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religion; ce que nous appelons religion naturelle est à leurs yeux une pure fiction. L'origine du débat remonte au dix-huitième siècle, et il faut nous y arrêter. Il nous conduira à une conclusion tout ,autre que celle des orthodoxes. L'incrédulité et le matérialisme sont les excès du mouvement antichrétien; pour le comprendre et l'apprécier, il faut pénétrer au delà des apparences, et là nous trouverons une idée qui nous console de tous ces écarts, celle d'une religion progressive; la révélation naturelle par l'intermédiaire de l'humanité prend la place de l'antique révélation par l'intermédiaire des prophéties et des miracles.

Pourquoi les partisans du passé disent-ils que la religion est nécessairement révélée, et que la révélation ne peut procéder que de Dieu ? Parce que, selon eux, il est de l'essence de la foi d'avoir la certitude complète, absolue des vérités religieuses; elle n'est autre chose, disent-ils, que cette certitude. Or, les croyances né sont certaines que pour autant qu'elles émanent de Dieu, car lui seul est la vérité. Si l'on admet que les dogmes sont d'origine humaine, on pourra les déclarer perfectibles tant que l'on voudra, ils deviendront discutables, comme tout ce qui procède d'une raison imparfaite, partant ils seront incertains de leur essence. Tel est le système des orthodoxes. Il suppose d'abord que la religion révélée a la certitude que l'on conteste à la religion non révélée. Il suppose encore que la religion révélée est l'expression de la vérité absolue, immuable. Examinons; il ne nous sera pas difficile de prouver que ces suppositions sont autant d'illusions de la foi, quand elles ne sont pas le résultat d'un calcul intéressé.

II

La révélation, dit-on, donne la certitude de la vérité nécessaire au salut. Si nous demandons aux orthodoxes comment, par quelle voie le croyant acquiert cette certitude, nous n'aurons pour réponse que doute, dispute, et incertitude. Il y a orthodoxes et orthodoxes les catholiques prétendent qu'eux seuls ont la vraie foi, celle qui sauve : les protestants contestent, et soutiennent que ce sont eux qui professent le vrai christianisme. Voilà déjà la certitude singulièrement compromise. Nous avons én réalité deux ré

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vélations; c'est dire, au point de vue de la certitude, que nous n'en avons aucune. C'est donc la révélation qui devient une fiction. A ce titre, la religion naturelle vaut bien la révélation; disons mieux, elle a la seule certitude qu'une doctrine puisse avoir, celle qui ré- ̧ sulte de la raison. La révélation ne peut nous donner aucune assurance de la vérité de ses dogmes, car elle ne s'adresse ni à la raison, ni à l'âme, ni à la conscience de l'homme, mais à la foi aveugle.

Les croyants répondent : « Qu'importe? pourvu que cette foi aveugle nous donne la certitude que la raison est impuissante à procurer. Qu'importe même le dissentiment entre catholiques et protestants? Les uns et les autres ont la certitude de la vérité, et ce n'est que de la certitude qu'il s'agit ». Il nous faut donc examiner les choses de plus près. Les catholiques disent que la certitude des réformés est une mauvaise plaisanterie, et ils n'ont point tort. Elle repose sur l'Écriture Sainte; on suppose qu'elle est d'une évidence telle que tout esprit sensé est forcé de s'y rendre. Or, si jamais supposition fut le contre-pied de la vérité, c'est celle-là. Un évêque anglican, homme aussi savant que pieux, nous dira ce qu'il faut penser de la clarté des livres saints. «Il y a, dit Taylor, une infinité de passages dans les Écritures qui contiennent de grands mystères, mais enveloppés de nuages si épais, obscurcis d'ombres si impénétrables, enrichis de tant d'allégories, et si cachés par la manière dont le sujet est quelquefois déguisé, qu'il semble que Dieu ait eu le dessein de nous les donner pour exercer notre esprit, nous convaincre de notre incapacité, nous faire supporter charitablement les uns les autres sur le fait de la religion, et nous humilier nous-mêmes, plutôt que pour y trouver les principes de notre créance et les articles de notre foi (1)». Si le docteur anglican avait voulu faire la satire de la certitude protestante, il n'aurait pu s'y prendre mieux. O admirable certitude que celle qui est enveloppée d'épais nuages et obscurcie d'ombres impénétrables! Si les mystères ont été révélés à l'homme pour exercer sa raison, pour lui inspirer l'humilité, la charité et la tolérance, Dieu pouvait s'épargner la peine d'intervertir les lois de la nature : l'étude de l'homme suffit amplement pour prouver qu'il est une créature

(1) Taylor, Euvres polémiques, pag. 905, s.

imparfaite, faillible et que partant la première loi de ses relations avec ses semblables doit être l'indulgence. A ce titre la religion naturelle vaut la religion révélée; il faut dire plus, elle est infiniment plus claire et plus certaine, car elle ne crée point de mystères pour le plaisir de cacher et de déguiser la vérité.

Écoutons encore notre docteur anglican, ce sont des aveux précieux qu'il importe de consigner. « Il se rencontre, dit Taylor, en plusieurs endroits de l'Écriture, un double sens, qui est tantôt littéral, tantôt spirituel; et qu'il faut encore subdiviser, car le sens littéral est ou naturel ou figuratif, et le spirituel est quelquefois allégorique et quelquefois analogique; d'autres fois une seule. et même phrase comprend plusieurs sens littéraux (1)». Comment avec ce double et ce quadruple sens parviendra-t-on à créer une certitude? N'est-ce pas se moquer du monde que de parler d'une vérité certaine, alors qu'une seule et même phrase est susceptible d'une demi-douzaine d'interprétations diverses? Notre pieux prélat va nous dire en quoi consiste la certitude de la foi révélée : « L'Écriture représente à la pensée de différentes personnes, et même d'une seule, des choses tout à fait dissemblables, quelquefois contraires, et souvent remplies de variétés. Ce qui est si ordinaire à l'Écriture, que, s'il ne s'agissait pas d'une chose aussi sérieuse et aussi sacrée, il y aurait de quoi se divertir, en voyant à combien de desseins différents, on peut faire servir un même passage (2) ». Pour les libres penseurs, il est vrai, il y a de quoi se divertir. On leur dit que la loi naturelle n'est qu'une fiction, parce qu'elle manque de certitude; on oppose à la diversité de leurs systèmes l'immutabilité de la révélation. Et il se trouve que cette révélation si certaine varie d'un individu à l'autre, que dis-je? elle varie chez une seule et même personne, en sorte que nous avons autant de religions que d'hommes, et que le même homme a des croyances diverses, selon que tel ou tel sens de la parole de Dieu frappe davantage son esprit. O admirable certitude!

Cela n'empêche pas, disent les réformés, qu'il n'y ait une foi chrétienne, tandis que la religion naturelle n'existe que dans les livres où il en est traité. Pour savoir ce qu'il en est, il faut exami

(1) Taylor, Œuvres polémiques, pag. 967.

(2) Idem, ibid., pag. 970.

ner comment se forme et se transmet la foi protestante. Il est évident qu'elle ne repose point sur l'Écriture. Qui apprend au luthérien que les paroles du Christ, dans l'institution de la cène, doivent être entendues dans le sens qu'y attache la confession d'Augsbourg? Qui apprend aux calvinistes que le sens luthérien n'est point le vrai? Qui apprend aux arméniens, aux sociniens, aux quakers que toutes ces interprétations sont fausses, et que la leur est vraie? Ce n'est certes pas l'Écriture, puisque les paroles sont les mêmes pour tous ceux qui la lisent. Est-ce que par hasard chaque secte a une révélation qui lui explique le sens de la révélation générale? Les choses se passent d'une façon plus naturelle. Chaque secte a sa confession, et chaque croyant apprend cette confession, à un âge où il ne lui est même pas possible de comprendre ce qu'on lui enseigne. C'est le hasard de la naissance et le catéchisme d'Heidelberg qui font qu'un chrétien est luthérien, réformé, anabaptiste ou trembleur. Supposez qu'au lieu du catéchisme d'Heidelberg ou enseigne aux enfants celui des unitairiens, ou mieux encore, celui des déistes, vous aurez la même certitude. Ce n'est point la révélation qui la produit, c'est la tradition qui la transmet de génération en génération par la voie de l'enseignement. La religion naturelle peut avoir cette certitude, aussi bien que la religion révélée, et de fait, elle l'a; car qu'est-ce que la confession des unitairiens sinon la religion naturelle?

Les catholiques disent que la certitude des réformés, de même que celle des philosophes, est dérisoire. En effet la certitude de la foi ne suppose-t-elle pas l'unité? Comment peut-elle exister là où la foi varie d'un individu à l'autre? Mille certitudes qui se contredisent produisent inévitablement l'incertitude, le doute, le scepticisme, l'incrédulité. On sait comment les catholiques maintiennent l'unité de la foi tout ensemble et sa certitude: c'est l'Église, instituée par Dieu même, qui est l'organe infaillible de la foi. Cela serait excellent, si une révélation divine nous donnait l'assurance de la mission de l'Église et de son infaillibilité. Les libres penseurs du dernier siècle demandent qu'on leur prouve l'autorité de l'Église. Rien de plus facile, répond Bergier; il suffit d'établir que nos pasteurs descendent des apôtres, lesquels ont transmis à leurs successeurs la mission qu'ils tenaient du

Christ (1). Oui, rien de plus facile pour celui qui croit d'avance à ce qu'il faut prouver. Mais il s'agit de convaincre les incrédules, et cela n'est pas aussi facile. La démonstration de Bergier suppose d'abord que les apôtres ont reçu une mission du Fils de Dieu. Voilà toute la révélation en cause. Or, il y a bientôt deux mille ans que les libres penseurs défient les apologistes de leur prouver la divinité de Jésus-Christ et la divinité de l'Église, et ils sont de moins en moins convaincus de ce dont on veut les convaincre. L'autorité de l'Église se fonde sur l'autorité de l'Écriture. Et sur quoi repose l'autorité de l'Écriture? Sur le témoignage de l'Église. Cercle vicieux, s'il en fut jamais. En fait, les croyants se font la tâche plus facile. Ils apprennent à croire avant de savoir penser; et on leur inculque une foi si robuste, si aveugle, qu'ils renoncent pour toute la vie à l'usage de la raison. Qui produit cette foi inébranlable? Le catéchisme et le curé.

Nous ne dirons pas que la religion naturelle engendre une certitude aussi inébranlable. Dieu nous garde d'une foi qui tue la raison ou qui la vicie! Nous pourrions l'avoir, que nous la repousserions comme un don funeste. Les catholiques ne voient pas dans quel abîme ils poussent la société. Si décidément la foi doit être absolue, il faut faire taire la raison; pour lui imposer silence, il faut lui mettre des chaînes; or la raison ne se laissera jamais mettre aux fers. Du jour donc où il serait prouvé que la liberté est incompatible avec la foi, l'humanité rejeterait la foi, et comme d'après les catholiques, il n'y a point de foi possible hors de leur Église, l'on arriverait fatalement à cette conséquence, que la religion est une superstition qui s'en va avec le progrès de la raison. Si c'est là défendre la cause de la religion, nous voudrions bien savoir comment on la perd.

III

Hâtons-nous d'ajouter que la doctrine chrétienne sur la certitude de la foi n'a point de fondement solide. On veut que la foi soit absolue, sans nuage et sans doute. Cela suppose la possession de

(1) Bergier, le Déisme réfuté, pag. 121-149.

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