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ham. Et l'on veut que l'homme plie devant cette prétendue révélation! Nous disons que l'apologie des défenseurs du christianisme vicie l'essence de la religion. Ne doit-elle pas faire le salut des fidèles? Faire leur salut, n'est-ce pas perfectionner leurs facultés intellectuelles et morales? Et comment l'homme gagnerait-il en intelligence, en moralité, quand pour objet de foi on lui révèle des mystères auxquels il ne comprend pas le premier mot? quand pour honorer Dieu on lui prescrit un culte auquel il ne conçoit rien, et que l'on fait appel à ses plus bas instincts, la nécessité d'obéir pour échapper à l'enfer et pour gagner le ciel? Et c'est pour une pareille religion qu'il aurait fallu une révélation miraculeuse!

V

Les incrédules du dernier siècle n'avaient pas tort de se révolter contre une révélation qui heurte à chaque instant le bon sens et le sens moral. On dit qu'elle est nécessaire pour nous communiquer des vérités que notre raison n'aurait jamais trouvées. Cela est vrai, répond d'Holbach; reste à savoir si cela prouve pour la révélation ou pour la raison. Le Fils de Dieu s'est incarné, dit-on, pour nous enseigner la Trinité. « Est-ce que les nations les plus ignorantes et les plus sauvages ont enfanté des opinions plus monstrueuses et plus propres à dérouter la raison? » Pour croire le mystère de la Trinité, il faut commencer par croire le mystère de l'incarnation. « Qui ne voit que cette absurdité est empruntée des Égyptiens, des Indiens et des Grecs, dont les ridicules mythologies supposaient des dieux revêtus de la forme humaine, et sujets, comme les hommes, aux infirmités de leur nature? » Ce Dieu incarné vient nous sauver; mais de quoi et comment? Toujours des mystères qui défient le bon sens. C'est un Dieu qui souffre et qui meurt, qui s'offre en sacrifice à soi-même, pour apaiser sa propre colère. La révélation doit augmenter nos lumières, et elle redouble les images qui enveloppent la Divinité et la destinée de l'homme (1)! »

La raison nous fait connaître la loi naturelle. On prétend que

(1) Le Christianisme dévoilé, pag. 88-91.

cette loi est insuffisante. Montrez-nous donc, répond Diderot, qu'elle a été perfectionnée, ou par des vérités qui nous ont été révélées, ou par des vertus que les hommes ignoraient. « Or, on ne peut dire ni l'un ni l'autre. La loi révélée ne contient aucun précepte de morale que je ne trouve recommandé et pratiqué sous la loi de nature; donc elle ne nous a rien appris de nouveau sur la morale. La loi révélée ne nous a apporté aucune vérité nouvelle; car, qu'est-ce qu'une vérité, sinon une proposition relative à un objet, conçue dans des termes qui me présentent des idées claires, et dont je conçois la liaison? Or, la religion révélée ne nous a apporté aucune de ces propositions. Ce qu'elle a ajouté à la loi naturelle consiste en cinq ou six propositions qui ne sont pas plus intelligibles pour moi, que si elles étaient exprimées en ancien carthaginois. » Il est certain, continue Diderot, que depuis la révélation, nous n'en connaissons pas mieux Dieu, ni nos devoirs : Dieu, parce que tous ses attributs intelligibles étaient découverts, et que les inintelligibles n'ajoutent rien à nos lumières : nousmêmes, puisque la connaissance de nous-mêmes se rapportant toute à notre nature et à nos devoirs, nos devoirs se trouvent tous exposés dans les écrits des philosophes païens, et notre nature est toujours inintelligible, puisque ce qu'on prétend nous apprendre de plus que la philosophie est contenu dans des propositions ou inintelligibles ou absurdes (1).

Diderot oppose aux ténèbres de la révélation la lumière éclatante de la religion naturelle. La religion naturelle n'est-elle pas l'ouvrage de Dieu ? Cela est reconnu par les apologistes euxmêmes. « Si c'est l'ouvrage de Dieu, je demande à quelle fin Dieu l'a donnée? La fin d'une religion qui vient de Dieu, ne peut être que la connaissance des vérités essentielles et la pratique des devoirs importants. Donc l'homme a obtenu de Dieu ce dont il avait besoin. Donc il ne lui fallait pas d'autres connaissances que celles qu'il avait reçues de la nature. » Quant aux moyens de satisfaire aux devoirs, il est impossible que Dieu les ait refusés; car la connaissance de la vérité nous serait inutile, si Dieu ne nous avait pas donné la force nécessaire pour croire et pour agir :

(1) Diderot, Pensées philosophiques de la suffisance de la religion naturelle, no 5 et 15. (OEuures, t. I, pag. 133-136.)

<< C'est en vain que je suis instruit des dogmes, si j'ignore les devoirs. C'est en vain que je connais les devoirs, si je croupis dans l'ignorance des vérités essentielles. C'est en vain que la connaissance des vérités et des devoirs m'est donnée, si la grâce de croire et de pratiquer m'est refusée. Donc, j'ai toujours eu ces avantages. Donc, la religion naturelle n'avait rien laissé à la révélation d'essentiel et de nécessaire à suppléer. Donc, cette religion n'était point insuffisante (1). »

Grand est l'embarras des apologistes. Nier qu'il y ait des vérités que l'homme connaît par la raison, ils ne le peuvent; ils ne sauraient nier davantage que l'homme ait pratiqué les devoirs moraux sans la révélation. En désespoir de cause, ils disent que la certitude manque à la loi naturelle, pour devenir une religion. Diderot, au contraire, soutient que la religion naturelle seule est certaine, tandis que l'apparente certitude de la religion révélée cache des dissidences infinies. « Prenez un religionnaire, quel qu'il soit, interrogez-le; et bientôt vous vous apercevrez qu'entre les dogmes de sa religion, il y en a quelques-uns, ou qu'il croit moins que les autres, ou même qu'il nie, sans compter une multitude, ou qu'il n'entend pas, ou qu'il interprète à sa mode. Parlez à un second sectateur de la même religion, réitérez sur lui votre essai, et vous le trouverez exactement dans la même condition que son voisin, avec cette différence seule, que ce dont celui-ci ne doute aucunement et qu'il admet, c'est précisément ce que l'autre nie ou suspecte; que ce qu'il n'entend pas est ce que l'autre croit entendre très clairement; que ce qui l'embarrasse, c'est sur ce que l'autre n'a pas la moindre difficulté. Cependant tous ces hommes s'attroupent au pied des mêmes autels, on les croirait d'accord surtout, et ils ne le sont presque sur rien (2). »

En réalité, la certitude absolue, l'unité de foi n'est qu'une fiction. Il y a plus : les seuls points sur lesquels il puisse y avoir un concert de convictions, ce sont les vérités que la raison et la conscience nous révèlent ; hors de là, il n'y a plus qu'une foi aveugle, et pourquoi un aveugle prétendrait-il que son voisin doit partager son aveuglement? Quel est, en définitive, le rapport entre la religion

(1) Diderot, de la Suffisance de la religion naturelle, n° 1. (OEuvres, t. 1, pag. 132.) (2) Idem, ibid., no 27. (OEuvres, t .I, pag. 140.)

naturelle et la religion révélée? Les apologistes disent que la première est insuffisante, mais cette insuffisance ne concerne que les mystères; c'est donc comme si l'on disait que la religion naturelle n'est pas assez claire, parce qu'elle manque de ténèbres. L'homme a en lui assez de mystères, sans qu'il faille l'entourer d'une plus grande obscurité. S'il aspire à la vérité, c'est qu'il a besoin de lumières. La révélation ne les lui donne certes pas. S'il lui reste de l'incertitude, c'est que sa raison imparfaite ne lui permet point de voir toute la vérité. A quoi sert dès lors la révélation? Historiquement, elle a sa raison d'être, mais les circonstances qui l'ont rendue nécessaire sont passagères. Le moment n'est plus loin, où elle fera place à la religion naturelle. On peut donc dire avec Diderot, « que toutes les religions du monde sont des sectes de la religion naturelle, et que les juifs, les chrétiens, les musulmans, les païens mêmes ne sont que des naturalistes hérétiques et schismatiques (1). »

No 3. La Révélation miraculeuse est-elle le meilleur moyen de répandre la vérité?

I

La Révélation est une intervention miraculeuse de la Providence: c'est Dieu qui, dans sa bonté infinie, suspend les lois de la nature, pour frapper l'esprit des hommes. Dans quel but? Il leur communique les vérités de foi, dont la connaissance leur est nécessaire pour le salut éternel. Telle est la doctrine orthodoxe. Elle suppose d'abord que Dieu veut faire dépendre le salut de certaines croyances, qu'il lui plaît de révéler, sans que les hommes les comprennent, car tout ce qu'il révèle est mystère. Voilà une supposition qu'il est impossible aux libres penseurs d'admettre. Le salut, pour eux, n'est autre chose que le développement des facultés morales et intellectuelles. Si la raison ne suffit pas aux hommes pour remplir leur mission, si une révélation est nécessaire, il faudrait au moins qu'elle agît sur l'intelligence et sur le

(1) Diderot, de la Suffisance de la religion naturelle, n° 26. (OEuvres, t. I, pag. 139.)

cœur; or, comment une révélation de vérités que nous ne saurions concevoir développerait-elle notre raison et nos sentiments?

Ceci est une fin de non-recevoir que la philosophie oppose à la révélation. Les libres penseurs ajoutent que, même en se plaçant au point de vue de l'orthodoxie, l'on ne peut pas croire que Dieu se serve des moyens surnaturels pour éclairer et guider les hommes dans la voie du salut. Il y a un premier point qui est certain, c'est que la révélation s'adresse à tout le genre humain ; quelle que soit la barbarie de la théologie chrétienne, elle a toujours professé, en théorie du moins, que Dieu veut sauver toutes les créatures. Dès lors, il doit aussi leur enseigner à toutes les vérités surnaturelles qui font l'objet de la révélation. Partant, elle doit se faire de manière à ce que dans tous les temps et dans tous les lieux, tous les hommes, grands et petits, savants et ignorants, Européens, Indiens, Africains et sauvages, soient frappés également des signes extraordinaires par lesquels Dieu annonce et confirme la mission des révélateurs. Il faut aussi que la doctrine révélée parvienne à la connaissance de tous, avec un égal degré de certitude: « Si, dit Rousseau, et la conscience humaine est d'accord avec lui, s'il était une religion sur la terre hors de laquelle il n'y aurait que peine éternelle, et qu'en quelque lieu du monde un seul mortel n'eût pas été frappé de son évidence, le Dieu de cette religion serait le plus inique et le plus cruel des tyrans (1), »

La révélation chrétienne répond-elle à ces conditions? D'abord, elle pose le terrible principe, que hors de son sein il n'y a point de salut; les Évangiles, les Pères de l'Église, les conciles s'accordent à dire que celui qui n'a pas la foi dans le Christ ne peut pas avoir la vie éternelle. Or, le Christ n'est venu que quatre mille ans après la création. Comment ceux qui sont morts avant sa venue ont-ils pu se sauver? Il leur fallait au moins la foi dans le Sauveur à venir, répondent les théologiens. Qui donc avait cette foi, avant l'incarnation? Les Pères de l'Église supposent, bien gratuitement, que les justes de l'ancienne loi vivaient dans l'attente d'un Sauveur. Il y avait, il est vrai, de vagues espérances d'un règne messianique, mais elles n'avaient rien de commun avec un Sauveur, Fils de Dieu; car, quand le Christ vint, les Juifs

(1) Rousseau, Émile, liv, Iv, Profession de foi du vicaire savoyard.

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