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la vérité absolue, peu importe qui en est dépositaire, l'Église ou les fidèles. Or, la vérité absolue est une fiction. L'Église catholique ne la possède pas plus que les chrétiens réformés. Supposons un instant qu'il soit possible à l'homme, être imparfait, de posséder la vérité absolue, il est évident qu'il ne pourrait la connaître que par une révélation miraculeuse de Dieu. Supposons encore que cette révélation existe, il faudrait de plus un organe de la vérité révélée. Supposons que ce soit l'Église; il faudrait savoir ce que c'est que l'Église. Sur ce point il y a une incertitude complète; nous l'avons prouvé ailleurs les uns disent que l'Église c'est la réunion des fidèles, les autres que ce sont les conciles, enfin les plus orthodoxes parmi les orthodoxes veulent que ce soit le pape, mais ceux-ci mêmes ne s'entendent pas sur les conditions requises pour que le papè soit infaillible (1). Nous voilà bien avancés avec toutes nos suppositions. Même en accordant tout aux défenseurs de la révélation, nous aboutissons à l'incertitude la plus absolue. Car qu'est-ce qu'une certitude qui a pour organe un être insaisissable? Une certitude bâtie sur une incertitude est bien la plus absurde des absurdités.

Laissons-là cette série de suppositions, les unes plus chimériques que les autres, et consultons les faits. A peine le christianisme existe-t-il, que déjà il se modifie. Qu'était-ce que la religion des apôtres qui avaient vécu avec le Christ? Ils suivaient le mosaïsme dans toute sa rigueur, ils n'étaient pas même chrétiens de nom. Vient saint Paul; une violente division éclate entre les disciples du Christ et le nouveau venu. Celui-ci a son Évangile à lui, il déclare qu'il ne le tient pas des hommes. En effet, les différences qui le séparent des Douze sont radicales: il s'agit de savoir s'il y aura un christianisme, ou si les disciples du Christ ne formeront qu'une secte juive. Quelle est l'essence du christianisme de saint Paul? C'est la foi; si on le compare avec celui de saint Jacques qui prêche les œuvres, on dirait deux religions différentes. Il y a un fait plus remarquable encore. A entendre les apologistes modernes, tout est perdu, il n'y a plus de religion, si elle ne vient pas de Dieu; ôtez la divinité du Christ, il n'y a plus de christianisme. Cependant les premiers disciples de Jésus ne croyaient

(1) Voyez le t. XII de mes Études sur l'histoire de l'humanité.

point que leur maître fût Fils de Dieu; si on leur avait parlé de Trinité, ils n'auraient pas compris. Qu'est-ce à dire? La foi des apôtres n'était donc pas celle des orthodoxes modernes ! Que l'on parcoure tous les dogmes, l'on n'en trouvera pas un seul qui soit établi du temps des apôtres. D'après nos apologistes, il faudrait dire que les apôtres n'étaient pas chrétiens et qu'ils n'ont pu faire leur salut que par une grâce miraculeuse de Dieu. O merveilleuse unité! ô admirable certitude!

Pour sauver l'immutabilité de la foi révélée, les défenseurs du christianisme sont obligés de recourir à une fiction. Toujours des fictions; là où nous cherchons la certitude! On dit que les dogmes chrétiens ont toujours été les mêmes: ils étaient du temps de Jésus-Christ ce qu'ils sont aujourd'hui, seulement ils se sont développés successivement, ils ont pris plus de précision et d'évidence. Nous reviendrons sur cette théorie, qui n'a été inventée que pour le besoin de la cause. Pour le moment, nous demandons où est la certitude au milieu de ce prétendu développement? La foi est si peu certaine qu'il y a tel dogme certain aujourd'hui qui jadis était nié. Il faut croire aujourd'hui, sous peine de damnation, à l'immaculée conception de la Vierge. Est-ce que cette croyance a toujours été certaine? La question ressemble à une dérision, quand on sait que saint Thomas niait ce prétendu dogme, et il n'était point le seul. Est-il sauvé, sans avoir cru à l'immaculée conception? Alors que devient la certitude de la foi? N'est-il pas sauvé? Alors que devient sa béatification? Sans doute que Dieu aura envoyé l'ange Gabriel à saint Thomas, au moment de sa mort pour lui révéler un dogme promulgué cinq siècles plus tard. Quelles pauvres chicanes inventées pour sauver la vérité révélée, la vérité absolue, immuable, certaine !

On prétend que la religion ne peut s'établir par des voies humaines. Nous pourrions répondre, en citant le mahométisme, le bouddhisme, le mosaïsme même, selon les juifs modernes. Ce qui est vrai de toutes les religions connues, ne le serait-il pas du christianisme? Pour ceux qui étudient l'histoire, la question n'en est plus une. Il n'y a pas un dogme dont on ne puisse déterminer la naissance et la formation successive. C'est le Saint-Esprit, disent les chrétiens, qui a inspiré les conciles. Non, répond l'histoire, c'est tantôt la philosophie, tantôt la superstition et l'igno

rance, parfois les intrigues de cour, la volonté des empereurs ou les caprices de leurs eunuques. Voilà certes des voies humaines, s'il en fut jamais. Les défenseurs du christianisme contestent en vain; les faits sont là, incontestables. Tout ce qu'on peut leur accorder, c'est que les fidèles ont pris ces voies humaines pour des voies surnaturelles, ce qui, dit-on, implique toujours que la religion s'établit par la croyance dans une révélation miraculueuse. Il est vrai que c'est ainsi que le christianisme s'est formé. Mais il est vrai aussi que cette croyance était le fruit de l'erreur, parfois de la fraude, car la fraude a été employée pour répandre des dogmes. Dire, comme font les défenseurs du christianisme traditionnel, que, hors de la révélation, il n'y a point de religion possible, c'est donc dire que la religion est essentiellement fondée sur la superstition ignorante et crédule. Voilà une belle découverte! C'est le langage que tenaient, au dix-huitième siècle, les ennemis les plus acharnés du christianisme (1)!

Il y a une autre conclusion à tirer des faits que nous venons de rappeler. Non, la foi n'a jamais eu la certitude absolue que les apologistes du christianisme revendiquent, et si elle ne l'a pas eue, c'est que la chose est impossible. Les hommes peuvent-ils posséder la vérité absolue? Un libre penseur du dix-huitième siècle répond qu'il faudrait envoyer aux petites maisons ceux qui affichent une prétention aussi folle. Lamennais est d'accord avec Bolingbroke; écoutons le fougueux ultramontain, converti à la philosophie. « La vérité croît, s'élargit sans cesse, parce qu'en elle-même elle est infinie. Elle sort, telle qu'un fleuve divin, de son éternel principe, arrose et féconde l'univers jusqu'en ses profondeurs les plus reculées, portant sur ses célestes ondes les intelligences qui s'abreuvent d'elle, et, dans son invariable cours que rien n'arrête, que rien ne retarde, les élevant peu à peu vers la source d'où elle est partie. Et puisqu'elle est infinie, nul, quel qu'il soit, à quelque point du temps qu'il lui ait été donné d'être, ne saurait se flatter de la posséder complétement, Entre elle et lui quelle proportion, quelle mesure commune? Coquille imperceptible qui, sur le rivage, se dirait : J'ai en moi l'Océan! Point d'état donc plus déraisonnable que de rester immobile dans les mêmes

(1) Bolingbroke, Philosophical works, t. II, pag. 247.

idées, quand elles ne sont pas de celles qui forment en quelque manière le lit sur lequel coule perpétuellement la vérité progressive. Car cet état implique ou la persuasion que l'on sait tout, que l'on a tout vu, tout conçu, ou la volonté de ne pas voir plus, de ne pas concevoir mieux; et lorsque, en outre, on prétend faire de cette idée quelconque à laquelle on s'est cramponné en passant, comme à une pointe de rocher pendante sur le fleuve, la station dernière de l'humanité, aucune langue ne fournit de mot pour exprimer un pareil excès d'extravagance (1). »

N° 2. La révélation est progressive de son essence.

I

Si l'on considère l'homme dans son imperfection, il est impossible qu'il conçoive ni qu'il possède la vérité absolue. Les défenseurs de la révélation miraculeuse reconnaissent volontiers ce fait, ils aiment à exagérer la faiblesse de nos facultés, mais c'est pour en conclure la nécessité d'une intervention extraordinaire de Dieu. Il nous faut donc voir si ce qui n'est pas possible, humainement parlant, le devient quand c'est Dieu qui révèle la vérité. Pour que les hommes pussent concevoir la vérité absolue, il faudrait un premier miracle, et le plus incompréhensible de tous; il faudrait que Dieu commençât par changer la nature humaine, afin de la rendre capable de recevoir les communications surnaturelles qu'il lui voudrait faire; c'est à dire qu'il faudrait que les hommes cessassent d'être des hommes, des êtres imparfaits, pour participer de la nature divine en devenant des êtres parfaits. Qui ne voit que c'est là une chimère? Nous n'avons qu'à ouvrir l'Écriture Sainte pour nous convaincre que ceux-là mêmes que Dieu choisit comme organes de sa parole, restèrent des créatures imparfaites et faillibles, ne différant en rien des autres hommes, partageant leurs erreurs, leurs préjugés, leurs su

(1) Lamennais, du Catholicisme dans ses rapports avec la société politique. (OEuvres, t. VII, pag. 4, éd. Pagnerre.)

perstitions. Que l'on nous dise en quoi consistait la perfection des apôtres ? Tout ce que l'Écriture dit de leurs facultés extraordinaires, c'est qu'ils possédaient le don dès langues, et qu'ils chassaient les démons; le premier de ces dons ne nous est attesté par aucun témoignage historique, le second prouve à l'évidence qu'ils étaient imbus des préjugés du vulgaire. La révélation les laissa donc dans l'état où ils étaient avant la venue du Christ. Paul, persécuteur des chrétiens, et Paul apôtre est le même homme, sauf qu'avant sa conversion, il ne croyait point au Christ, ni à sa résurrection, tandis que, après sa conversion miraculeuse, il y croit. Tout s'est passé dans le domaine de la foi; l'intelligence est restée la même; done on ne voit pas comment Paul, devenu chrétien, aurait eu la faculté de comprendre la vérité absolue, qu'il n'avait point étant juif.

Ce premier miracle ne suffit pas pour expliquer la révélation de la vérité absolue. Saint Paul et les Douze reçurent la mission de prêcher la bonne nouvelle aux nations. A en croire l'apôtre des Gentils, l'Évangile fit le tour du monde déjà de son vivant. Si la parole de Dieu est la vérité absolue, il faut dire que Dieu, par un miracle incessant, changea la nature des hommes auxquels s'adressèrent les disciples du Christ. Pour le coup la supposition devient ridicule! La bonne nouvelle n'était reçue, au témoignage même des écrivains chrétiens, que par les pauvres d'esprit, les ignorants. Voilà donc les femmes et les esclaves, la lie de la société transformée à ce point qu'ils deviennent capables de concevoir ce que les Platon et les Aristote n'auraient pu comprendre! Ce n'est pas tout cette transsubstantiation, qui fait participer à la perfection divine les plus imparfaites de ses créatures, doit se reproduire à chaque instant, jusqu'à la consommation des siècles. Quand commence l'initiation du chrétien? A un âge où il n'a pas encore conscience de lui-même avant que sa raison se soit éveillée, on lui enseigne la prétendue vérité absolue, à peu près comme on l'enseignerait à un perroquet. Encore une fois, ce que Platon et Aristote n'auraient pu concevoir, des enfants de cinq à dix ans le comprennent! Mais le prodige, vu de près, s'évanouit. Nos enfants sont après le baptême ce qu'ils étaient avant, et le catéchisme n'a pas davantage changé leur nature. En définitive, tous les miracles que l'on doit supposer pour expliquer la possi

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