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res disciples de saint Augustin. Par la même raison, dit-il, on peut croire que la mort du Christ sauve ceux qui sont nés depuis sa venue, mais qui n'ont jamais entendu parler de la révélation chrétienne (1). Comment le sacrifice de Jésus peut-il sauver ceux qui l'ignorent? C'est un mystère nouveau que les théologiens ont imaginé, mystère aussi absurde que celui qu'il doit expliquer ou justifier. Les catholiques ont la tâche plus facile; ils ont à leur disposition des légions d'anges, pourquoi ne les emploieraient-ils pas? Ils se tirent donc d'affaire en envoyant obligeamment un ange instruire quiconque, dans une ignorance invincible, aurait vécu moralement bien. Oh! la belle invention que cet ange! s'écrie Rousseau. L'ange ne vous va point; nous avons encore le SaintEsprit. Dans toute hypothèse, Dieu lui-même doit intervenir directement ou indirectement, afin de sauver ceux qui seraient damnés pour avoir ignoré sa révélation. Oh ! la belle chose que la révélation! Elle ne parvient pas à sauver ceux auxquels elle révèle la loi de salut. Il faut que Dieu s'en mêle. Que ne se passe-t-il de révélation! Cela simplifierait de beaucoup la besogne.

Ange ou Saint-Esprit, sacrifice de Jésus-Christ, ou tout ce que l'on voudra imaginer pour sauver ceux qui sont en dehors de la religion révélée, la conséquence de toutes ces charitables inventions est la même : c'est que la révélation change de nature. Ce n'est plus la révélation impitoyable de saint Augustin, qui damne même Socrate et Marc-Aurèle; ce n'est plus la révélation qui est la seule condition de salut; c'est une révélation plus humaine qui permet de sauver les gentils, les juifs, les mahométans et les bouddhistes. Mais alors à quoi bon la révélation? Dans la doctrine augustinienne, elle est d'une nécessité indispensable : l'homme, depuis la chute, est sous la loi de mort; il lui faut un Sauveur, un Réparateur. Mais si, tout en étant sous le coup du terriblé péché originel, il peut être sauvé, alors qu'il n'a pas même ouï parler du Christ, à quoi bon le Christ et son incarnation miraculeuse? à quoi bon sa mort et sa résurrection? La révélation n'a plus de raison d'être.

Au dix-huitième siècle, il se trouva des apologistes qui jugèrent prudent de battre en retraite. Leland, l'adversaire en titre des

(1) Clarke, the Evidences of natural and revealed religion, pag. 270.

déistes anglais, avoue que la révélation n'est point la condition nécessaire du salut. C'était aussi l'avis de Clarke. Si la révélation n'est plus nécessaire, disent-ils, elle est néanmoins utile. Utile à quoi? Elle rend la loi naturelle plus claire, répond Leland, et elle lui donne plus de certitude. De sorte qu'en définitive la religion révélée n'est autre chose que la religion naturelle. Un adversaire de Rousseau, pasteur réformé, le dit en toutes lettres. Rousseau ne comprenait pas pourquoi il fallait une autre religion que la religion naturelle. Il n'en faut point d'autre, répond notre pasteur: « La révélation n'est qu'une exposition du théisme, mais beaucoup plus claire et plus détaillée (1). » Évidemment ce n'est plus là la vieille révélation; celle-ci avait pour objet essentiel de suppléer à l'insuffisance de la religion naturelle, en révélant des vérités que la raison n'aurait pu découvrir, parce qu'elles sont au dessus de la raison. Ces mystères disparaissent dans la révélation nouvelle; il ne reste que les vérités que la raison a découvertes par ses seules forces. Mais à quoi bon la révélation ainsi réduite? Elle est encore très utile, dit-on. Nous répondons, et les orthodoxes seront certainement de notre avis, que, si la révélation est seulement utile, elle devient inutile.

En quoi consiste en effet l'avantage de la révélation, si on la considère seulement comme utile? Elle donne plus de clarté, dit-on, plus de certitude à la loi naturelle. Si l'on parle de clarté, il faut commencer par élaguer la Trinité ainsi que tous les mystères. Mais alors que restera-t-il? On se rabat sur l'immortalité de l'âme, sur le culte qui est dû à Dieu. « Si Platon et Cicéron sont restés dans les ténèbres, dit-on, malgré leur génie, qui nous assure que nos philosophes modernes auraient su davantage, sans la révélation? Les ingrats! s'écrie Leland. Ils attaquent la révélation, et c'est à elle qu'ils doivent leurs lumières (2). » Nous avons répondu d'avance à l'apologiste anglais. La croyance d'une vie future ne nous vient pas des religions révélées les Gentils l'avaient, nos ancêtres les Celtes et les Germains l'avaient. Ils y mêlaient des erreurs. Nous l'accordons. Mais le christianisme enseigne-t-il par hasard la vérité? La vision béatifique nous

(1) Examen critique de la seconde partie du Vicaire savoyard, par A. J. R., pasteur à Londres, 1776, pag. 2.

(2) Leland, a Defence of christianity, t. I, pag. 97.

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donne-t-elle une idée bien claire de la félicité du paradis? Et les tortures éternelles de l'enfer ont-elles augmenté notre certitude sur la justice de Dieu ? Aux fables du paganisme, la théologie chrétienne a substitué des fables nouvelles. Il n'y a pas de quoi se vanter! Quant à la morale proprement dite, où est la clarté si grande, où est la certitude que l'Évangile a donnée à nos devoirs? Est-ce en les faussant par un spiritualisme excessif? est-ce en méconnaissant le mariage, en relâchant les liens de famille, en exagérant la charité? Que l'on compare les préjugés, les superstitions grossières des Pères de l'Église et des grands docteurs de moyen âge avec les idées et les sentiments des philosophes modernes, et que l'on décide, si c'est la révélation chrétienne qui a éclairé la philosophie! A quoi donc doivent-ils leur supériorité? A un élément de notre nature dont les défenseurs du christianisme ne tiennent aucun compte, à la perfectibilité de nos sentiments et de nos idées.

Les libres penseurs concluent que la révélation est inutile; dès lors il est certain qu'il n'y en a point. C'est pour s'être fait une fausse idée de la destinée humaine, que l'on a cru d'abord à la nécessité, puis à l'utilité d'une intervention miraculeuse de Dieu pour guider les hommes dans la voie du salut. Le salut, dans la doctrine chrétienne, est une chose mystérieuse, la délivrance du péché originel. Pour affranchir l'homme des suites d'un péché imaginaire, on se persuada qu'il fallait une action directe, également imaginaire, de la Divinité. Si le péché originel est un mythe, il n'est plus besoin d'un Rédempteur, ni d'une grâce surnaturelle qui sauve les uns, en laissant les autres sous le coup d'une damnation aussi cruelle qu'inconcevable. En répudiant ce dogme terrible, la destinée de l'homme change complétement. Le salut consiste dans un fait naturel, le développement harmonique de nos facultés. Quand il s'agit d'un fait naturel, une révélation surnaturelle de Dieu n'est point nécessaire : l'homme développe ses facultés par les seules forces de sa nature. Pour les facultés physiques, cela n'a jamais été contesté; pour l'intelligence, cela est tout aussi évident : l'on n'a pas encore nié que les anciens aient atteint un haut degré de culture, sans le secours d'une révélation miraculeuse. De qui tenons-nous notre civilisation? est-ce du peuple de Dieu, ou est-ce des Grecs et des Romains?

On prétend qu'il en est autrement de la culture morale. Ici encore la nature suffit, dès que l'on abandonne l'idée d'un salut surnaturel. On a essayé de représenter les vertus des païens, comme des péchés splendides. Que Dieu nous donne de ces péchés en lieu et place des vertus factices du christianisme révélé! Un illustre philosophe, qui se disait chrétien, mais qui vivait en libre penseur, Leibniz confondra le zèle étroit qui méconnaît la grandeur admirable des Socrate et des Marc-Aurèle : « Il est hors de doute, dit-il, que si même il n'y avait point de révélation, la droite raison suffirait pour nous enseigner les vertus intérieures, la piété, la probité de l'âme (1). » Voilà bien la sanctification dans sa plus haute expression. Que faut-il de plus pour le salut de l'homme? La philosophie répond que le salut consiste précisément à perfectionner notre intelligence, et à pratiquer la vertu. Et la doctrine des philosophes est devenue une conviction générale. Il n'y a plus que les défenseurs intéressés du christianisme traditionnel qui persistent à enseigner que les vertus morales ne suffisent point, qu'il faut la grâce, et que la grâce on ne l'a que dans le sein de l'Église. Mais ils prêchent dans le désert; bientôt les enfants mêmes ne les écouteront plus. Nous leur conseillons de faire leur deuil du salut miraculeux, ainsi que des voies miraculeuses enseignées par la révélation pour y arriver. S'ils s'obstinent à prêcher une doctrine qui répugne à la conscience, ils perdront le christianisme tout ensemble et l'Église.

§ 2. La révélation progressive

No 1. La Religion est-elle possible en dehors de la révélation

miraculeuse?

I

La croyance au surnaturel s'en va. Tel est le fait le plus considérable qui se produit au sein de l'humanité moderne. On ne croit plus à une chute mystérieuse, on ne croit plus à une réparation miraculeuse, on ne croit plus à un salut qui se gagne par des voies

(1) Leibniz, Epist. ed. Kortholt, t. III, pag. 247.

en dehors de la nature, on ne croit plus à des vérités qui contrarient ou qui dépassent la raison naturelle. Est-ce à dire qu'avec cet échafaudage de la révélation, la religion même doive s'écrouler? C'était bien l'espoir des philosophes du dix-huitième siècle; les plus modérés comptaient qu'ils écraseraient le christianisme. S'il leur était donné de revivre, grande serait leur surprise. Ils verraient l'humanité engagée dans une réaction religieuse, qui tend à restaurer les vieilles superstitions que Voltaire avait raison de traiter d'infâmes. A vrai dire, la réaction atteste moins la puissance du christianisme traditionnel que l'indestructible besoin que l'homme éprouve de croire. L'on a tort de confondre le mouvement religieux, qui est incontestable, avec la renaissance du catholicisme. S'il se trouve des fourbes pour fabriquer des miracles et des niais pour y croire, il y a aussi des libres penseurs qui ne veulent pas retourner aux autels désertés par leurs pères; il y a même bien des croyants qui, sans être philosophes, sont dans le même courant; ils se tiennent en dehors de l'Église ou, s'ils y restent, c'est par faiblesse. Il y a enfin les sectes les plus avancées du christianisme réformé qui sont d'accord avec la philosophie, pour rejeter la révélation surnaturelle. Quel est le but vers lequel tendent ces opinions plus ou moins hétérodoxes? Les uns prétendent rester chrétiens, les autres disent que pour des hommes n'ayant plus ni les idées ni les sentiments des premiers chrétiens, il faut une religion nouvelle. En réalité, le dissentiment n'existe que sur les mots : peu importe que l'on appelle christianisme ou religion nouvelle la transformation qui se fait dans les croyances, une chose est évidente, c'est que le christianisme des protestants rationalistes n'est plus l'ancien christianisme : l'on s'en aperçoit, rien qu'aux cris de colère qu'il excite chez les orthodoxes de toutes les couleurs. Ce christianisme n'a plus de chrétien que le nom ; il se confond avec le mouvement qui procède de la philosophie, ou pour mieux dire du travail insensible, mais incessant et progressif de la conscience humaine.

Les défenseurs du christianisme orthodoxe prennent ce mouvement en pitié : il aboutira, disent-ils, à l'incrédulité, à l'athéisme, ou il reviendra à la seule religion possible, au christianisme révélé. Selon eux, la révélation miraculeuse est de l'essence de la

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