Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez pas encore porter. L'Esprit de vérité viendra qui vous enseignera tout. » Pourquoi le Saint-Esprit, plutôt que le Fils? plutôt que le Père? « C'est à lui, répond, Bossuet, que sont réservées les vérités les plus hautes et les plus cachées. » Pourquoi? Bossuet affirme, et il faut nous contenter de son affirmation. C'est aussi l'Esprit-Saint qui inspire les prophètes; car il sait tout, ajoute l'aigle de Meaux, même ce qui est le plus réservé à Dieu. Voilà qui est admirable! Le Saint-Esprit n'est-il pas Dieu? et s'il est Dieu, quoi d'étonnant qu'il sache tout? Les paroles si magnifiques de Bossuet reviennent donc à dire que Dieu sait tout, même ce qui lui est le plus réservé. Avons-nous tort de traiter cette théologie de galimatias (1)?

L'Évangile de saint Jean, évangile platonicien, contient encore d'autres logogryphes sur la Trinité, qui mettent Bossuet en extase. « Il me glorifiera parce qu'il prendra du mien. » Qu'est-ce à dire? « Le Fils a tout pris du Père, et il glorifie le Père. Le Saint-Esprit prend du Fils, et il glorifie le Fils. » Faut-il s'écrier là-dessus avec l'évêque de Meaux que Jésus-Christ nous traite d'amis, en nous mettant dans l'ineffable secret des communications intérieures des personnes divines? Ineffable, est le mot, mais pour nous, pauvres humains, ce secret ineffable n'a pas de sens. Le Fils est Dieu, comme le Père; qu'a-t-il donc à prendre au Père? et en glorifiant le Père, ne se glorifie-t-il pas lui-même ? De sorte que les trois personnes divines passent leur temps à se glorifier l'une l'autre, c'est à dire à se glorifier elles-mêmes. Cela s'appelle une révélation de la nature de Dieu! Et qu'est-ce que Dieu nous a révélé ? Des mots et des sons qui n'ont aucune signification pour nous. En vérité, on prend le génie en pitié, qnand on lit dans Bossuet : << Le Saint-Esprit prend du Père, dont il procède primitivement, et en prenant du Père, il prend ce qui est du Fils, puisque tout est commun entre le Père, et le Fils, excepté sans doute d'être Père, car c'est cela qui est propre au Père. Le Fils a donc tout ce qu'a le Père, excepté d'être Père; il a donc aussi d'être principe du Saint-Esprit, car cela n'est pas être Père. C'est pourquoi le Saint-Esprit est l'Esprit du Père, comme du Fils (2). » Nous nous

(1) Bossuet, Méditations sur l'Évangile. (OEuvres, t. IV, pag. 523.)

(2) Idem, ibid. (OEuvres, t. IV, pag. 457, s.)

arrêtons; il y a des pages entières dans les Méditations de Bossuet, remplies de ce non-sens; on dirait les hallucinations de la folie. Voilà ce que la révélation nous apprend de l'essence de Dieu !

Ces folies semblent faites pour exciter l'ironie des incrédules. Le grand railleur du dix-huitième siècle n'y manqua pas. Écoutons frère Rigolet expliquant la Trinité à l'empereur de la Chine. Il lui apprend d'abord que Dieu le Fils naquit dans une écurie et que jusqu'à trente ans, il exerça le métier de charpentier. « Un Dieu charpentier! s'écrie l'empereur. Un Dieu né d'une femme ! Tout ce que vous dites, est admirable. » Ce qu'il y a de plus admirable, ajoute le révérend père, c'est que la Mère de Dieu était pucelle; ce fut Dieu qui fit un enfant à Marie. Pour le coup, l'empereur ne comprend plus. « Vous me disiez tout à l'heure que Marie était mère de Dieu. Dieu coucha donc avec sa mère pour naître ensuite d'elle.» « Vous y êtes, s'écrie Rigolet; la grâce opère déjà. Vous y êtes, dis-je. Dieu se changea en pigeon pour faire un enfant à la femme d'un charpentier, et cet enfant fut Dieu lui-même. »>«< Voilà donc deux dieux, de compte fait, reprend l'empereur; un charpentier et un pigeon! » « Sans doute, sire; mais il y en a encore un troisième, qui est le père de ces deux-là. » Ici le révérend, ou son interprète, se trompe. Dieu le Père a engendré le Fils; quant au Saint-Esprit, il ne naît pas, il procède seulement du Père. C'est ce que Voltaire reconnaît en ajoutant : « Le Père a engendré le Fils, avant qu'il fût au monde; le Fils a été ensuite engendré par le pigeon, et le pigeon procède du Père et du Fils. Or vous voyez bien que le pigeon qui procède, le charpentier qui est né du pigeon, et le père qui a engendré le fils du pigeon, ne peuvent être qu'un seul Dieu; et qu'un homme qui ne croirait pas cette histoire doit être brûlé dans ce monde-ci et dans l'autre. » Cela est clair comme le jour, dit l'empereur (1). Sur ce, nous prenons congé de père Rigolet. Son langage n'est pas aussi sublime que celui de l'aigle de Meaux, mais s'il est irrévérencieux, à qui la faute? La faute est à l'ineffable dogme, tissu de galimatias, qui doit se traduire en niaiseries, quand on veut le faire comprendre.

(1) Voltaire, l'Empereur de la Chine et père Rigolet. (OEuvres, t. XXXII, pag. 409-411.)

III

La révélation, dit-on, fait connaître à l'homme des vérités ineffables. Soit. Mais pourquoi l'homme doit-il connaître la vérité ? Sans doute pour son perfectionnement intellectuel et moral. Et comment des mystères incompréhensibles, des dogmes qui n'ont pas de sens pour la raison de l'homme, peuvent-ils perfectionner son intelligence et son cœur? Tous les dogmes du christianisme, disent les apologistes, ont une influence morale. Un philosophe anglais, lui-même suspect de n'être pas très orthodoxe, a pris la défense de l'orthodoxie. Clarke insiste sur le sacrifice de JésusChrist qui atteste la bonté de Dieu et son amour pour les hommes. L'argument est banal, mais pour être banal, il n'est pas plus vrai. Quelle impression peut faire sur nos idées et sur nos sentiments, un sacrifice dont nous ne concevons pas même la possibilité; car ce prétendu sacrifice suppose que le Créateur est devenu créature, qu'il souffre et qu'il meurt, toutes choses inconcevables, disons mieux impossibles. Faut-il un mystère impossible pour faire sentir à l'homme la bonté divine? Qu'il ouvre les yeux, qu'il interroge sa conscience, il découvrira à chaque pas des marques si évidentes de la charité divine, qu'il devrait être aveugle pour ne les pas voir, et brute pour ne pas en témoigner sa reconnaissance; et comment la créature pourrait-elle se montrer reconnaissante des bienfaits sans nombre dont son auteur la comble, si ce n'est en tâchant d'être parfaite comme Celui qui est la perfection? A ce point de vue, la révélation miraculeuse est pour le moins inutile. Fût-elle la vérité absolue, à quoi bon une vérité qui nous est étrangère, que nous ne pouvons nous assimiler, qui n'est pour nous que ténèbres? La vérité imparfaite, telle que la raison humaine la conçoit, a mille fois plus d'importance pour nous que l'ineffable vérité que Dieu seul comprend. Nous découvrons la vérité, à la sueur de notre front; c'est ce travail intellectuel qui nous fortifie, et qui par cela même contribue à notre perfectionnement, tandis que les vérités prétendues qui nous sont commu

(1) Clarke, a Discourse, concerning the being and attributes of God, and the truth and certainty of christian revelation, pag. 284, ss.

niquées par voie de miracle, nous laissent inertes et passifs. A quoi bon donc la révélation, en supposant qu'elle soit possible? Le christianisme, dit-on, a révélé des vérités qui touchent de près à notre destinée, à notre vie actuelle et à notre existence future. C'est avant tout le péché originel. Comprenons-nous mieux le péché originel que la Trinité? Bossuet a voulu, sinon l'expliquer, du moins nous en faire comprendre la gravité. Écoutons : << Qui pourrait dire combien énorme a été le crime d'être tombé, en sortant tout récemment des mains de Dieu, dans une si grande félicité, dans une si grande facilité de ne pécher pas ? Voilà déjà deux causes de l'énormité : la félicité de l'état d'où tout besoin était banni la facilité de persévérer dans ce bienheureux état, d'où toute cupidité, toute ignorance, toute erreur, toute infirmité était ôtée. » Bossuet ne s'aperçoit pas que plus il exalte la perfection de l'homme avant sa chute, plus il rend cette chute incroyable, impossible. Il ne s'aperçoit pas davantage qu'il y a un abîme entre la faute, quelque énorme qu'elle soit, et la punition. Pour concevoir le premier péché, il faut au moins supposer l'homme faillible; dès lors il devient imparfait, et son crime perd de sa gravité. Qu'est-ce en définitive que ce fameux péché? « La défense que Dieu fit à Adam, dit Bossuet, n'était qu'une douce épreuve de la sujétion, un frein léger du libre arbitre, pour lui faire apercevoir qu'il avait un maître, mais le maître le plus benin, qui lui imposait par bonté le plus doux et le plus léger de tous les jougs. >> Traduite en langage ordinaire, cette magnifique phraséologie veut dire que le commandement de Dieu était un précepte arbitraire, dont l'homme ne pouvait apercevoir la moralité, que par conséquent sa faute fut une simple désobéissance, et la plus excusable de toutes. Néanmoins, continue Bossuet, Adam est tombé, et Satan a été son vainqueur. Puis il met toute la pompe de son style à dépeindre les suites effroyables de ce péché. C'est un crime qui comprend en soi tous les crimes; un crime par lequel Adam donne la mort à tous ses enfants qui sont tous les hommes, qu'il livre au démon pour les égorger. Adam a donc été homicide et parricide de soimême et de tous ses enfants, qu'il a égorgés non au berceau, mais dans le sein de leur mère, et même avant la naissance (1).

(4) Bossuet, Élévations sur les mystères, V1, 7. (OEuvres, t. III, pag. 485.)

Les conséquences du péché sont encore plus épouvantables que le péché même. Pascal déjà s'est demandé, si le péché originel se concilie avec la justice divine. « Il est sans doute, dit-il, qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste: car qu'y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il ne fût en être?» Ne demandez pas la raison du péché originel à Pascal; il vous répondra : « Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison (1). » Voilà encore une fois une singulière révélation de la vérité! L'homme prie avec anxiété son divin auteur de lui révéler le mystère de sa destinée, et la réponse de Dieu est une menace terrible de damnation éternelle; il joint la raillerie à la cruauté, en disant à ses créatures : « Vous serez damnées, ne me demandez pas pourquoi, ma justice à vos yeux n'est que folie ! » Les voilà bien avancés, les pauvres mortels!

L'injustice de Dieu est si flagrante, qu'elle a révolté la conscience humaine, et l'a dégoûtée du christianisme traditionnel. Pour le réhabiliter, ses défenseurs sont obligés de déserter leur tradition; ils biaisent, ils altèrent, ils tronquent. Opposons-leur l'autorité de Bossuet. Il ne nie pas lui ces règles terribles de la justice divine par lesquelles la race humaine est maudite dans son origine; il adore les jugements de Dieu qui regarde tous les hommes comme un seul homme dans celui dont il veut tous les faire sortir. Si on lui objecte les règles de la justice humaine, il répond comme Pascal : « Croyons que la justice de Dieu ne veut pas être mesurée par celle des hommes, qu'elle a des effets bien plus étendus, bien plus intimes (2). » Toujours des mots et des paroles, qui ne contentent pas la conscience, qui ne satisfont pas

(1) Pascal, Pensées, art. VIII et XII, 2.

(2) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. (OEuvres, t. IX, pag. 138.)

« ZurückWeiter »