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vous. » A ces belles paroles, nous renverrions l'ambassadeur à coups de fourche à son maître. Voilà pourtant ce que nous avons imputé à Dieu, à l'Être éternel, souverainement bon. On a toujours reproché aux hommes d'avoir fait Dieu à leur image. Nous, cent fois plus inconséquents, nous accusons Dieu dévotement d'une chose dont nous n'avons jamais accusé le dernier des hommes. » Voltaire est très modéré en disant qu'il faudrait faire jeûner au pain et à l'eau ceux qui débitent de pareils contes, jusqu'à ce qu'ils fussent revenus à leur bon sens. Il y a autre chose que de la folie dans leur affreuse doctrine, il y a du calcul, il y a la soif du pouvoir. Pourquoi les théologiens prêchent-ils des mystères qu'ils ne comprennent point? pourquoi veulent-ils que ces mystères soient révélés? pourquoi attachent-ils le salut à croire des dogmes qui révoltent la raison et la conscience? C'est qu'ils ont voulu que le salut ne fût que pour leur secte, et ils ont voulu encore que le salut dans leur secté fût le partage exclusif de ceux qui leur seraient soumis (1).

IV

Laissons-là les mystères; on peut, sans trop d'irrévérence, les qualifier de mauvaises plaisanteries. Y a-t-il des vérités pratiques que la révélation a fait connaître à l'homme? Après la notion de Dieu, il n'y a point de croyance plus essentielle que celle de l'immortalité de l'âme. La devons-nous à une révélation miraculeuse? Au point de vue chrétien, il n'y a qu'une révélation, c'est celle que Dieu fit par l'organe de Moïse et de Jésus-Christ. La loi nouvelle se confond avec la loi ancienne, c'est le Fils de Dieu lui-même qui le dit. Ouvrons donc le Pentateuque, et écoutons ce que Moïse nous apprend de la vie future. Grande est notre surprise de ne pas même y trouver ce mot. Que Moïse ait connu ou ignoré ce dogme fondamental, peu importe; il est certain qu'il ne l'a point révélé au peuple de Dieu. Voilà donc une religion révélée qui ignore un article de foi sans lequel on croirait qu'il n'y a point

(1) Voltaire, Dictionnaire philosophique, au mot Grâce. (OEuvres, t. XXXVI, pag. 335-337, 332, 331.)

de religion possible. Le fait n'en est pas moins incontestable. Il faut donc dire que sur un point qui intéresse plus que quoi que ce soit la destinée de l'homme, la révélation n'a rien révélé. Cependant la révélation n'a-t-elle pas pour but, sa seule raison d'être n'est-elle point de faire connaître aux hommes la loi qui les régit, loi que la raison ne leur explique pas suffisamment ? Et voilà une révélation qui garde le silence sur la vie future, qui par ce silence fait croire qu'il n'y a d'autre vie que l'existence actuelle, qui confirme cette erreur en parlant sans cesse de récompenses et de peines temporelles. La révélation, au lieu d'enseigner la vérité aux hommes, leur a donc enseigné l'erreur! Voltaire a pu dire sans exagération : « Si Dieu a laissé le peuple de l'Ancien Testament dans l'ignorance de l'immortalité de l'âme, il a trompé son peuple chéri; la religion juive est donc fausse; la chrétienne, fondée sur la juive, ne s'appuie donc que sur un tronc pourri (1).»

Il est vrai que, lors de la venue du Christ, les Juifs étaient généralement convaincus de l'immortalité de l'âme, à l'exception toutefois d'une secte qui resta attachée à la lettre de l'ancienne loi, et qui n'y trouvant pas la vie future, la niait. Où les Juifs puisèrent-ils ce dogme? Ceci est le point le plus curieux du débat qui fut si vivement agité au dix-septième siècle. Il est évident que ce n'est point dans leurs livres sacrés, ce n'est du moins pas dans ceux de Moïse. Si la croyance d'une vie future devint de plus en plus vive depuis l'exil de Babylone, n'est-il pas plus que probable que les Juifs la tiennent des Perses? La probabilité devient une certitude, quand on examine les détails du dogme: la résurrection en est le caractère distinctif, et nous la rencontrons aussi dans la doctrine de Zoroastre. Inutile d'insister sur un point qui ne fait plus l'objet d'un doute. Ainsi le peuple à qui Dieu se révéla miraculeusement apprit le point fondamental de toute religion d'un peuple étranger à toute révélation, et qui par conséquent n'avait pour unique source de sa connaissance que la raison. Nous aboutissons à cette singulière conséquence, que c'est la révélation prétendument divine qui est ínsuffisante, et cela sur une croyance essentielle, tandis qu'une religion qui n'était point révélée était profondément imbue de cette croyance. C'est un peuple païen, un

(1) Voltaire, la Défense de mon oncle, chap. xv. (OEuvres, t. XXIV, pag. 291.)

peuple infidèle, un peuple qui est sous l'empire de Satan qui communique sa foi au peuple de Dieu!

Voilà comment la révélation éclaire les hommes sur le mystère de leur destinée. Voltaire triomphe, il chante victoire; car en ruinant la révélation de Moïse, il ruine en même temps, la révélation chrétienne, il ruine toute révélation. L'abbé Bergier essaya de répondre à ce redoutable adversaire, mais l'apologie suffit pour confondre l'apologiste et la révélation. Pourquoi Moïse n'a-t-il pas expliqué l'immortalité de l'âme d'une manière claire et précise? C'est que les adversaires du prophète auraient dit que du temps de Moïse, on n'avait pas encore assez médité sur la nature de l'âme, pour pouvoir faire une profession de foi aussi distincte de son immortalité; d'où ils auraient tiré une objection contre l'antiquité de ses livres. O savant apologiste! Vous oubliez que Moïse est un prophète, un révélateur, et que le meilleur moyen de prouver sa mission eût été de révéler aux hommes des vérités que la raison n'aperçoit qu'à travers un voile qui les obscurcit. Croirait-on que Bergier, après avoir dit que du temps de Moïse, l'on ne connaissait pas encore l'immortalité, que les philosophes du moins auraient pu le soutenir, ajoute que l'immortalité de l'âme n'était révoquée en doute par aucune nation, que l'idolâtrie, loin d'affaiblir ce dogme, l'avait rendu plus populaire? Et qu'en conclut-il ? Qu'il était inutile que Moïse professât distinctement une vérité de laquelle personne n'était tenté de douter (1). Ainsi parce qu'on ne doute pas de Dieu, les révélateurs, les fondateurs de religion ne doivent pas parler de Dieu! Mais les peuples idolâtres qui, selon Bergier, croyaient si fermement à la vie future, se faisaient-ils une idée exacte de cette existence? La plupart ne croyaient-ils point à la métempsychose? D'autres n'étaient-ils pas livrés à l'erreur du panthéisme? En présence de ces égarements, n'était-il pas utile, nécessaire même, d'éclairer les Juifs, en leur révélant la vérité sur la vie future?

Pour achever le tableau, ajoutons que les plus célèbres apologistes du christianisme disent absolument le contraire de ce que Bergier affirme avec tant de résolution. Samuël Clarke, pour établir la nécessité d'une révélation miraculeuse, cite le dogme de l'im

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. VI, pag. 229.

mortalité de l'âme. La raison, par ses seules forces, était-elle parvenue à la certitude sur ce point capital? Non, dit-il, l'on n'a qu'à voir ce que pensaient les philosophes. Socrate prouve que l'âme est immortelle; et au moment où il meurt, il dit que la vie future est un grand peut-être. Cicéron reproduit les arguments du sage d'Athènes, mais lui-même est si peu convaincu, qu'il avoue ses hésitations et ses doutes. Qui donc a donné à l'esprit humain la conviction ferme de l'immortalité? Klarke répond: Dieu seul, par la révélation chrétienne (1). Si les apologistes commençaient par s'entendre! L'un dit blanc, l'autre dit noir, et le blanc et le noir doivent prouver également la révélation! Le système de Clarke est tout aussi faux que celui de Bergier. Non, ce n'est pas le christianisme qui a révélé aux hommes le dogme d'une vie future : Jésus-Christ s'est inspiré de la foi des Juifs, et les Juifs la tenaient des Perses. Non, le christianisme n'a point donné aux hommes la certitude de l'immortalité; il n'a fait que recevoir une croyance générale, en y mêlant de nouvelles fables. Pour mieux dire, tout est fabuleux dans la doctrine chrétienne, le paradis, le purgatoire et l'enfer, et ces erreurs réagissent sur la conception de la vie présente que le spiritualisme désordonné de l'Évangile sacrifie entièrement à un avenir imaginaire.

Si le bonheur que le christianisme promet à ses élus est imaginaire, que faut-il penser des voies qu'il enseigne pour y parvenir? A entendre les apologistes, c'est encore là un des bienfaits et une des nécessités de la révélation. Dans le christianisme, les sacrements sont considérés comme des moyens de salut. Il y en a un qui est tellement indispensable que sans lui, il n'y a point de salut possible. L'enfant qui n'est pas baptisé ne peut pas jouir de la félicité céleste. Pourquoi? C'est un nouveau mystère. Nous naissons sous l'empire de Satan. Le baptême nous délivre des suites affreuses du péché originel. Comment un peu d'eau versé sur la tête de l'enfant peut-il le sauver ? L'instrument du salut est aussi imaginaire que le péché d'Adam. Quelle influence ce sacrement peut-il exercer sur l'intelligence et sur le cœur de l'enfant, alors qu'il n'a pas conscience de ce qui se fait? Dans l'eucharistie le fidèle joue au moins un rôle; mais à part le sentiment de piété qui

(1) Clarke, the Evidences of natural and revealed religion, pag. 183, ss.

l'anime, tout y est également mystère, c'est à dire imaginaire. Les sacrements fortifient la foi, disent les apologistes. Oui, chez celui qui a une foi assez robuste pour croire qu'en mangeant du pain, il mange Dieu; mais combien d'incrédules ce Dieu-pain n'a-t-il point faits! On le dirait inventé pour éloigner du christianisme tous ceux chez lesquels la raison s'éveille, tellement il est rempli d'absurdités et d'impossibilités. Ceci est le moindre reproche que les libres penseurs adressent aux sacrements. Au lieu de perfectionner l'homme, ils aveuglent son intelligence, et trop souvent ils corrompent son cœur. Si le sacrement par lui-même sauve, comme cela est vrai du baptême, n'est-il pas à craindre que les fidèles s'imaginent que l'effet miraculeux des cérémonies prescrites par l'Église suffit pour leur assurer la béatitude éternelle : et peut-il y avoir un préjugé plus funeste à leur moralité, et par suite à leur perfectionnement? Que le préjugé existe, qui oserait le nier? Il est tout aussi certain que le sacerdoce nourrit cette fausse croyance et la cultive parce que c'est le plus solide fondement de sa puissance. Nous arrivons à la conclusion que les sacrements aussi bien que les mystères semblent inventés pour le bénéfice du clergé : s'ils sont un instrument de salut, ils sont encore bien plus un instrument de domination (1).

Voilà ce que les déistes anglais reprochent au culte des chrétiens. La défense des apologistes n'est guère faite pour réconcilier les libres penseurs avec le christianisme; elle tend plutôt à les en éloigner davantage, car elle vicie la notion même de Dieu, et la notion de religion. Dieu, dit Leland, peut très bien nous imposer des observances dont nous ne comprenons pas la signification. Et dans quel but? Pour éprouver notre obéissance (2). Quelle conception de Dieu! Ne dirait-on pas un homme qui dresse un animal? Il y a cette différence cependant que chez l'animal il n'y a pas moyen d'agir sur sa raison, puisqu'il n'en a point. Mais Dieu n'a-t-il pas donné à l'homme la raison? Ne lui a-t-il pas donné la conscience? Et quand il lui plaît de révéler la loi de salut, il ne s'adresse plus à l'être raisonnable, mais à la brute; il lui donne des commandements arbitraires comme à Adam, ou immoraux comme à Abra

(1) Tindal, Christianity as old as the creation, pag. 141, ss. (2) Leland, a Defence of christianity, t. I, pag. 45.

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