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dire que ces fameux témoignages ne convainquent en réalité que ceux qui sont déjà convaincus. Pour ceux qui ont la foi, les miracles et les prophéties, ainsi que toute espèce de preuves, sont inutiles; à ceux qui ne croient plus parce qu'il leur est impossible de croire au surnaturel, on essaie en vain de prouver la révélation, car ils ne peuvent pas plus croire à ces prétendus témoignages, qu'à la révélation elle-même. Quand on sait ce que c'est que la foi, comment elle se forme, comment elle meurt, cela n'a rien d'étonnant, parce que cela est nécessaire.

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Les théologiens disent que la foi est une grâce de Dieu; et ils entendent par là non point cette communication permanente entre Dieu et l'homme par laquelle le Créateur éclaire la créature et la guide, mais un don miraculeux, où l'homme n'est pour rien, où tout est mystère. Saint Paul persécuta les disciples du Christ. Alors (× qu'il montrait tant de zèle contre le christianisme naissant, il avait certes entendu parler de la résurrection de Jésus de Nazareth et de ses miracles. Malgré ces témoignages, il ne croyait pas au Christ ni à sa mission divine, pas même à sa messianité. Il y crut subitement, après une vision, après une extase. Etait-ce sur une preuve nouvelle de la résurrection de Jésus-Christ et de ses miracles? Sa foi elle-même était un miracle, un coup de grâce. Voilà la foi dans son essence. Elle ne se fonde pas sur des témoignages, car les témoignages qui établissent la résurrection n'avaient pas changé de nature, quand saint Paul, de persécutear devint apôtre. Il crut én Jésus-Christ sur un appel direct de son divin maître; mais ceci n'est plus un témoignage, c'est un nouveau prodige.

Voilà pourquoi les prétendues preuves que l'on allègue en faveur du christianisme ne firent aucune impression sur les classes supérieures de la société païenne, pas plus qu'elles n'en font aujourd'hui sur les libres penseurs. Vainement accuse-t-on la corruption du monde ancien. Marc-Aurèle valait bien un disciple du Christ, et Symmaque n'était pas plus un libertin que Plutarque; cependant l'un ne se donna pas même la peine d'écouter les fables chrétiennes, et les autres restèrent attachés à celles du paganisme. Le christianisme ne convertit pas l'antiquité; elle mourut païenne, c'est avec les barbares que commence l'ère de la civilisation moderne: et comment les barbares se convertissent-ils? Clovis se fit-il catéchiser? Les Francs qui suivirent leur chef au

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baptême, comme ils le suivaient au combat, avaient-ils écouté une instruction sur les preuves de la révélation, avant de se faire baptiser? Une époque de crédulité et d'ignorance s'ouvre. C'est surtout dans les ténèbres du moyen âge que fleurit la foi chrétienne : certes on ne dira pas que nos rudes ancêtres crurent sur l'autorité de témoignages quelconques; ils crurent parce que, semblables à l'enfant, ils étaient à ce degré de développement intellectuel où l'on croit volontiers l'impossible.

Cependant dès le moyen âge, il y eut des douteurs, des incrédules. Si le livre des Trois Imposteurs ne parut qu'au dix-huitième siècle, l'idée date du treizième, du siècle de saint Louis. Le doute et l'incrédulité vont croissant, jusqu'à ce qu'il arrive une époque où les hommes naissent pour ainsi dire sans foi, tandis que jadis ils naissaient croyants. Non que l'enfant ne soit toujours disposé à croire tout ce qu'on veut lui faire croire. Mais qu'on l'abandonne à lui-même, c'est à dire qu'on laisse sa raison se développer librement, qu'on ne vicie pas son intelligence, il cessera de croire à l'âge où il naîtra à la vie intellectuelle. Comment perd-il la foi? Est-ce après avoir bien pesé les motifs pour et contre la révélation? Il ignore toute cette science, et néanmoins il ne croit plus. Il ne croit plus, parce que le voile est tombé de ses yeux, et qu'il ne peut plus croire que ce qui est en harmonie avec les lumières de la raison. Les défenseurs du christianisme s'imaginent que l'incrédule ne croit pas parce qu'il ne veut pas croire. Comme si la foi était une question de volonté ! Pourquoi les preuves de la révélation.ne font-elles aucune impression sur les libres penseurs, alors même qu'ils les écoutent? Parce que ces preuves ne s'adressent qu'à ceux qui ont la foi, ou à ceux dont la raison est viciée, et qui ne voient plus la lumière de la vérité, pas plus que les aveugles ne voient la lumière du soleil. Le croyant croit tout, même l'impossible; celui qui n'a pas la foi robuste de Tertullien, croira d'autant moins qu'on veut le convaincre par des témoignages que sa raison ne peut accepter. En définitive, les preuves de la révélation tournent contre la révélation; il suffit de les exposer pour ruiner la foi. Les plus dangereux ennemis du christianisme ne sont pas les libres penseurs, ce sont les apologistes.

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II

Parmi les preuves invoquées jadis par les Pères de l'Église en faveur de la révélation figurent les vers sybillins. Ils sont en effet d'une précision remarquable: l'incarnation de Jésus-Christ, ses miracles, son supplice y sont prédits en toutes lettres. Voilà un témoignage qui semble fait pour égayer la verve railleuse de Voltaire, bien plus que pour édifier les fidèles. Ne dirait-on pas les disciples du Christ rivalisant de charlatanisme avec les païens? Mais il y a autre chose dans ces prophéties que le ridicule; il y a un faux. Ceux qui fabriquèrent les oracles des sibylles n'y croyaient évidemment pas, ils comptaient sur l'ignorance et sur la crédulité humaines. N'est-ce pas là le fait d'un imposteur? Et que l'on songe quelle est la date de ces impostures, quels sont les coupables. Ce ne sont pas des moines qui ont inventé ce pieux mensonge, cela ne s'est pas fait alors que le christianisme avait dégénéré en pratiques superstitieuses; c'est dans les premiers siècles, les plus beaux de la religion chrétienne, que la fraude se commet, et c'est pour y appuyer la révélation: la révélation fondée sur un faux, sur un crime!

Ce crime n'est pas le seul. A peine le christianisme commencet-il à se répandre, qu'il pleut des écrits fabriqués : l'on ne sait s'il faut les qualifier de ridicules ou d'odieux. Ils sont si niais, si dépourvus de vraisemblance, qu'il a fallu toute la crédulité de la foi pour les admettre. Mais si les fidèles croyaient si facilement les choses les plus incroyables, quelle autorité peuvent avoir les miracles qui reposent sur cette même foi si facile à tromper? On supposa des lettres du roi d'Édesse à Jésus et de Jésus à ce prétendu prince, tandis qu'il n'est dit dans aucun Evangile que Jésus ait écrit quoi que ce soit. Cependant les apologistes citent ces actes de faussaires comme des témoignages! Ils citent encore des lettres de Pilate; il suffit de transcrire un fragment de ces épîtres, pour couvrir de confusion les auteurs du faux, ainsi que ceux qui l'exploitèrent : << Il est arrivé depuis peu, et je l'ai vérifié, que les Juifs, par leur envie, se sont attiré une cruelle condamnation. Leur Dieu leur ayant promis de leur envoyer son saint du haut du ciel, qui serait

leur roi à juste titre, et ayant promis qu'il serait fils d'une vierge, le Dieu des Hébreux l'envoya en effet, moi étant président en Judée. Les principaux des Juifs me l'ont dénoncé comme un magicien; je l'ai cru, je l'ai bien fait fouetter, je le leur ai abandonné, ils l'ont crucifié, ils ont mis des gardes auprès de sa fosse; il est ressuscité le troisième jour (1). »

Tout le monde reconnaît aujourd'hui que ces prétendus témoignages ont été fabriqués; jadis ils jouissaient de la même autorité que les Évangiles! Qu'on appelle cette fraude pieuse, nous le voulons bien, mais la fraude n'en reste pas moins fraude. Que penser d'une religion qui se dit révélée par Dieu, attestée par les plus étonnants miracles, et qui a recours à des faux pour se forger des titres, et cela dans la première ferveur de la foi! Les apologistes voudraient bien répudier ce honteux héritage, parce que la piété frauduleuse révolte la conscience moderne. Ils imputent les faux aux hérétiques qui pullulaient dans les premiers siècles. Il est certain que les hérésies sont entachées de faux aussi bien que l'orthodoxie. Mais en quoi cela excuse-t-il les orthodoxes? Pour laver l'Église de l'accusation que les libres penseurs lui ont intentée, il faudrait prouver que les hérétiques seuls fabriquèrent de faux témoignages, que les orthodoxes furent victimes de la fraude, au lieu d'en être les auteurs ou les complices. Or, il y a des faux qui n'ont pu être commis que par des orthodoxes et dans l'intérêt de la foi orthodoxe. Telle est l'interpolation du fameux passage de l'historien Josèphe.

Josèphe est contemporain du christianisme naissant. Le silence qu'il garde sur les merveilles prodigieuses qui remplissent les Évangiles, témoigne contre ces miracles et par suite contre la révélation dont ils sont le seul appui. Un faussaire imagina de faire de Josèphe un témoin pour la religion chrétienne. Le passage entier est-il faux? ou est-il seulement interpolé? Peu importe. La falsification n'en est pas moins évidente. Au dix-huitième siècle, les défenseurs du catholicisme discutaient encore sur le faux; les théologiens ne lâchent jamais leurs prétendus témoignages qu'à la dernière extrémité. L'abbé Houtteville et l'abbé Bergier rompirent une lance en faveur de l'authenticité du passage de Josèphe.

`(1) Voltaire, Épitre aux Romains. (OEuvres, t. XXX, pag. 439, édition de Renouard.)

En effet, le témoignage serait précieux s'il était vrai : la résurrection du Christ attestée par un Juif, par un ennemi! Quelle preuve accablante contre les incrédules! Voltaire n'était pas un savant, mais il avait un don qui vaut mieux que la science, le bon sens porté jusqu'au génie. Il répond à Bergier : « N'est-il pas absurde que Josèphe, si attaché à sa religion et à sa nation, ait reconnu Jésus pour Christ? Eh, mon ami, si tu le crois Christ, fais-toi donc chrétien; si tu le crois Christ, Fils de Dieu, Dieu lui-même, pourquoi n'en dis-tu que quatre mots? » Voltaire s'étonne qu'il se trouve encore des théologiens assez imbéciles ou assez insolents pour essayer de justifier cette imposture (1). Il suffirait du silence des Pères des premiers siècles pour confondre le pieux imposteur. Quoi! il y a un témoin de la résurrection du Christ parmi ceux-là mêmes qui l'ont mis à mort, et Justin, Clément, Origène, ne produisent pas ce témoignage! Origène en combattant Celse, dit que Josèphe ne croyait pas que Jésus fût Christ, et le faussaire chrétien lui fait dire que « Jésus était Christ! » N'est-ce pas surprendre le coupable en flagrant délit (2)?

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Voltaire n'a pas tort de dire: «Avouons-le hardiment, nous qui ne sommes point prêtres et qui ne les craignons pas, le berceau de l'Église naissante n'est entouré que d'impostures. C'est une succession non interrompue de livres absurdes, sous des noms supposés, depuis la lettre d'un petit toparque d'Édesse à JésusChrist, et depuis la lettre de la sainte Vierge à saint Ignace d'Antioche, jusqu'à la donation de Constantin au pape Sylvestre (3). » La donation de Constantin n'a pas été forgée par les hérétiques, Josèphe n'a pas été interpolé par un philosophe, les fausses décrétales ne sont pas l'œuvre d'un libre penseur. On ne saurait trop insister sur ces faux. L'histoire nous montre bien des religions, bien des empires; eh bien, nulle part nous ne trouvons cette multitude de faux que l'on rencontre à chaque pas dans les annales de l'Église. Et l'on prétend que l'Église est l'organe de la

(1) Voltaire, Conseils raisonnables à M. Bergier. (OEuvres, t. XXX, pag. 381.) — Dictionnaire philosophique, au mot Christianisme. (T. XXXIV, pag. 415, note.)

(2) Le passage est rapporté par Gieseler, Kirchengeschichte, t. I, 1, pag. 81, note 1. Le Clerc, dans sa Bibliothèque ancienne et moderne, examine la question sous toutes ses faces, t. VII, pag. 237.

(3) Voltaire, Histoire de l'établissement du christianisme. (OEuvres, t. XXX, chap. xII, pag. 506.)

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