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ne voulurent pas le reconnaître pour le Messie annoncé par les prophètes. A la rigueur donc, on pourrait soutenir que toute l'humanité, antérieure à l'incarnation, vivait dans une ignorance absolue du Sauveur, d'où la conséquence affreuse que tous les peuples anciens seraient damnés.

Les défenseurs du christianisme se récrient, et prétendent que leur religion ne damne personne. Laissons pour le moment la damnation de côté, nous y reviendrons ailleurs. Toujours est-il que si les païens sont sauvés, ce n'est pas par la révélation. La loi ancienne, disent les chrétiens, contient en figure, toute la doctrine de la loi nouvelle. Soit; mais de qui cette loi était-elle connue? Des Juifs seuls. Cela est si vrai qu'on les appelle le peuple de Dieu, pour marquer qu'ils étaient l'objet d'une prédilection particulière. Quant aux autres nations, elles ignorèrent longtemps l'existence de la race d'Israël, et ne savaient par conséquent pas qu'il y eût une révélation; quand elles apprirent à connaître les Juifs, elles ne témoignèrent pas la moindre envie d'écouter leur loi, elles les méprisaient trop, pour songer à s'instruire chez eux. Nous arrivons à la conclusion que la première révélation ne profita qu'à une minorité imperceptible. Il y a plus : l'histoire nous apprend que les miracles opérés par Moïse et ses successeurs ne convainquirent pas même ceux qui en furent témoins. Convenons que Dieu a choisi un singulier moyen d'éclairer les hommes, en se révélant miraculeusement à eux! L'immense majorité du genre humain ignore la révélation, et ceux auxquels elle s'adresse plus spécialement, en profitent si peu que pendant des siècles ils méconnaissent le Dieu qui leur a parlé, et quand ils finissent par se convertir, ils comprennent si peu la parole de Dieu, qu'ils mettent à mort le Christ que cette parole leur annonçait. Il valait bien la peine de suspendre les lois de la nature pour aboutir à un résultat pareil !

Patience! répondent les apologistes; tout ce qui était obscur sous l'ancienne loi, deviendra plus clair que le jour sous la nouvelle. Le Christ va paraître ce n'est que pour l'annoncer que Dieu avait envoyé Moïse et les prophètes. Plaçons-nous dans cet ordre d'idées et voyons si la révélation chrétienne était de nature à frapper l'univers par son évidence. Jésus-Christ atteste sa mission par des prophéties et par des miracles. Sont-ce là les meil

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leurs moyens que Dieu ait pu choisir pour accréditer son Fils? Les prophéties sont ignorées de tous les peuples, à l'exception des Juifs; or, les Juifs nient que leurs prophètes aient annoncé un Fils de Dieu, et ils ont si peu de respect pour celui qui se donne comme tel, qu'ils le crucifient. Si les prophéties sont tellement obscures que les Juifs ne les entendaient pas, bien qu'elles fussent écrites dans leur langue et pour eux, comment les autres peuples les comprendraient-ils? Restent les miracles. Ce sont des signes faits devant peu de gens obscurs, et que le reste du monde n'apprend que par ouï-dire. Il se trouve que même les témoins oculaires de ces prodiges s'obstinent dans leur incrédulité : comment veut-on qu'ils persuadent ceux qui ne les ont pas vus? ceux qui n'en ont pas même entendu parler, alors que ces miracles auraient dû remplir la terre entière d'étonnement?

Laissons-là les suppositions, et consultons les faits. Est-ce que la révélation chrétienne a répandu la parole de Dieu par toute la terre? Saint-Paul affirme qu'il n'y avait pas un peuple, pas une âme qui n'eût entendu la bonne nouvelle. Cette affirmation n'est guère faite pour donner crédit au grand apôtre. Plus de dix-huit siècles se sont écoulés depuis qu'il a écrit ces paroles, et il y a encore bien des peuples, bien des âmes qui n'ont jamais ouï parler du Christ. Nous ne demanderons pas comment ces peuples feront leur salut, puisque les apologistes n'aiment pas qu'on fasse cette question. Mais il nous sera permis de demander à quoi bon une révélation miraculeuse pour enseigner aux hommes la loi de vie, alors qu'après deux mille ans, ils ignorent encore le nom du révélateur, bien que ce révélateur soit Dieu lui-même ? Évidemment le moyen était mal choisi. Voyez, dirons-nous aux défenseurs du christianisme, ce qui se passe sous vos yeux. En Europe, la foi se perd; c'est vous-mêmes qui le dites. Et pourquoi se perd-elle ? Parce que les hommes ne croient plus au surnaturel. Ainsi, c'est parce que votre révélation est miraculeuse que l'humanité la déserte. Avouez que Dieu a joué de malheur en recourant aux miracles et aux prophéties pour se révéler. En dehors du monde européen, votre révélation, malgré d'héroïques efforts, est encore à peu près inconnue. Il faut donc que les moyens surnaturels conviennent mal pour communiquer la vérité. Il est vrai que l'on traduit à force l'Écriture sainte dans toutes les langues

connues. Mais où est le fruit de tout ce labeur? Mahomet, que vous traitez d'imposteur, compte autant de sectateurs que votre Fils de Dieu; et l'on dit que le Bouddha en compte plus. Ne sommes-nous pas en droit de conclure que la révélation miraculeuse est un très mauvais moyen d'enseigner la vérité (1) ?

Il y a des apologistes qui font bon marché des miracles et des prophéties; ils s'en tiennent à la doctrine, et ils n'ont pas tort. Mais les libres penseurs leur objectent qu'il s'agit de la révélation, qu'il faut donc prouver que la doctrine est révélée; or si l'on fait abstraction de l'élément surnaturel, comment se convaincra-t-on que les livres sacrés des chrétiens contiennent la parole de Dieu ? Les juifs soutiennent que c'est leur Écriture qui est la vraie parole de Dieu, les mahométans en disent autant. A qui faut-il croire? Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que tous ces livres sont écrits dans des langues que l'immense majorité des fidèles ne comprennent pas; les juifs n'entendent plus l'hébreu, les chrétiens n'entendent ni l'hébreu ni le grec. Ne voilà-t-il pas, dit Rousseau, une manière bien simple d'instruire les hommes, de leur parler une langue qu'ils ne connaissent point? On traduit ces livres, dira-t-on. Belle réponse! Qui m'assurera qu'ils sont fidèlement traduits, qu'il est même possible qu'ils le soient? Et quand Dieu fait tant que de parler aux hommes, pourquoi faut-il qu'il ait besoin d'interprètes? Ceci est encore la moindre difficulté. Quand le monde entier comprendrait l'hébreu et le grec, il n'en serait pas plus avancé. Qui lui dira que cet hébreu et ce grec sont la parole de Dieu? Les protestants n'ont pas de bonne réponse à faire. Les catholiques triomphent, et disent que l'Église est garante de la divinité de l'Écriture. Mauvais garant, répliquent les philosophes. Qui nous assure que l'Église est infaillible? «< L'Église, dit Rousseau, décide qu'elle a droit de décider. Ne voilà-t-il pas une autorité bien prouvée? » Dira-t-on que l'Église a pour elle les paroles du Christ? Mais où ces paroles se trouvent-elles? Dans l'Écriture. Et qui garantit la divinité de l'Écriture? L'Église, répond saint Augustin. Donc Rousseau a raison. Passons sur le cercle vicieux, et admettons l'infaillibilité de l'Église; nous aboutissons aux conséquences les plus épouvantables, le despotisme

(1) Bolingbroke, Philosophical works, t. IV, pag. 279.

intellectuel et politique de la papauté, la servitude de la pensée, l'esclavage des peuples. C'est là le moyen que Dieu aurait choisi pour attester sa parole et pour la conserver! Les hommes qui tiennent à la liberté s'en effraient au point qu'ils disent que si la révélation n'était possible qu'avec l'infaillibilité du pape, ils préféreraient renoncer à la révélation (1). Au fond, tous les protestants sont de cet avis.

Il est temps d'entendre les apologistes. Vous voulez savoir pourquoi Jésus-Christ n'est venu qu'après quatre mille ans. Leland vous le dira: s'il était venu plus tôt, on aurait traité la révélation de fable, faute de témoignages (2). Est-ce que, par hasard, les libres penseurs ne traitent pas la révélation de fable, bien que le Christ soit venu dans le siècle d'Auguste? Et si Dieu voulait réellement se révéler aux hommes, ne trouverait-il pas un moyen de les faire croire à sa parole? C'est par crainte qu'on ne le croie pas, qu'il laisse l'humanité dans les ténèbres de la mort pendant quatre mille ans ! Voilà un Dieu bien impuissant, et surtout bien injuste. Leland nie l'injustice : l'inégalité règne partout dans le monde; qui oserait dire pour cela que Dieu ne soit pas juste? Bergier brode sur ce thème, et à force de vouloir laver la révélation du reproche qu'on lui adresse, il le met dans tout son jour. Selon le principe de l'égalité, dit-il, Dieu ne pourrait pas accorder un bienfait naturel, dans l'ordre moral, à un individu ou à un peuple, sans le départir de même à tous les autres ! Il ne pourrait donner plus d'intelligence, plus de goût pour la vertu à celui-ci qu'à celui-là; procurer à une nation la civilisation et la pureté des mœurs plutôt qu'à une autre (3)! Nous dirons à Bergier que son apologie implique le plus grand grief que les libres penseurs aient contre la révélation; il avoue que la parole de Dieu n'a pas été révélée à tous les hommes. Prenons acte de l'aveu, et voyons les conséquences auxquelles il conduit.

(1) Rousseau, Émile, liv. Iv, Profession de foi du vicaire savoyard.

(2) Leland, a Defense of christianity, t. II, pag. 451.

(3) Bergier, Traité de la vraie religion, t. V, pag. 21.

II

La révélation est inconnue de l'immense majorité du genre humain. Si c'est la voie du salut, la voie unique, qu'en faut-il conclure? L'ancienne théologie n'hésitait pas à répondre que tous ceux qui ignoraient le Christ étaient damnés. Elle damnait sans sourciller les enfants qui meurent sans être baptisés; elle ne reculait pas davantage devant la damnation de peuples entiers. Quand on lui opposait l'injustice, la barbarie de cette croyance, elle répondait par le dogme du péché originel. C'est contre le christianisme révélé, ainsi entendu, que les philosophes du dixhuitième siècle, et Rousseau surtout, se sont élevés avec violence, et la conscience humaine partage leur indignation. Le salut, disaient déjà Montaigne et Charron, devient une question de géographie; c'est le hasard de la naissance qui fera de nous des élus ou des damnés: « Combien d'hommes sont à Rome très bons catholiques, qui, par la même raison, seraient très bons musulmans, s'ils fussent nés à la Mecque! Et réciproquement que d'honnêtes gens sont très bons Turcs en Asie, qui seraient très bons chrétiens parmi nous! Puisque leur religion est l'effet du hasard, la leur imputer, c'est iniquité; c'est récompenser ou punir pour être né dans tel ou tel pays. Oser dire que Dieu nous juge ainsi, c'est outrager sa justice (1). »

Les apologistes modernes n'ont plus la foi robuste de saint Augustin; ils n'osent plus se moquer, comme fait le Père de l'Église, de ceux qui veulent sauver les Caton et les Scipion. Mais comment concevoir que ceux qui ignorent le Christ soient sauvés? Il n'y a point d'hypothèse ridicule que les défenseurs de la révélation n'aient inventée pour le besoin de leur cause. Voici d'abord le bon Clarke qui était lui-même à moitié hérétique, si nous en croyons les orthodoxes, et qui naturellement tenait à sauver le plus d'hommes possible. Il ne doute pas que le sacrifice de Jésus-Christ n'ait profité à tous ceux qui ont vécu avant sa venue; il va jusqu'à dire que personne ne l'a jamais nié, ce qui est une erreur évidente, voire même une hérésie, aux yeux des sévè

(1) Rousseau, Émile, liv. IV.

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