de Semler n'est pas celui des réformateurs? Il ne croit pas au péché originel, tel que Luther et Calvin le définissent. Mais si l'homme n'est pas profondém ent déchu, à quoi bon un Réparateur? Il ne croit pas que l'homme dans son état naturel soit damné. Alors à quoi bon un Sauveur? Pourquoi le Fils de Dieu s'est-il incarné, si les hommes pouvaient se sauver avant sa venue, et sans le secours de sa révélation? Retranchez la chute et ses terribles conséquences, le christianisme qui restera sera une religion autre que le christianisme traditionnel. Il s'est opéré une profonde transformation dans les idées religieuses; cette transformation constitue un progrès, donc la religion est progressive. En vain Semler distinguet-il entre la religion et la théologie la théologie, à chaque époque, n'est que l'expression scientifique de la religion. Otez à saint Augustin son dogme du péché originel, vous lui enlevez par cela même sa religion, son christianisme. Que si Semler continue à se dire chrétien, tout en rejetant le péché originel, il est de toute évidence que sa religion n'est plus celle de saint Augustin. En effet, aux yeux du Père latin, comme aux yeux de tous les orthodoxes, catholiques ou protestants, la foi en certains dogmes fait l'essence de la religion. La religion de Semler ne se confond plus avec le dogme, puisqu'il rejette les croyances principales du christianisme traditionnel. Qu'est-ce donc que le christianisme du théologien allemand? En le dépouillant de son habit chrétien, il reste une religion de l'âme qui est très proche parente de la morale des philosophes ses contemporains.

Il va sans dire que Semler répudie l'autorité de l'Église, puisqu'il est protestant. Que pense-t-il de la Bible, cette arche sainte

(1) Semler, Lebensbeschreibung, t. II, pag. 223, ss. 347, s.

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de Luther, sans laquelle il n'y a plus de Réforme? Il n'en parle pas avec irrévérence, comme les philosophes. Mais tout en la respectant, il ne veut pas qu'on en fasse l'essence de la religion chrétienne. Semler se révolte contre l'étroitesse de cette conception il y voit un débris du particularisme juif. Pour le peuple de Dieu, la loi était un contrat intervenu entre le Créateur et une imperceptible minorité de ses créatures; tout le reste de l'humanité était étranger aux promesses comme aux espérances messianiques. Le point de vue de Semler est plus large, c'est au fond de celui de la philosophie. Dieu ne se révèle pas exclusivement à un petit peuple de l'Orient : universel de son essence, sa parole est aussi universelle. Mais il ne parle pas le même langage à tous les hommes; ici ce sont des prophètes qui lui servent d'organes, là ce sont des poètes ou des philosophes. N'est-il pas ridicule de vouloir faire de l'une des faces de la révélation divine la loi de tout le genre humain, jusqu'à la consommation des siècles (1)! Les livres saints, de même que tous les livres, sont destinés à un certain public, à des lecteurs, à des auditeurs imbus de certaines idées, et même de certains préjugés. La Bible s'adressait aux Juifs et non aux Grecs. Or, dit Semler, et il le répète à satiété, nous ne sommes pas des Juifs: notre langue, nos sentiments, nos mœurs, tout a changé. Pourquoi donc veut-on nous imposer comme loi de salut des livres, que nous ne comprenons même plus, ou que nous ne parvenons à comprendre que par des efforts de science (2)?

Semler en dit autant des Évangiles et des Épîtres des apôtres. Il est absurde de confondre le christianisme avec des livres qui furent composés pour des besoins particuliers, qui s'adressaient à un public très restreint, et qui par conséquent devaient s'accommoder aux goûts, aux tendances, aux préjugés de ceux que les disciples de Jésus-Christ voulaient convertir. A qui étaient destinés les premiers écrits évangéliques? Aux Juifs et aux Gentils. Il faut répéter ici ce que Semler vient de dire nous ne sommes pas plus des Grecs et des Romains du siècle d'Auguste, que nous ne sommes

(1) Semler, Zusätze zu Lord Barringtons Versuch über das Christenthum und den Deismus, pag. VIII.

(2) Idem, Unterhaltungen mit Herrn Lavater über die freie praktische Religion, pag. 122-124, 134.

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