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sont sublimes? Serait-ce parce que le mystère de la Trinité a été prêché par Jésus-Christ aux apôtres, qu'il est sublime? Mais qui a appris à Malebranche que Jésus a enseigné la Trinité? Ce ne sont certes pas les apôtres. Nous avons leurs écrits; le mot de Trinité ne s'y trouve point, pas plus que la chose. Cela ne fait plus de doute aujourd'hui. Voilà donc la sublimité du mystère qui s'en va de compagnie avec sa divinité. Ce que c'est que de vouloir mettre la lumière là où règnent nécessairement les ténèbres!

Malebranche nie les ténèbres. La foi aux mystères, dit-il, n'est pas une foi aveugle, elle est parfaitement raisonnable dans son principe; elle ne doit pas son établissement aux préjugés, mais à la droite raison; car Jésus-Christ a prouvé d'une manière invincible sa mission et sa qualité, et c'est lui qui a prêché les mystères (1). Nous venons de dire que le Christ n'a point prêché de mystère. Quant à sa mission, si par là on entend sa divinité, elle est si peu évidente, que lui-même n'en a pas conscience, et ses disciples pas davantage. Voilà les mystères qui périclitent singulièrement. Il y a plus. Ce sont les prétendus mystères qui témoignent contre l'origine divine du christianisme, contre la révélation miraculeuse. Dieu nous a donné la raison. Et il nous en interdirait l'usage? La question est absurde. L'idée de mystère implique cependant cette absurdité : c'est une chose monstrueuse aux yeux de notre raison; et l'on veut que Dieu ait révélé des vérités qui choquent la raison, en disant à la raison de se soumettre! Mais pourquoi, et dans quel but?

A cette question, Malebranche ne répond que par des mots : sublime, adorable. Il plane dans le septième ciel ; il faut l'y laisser. Adressons-nous à un théologien qui habite la terre. L'abbé Bergier osa s'attaquer à Rousseau, un Lilliputien à un géant. Assistons à la lutte. Jean-Jacques croit que la révélation, étant destinée à suppléer à l'insuffisance de la religion naturelle, doit être d'une clarté saisissante. Non, répond Bergier, il faut des mystères qui nous fassent mieux connaître la nature divine; mais la nature divine étant essentiellement incompréhensible, la révélation ne saurait être claire. Voilà la niaiserie et le galimatias qui

(1) Malebranche, Entretiens sur la métaphysique. (OEuvres, t. I, pag. 267, ss. Édit. Charpentier.)

s'unissent pour engendrer un non-sens à nul autre pareil. Les mystères sont nécessaires; pourquoi? pour nous faire connaître. la nature divine. Nous font-ils connaître cette nature? Non, car on ne peut la connaître. En définitive les mystères nous font connaître ce qu'il est impossible de connaître. O la belle chose que les mystères! La révélation est tout aussi merveilleuse. Il en faut une, dit l'abbé Bergier, parce que, sans révélation miraculeuse, Dieu ne pouvait persuader les dogmes incompréhensibles qu'il lui plaisait de révéler (1). Quelle sublime idée la révélation chrétienne nous donne de Dieu! Il lui plaît un beau jour de révéler des dogmes aux hommes, pour leur salut. Comment va-t-il s'y prendre pour leur persuader des vérités qu'ils ne peuvent concevoir? Dieu intervertit les lois de la nature: l'Etre infini s'incarne dans un être fini, puis il fait des miracles, le tout pour forcer les hommes à croire ce qu'ils ne peuvent comprendre. Il a soin de leur dire que s'ils ne croient pas, ils seront damnés. Les pauvres mortels réclament: Les dogmes, disent-ils, que Dieu nous révèle, nous paraissent absurdes, faux, c'est l'abbé Bergier qui le dit : et il faut les croire sous peine de damnation!

Supposons qu'un libre penseur s'avise de raisonner avec Dieu, et lui dise: « Je suis disposé à croire tout ce que vous me commandez, mais je voudrais savoir pourquoi vous m'ordonnez de croire des dogmes qui sont incompréhensibles et qui me paraissent absurdes. Comment puis-je même admettre que la suprême sagesse révèle des vérités que les hommes ne peuvent comprendre? Comment puis-je m'assurer que tel est son bon plaisir? On me dit que les miracles prouvent cette révélation. Mais les miracles sont aussi pour ma faible raison des choses absurdes. Me voilà enlacé dans un cercle vicieux d'absurdités : il faut que je croie des dogmes absurdes sur l'autorité de faits absurdes! >> Que répond Bergier? « Révéler un dogme ou une vérité, c'est en apprendre l'existence à celui qui l'ignore; mais ce n'est pas toujours le lui faire concevoir. Jésus-Christ nous a révélé que Dieu est un en trois personnes, qu'il est lui-même Dieu incarné. Sans cette révélation les hommes n'auraient jamais su qu'il y a une Trinité; mais il nous est impossible de comprendre

(1) Bergier, Le Déisme réfuté par lui-même, t. I, pag. 58-60, 84.

la Trinité (1). » Nous voilà bien avancés! Dieu s'est donné la peine d'interrompre les lois de la nature, il a fait prodiges sur prodiges; pour nous apprendre quoi? Qu'il y a une Trinité; mais comme la Trinité est incompréhensible, la révélation ne nous apprend en définitive qu'un mot auquel nous n'attachons aucune idée c'est donc pour un assemblage de sept lettres que Dieu s'est incarné dans le sein d'une vierge, qu'il est mort et ressuscité!

II

Il faut nous arrêter sur cet incroyable non-sens, que l'on appelle la Trinité, parce que la question est capitale. Le grand argument des chrétiens pour démontrer la nécessité d'une révélation miraculeuse, c'est la faiblesse de la raison, l'insuffisance de la religion naturelle. Pour prouver cette faiblesse, et cette insuffisance, ils allèguent les mystères, que la raison ne nous fait certes pas connaître, puisqu'ils sont au dessus de la raison. Les chrétiens savent qu'il y a une Trinité; les anciens l'ignoraient. Voilà qui est décisif pour la révélation. Nous pourrions contester le fait : c'est de la philosophie des anciens que les chrétiens tiennent le dogme d'un Dieu en trois personnes; il est étranger aux Juifs, étranger à Jésus-Christ, et ses apôtres l'ignorent. Mais pour le moment, nous laissons ce débat de côté. Nous nous plaçons sur le terrain de l'orthodoxie. Le Christ a donc révélé le dogme de la Trinité. En savonsnous plus, depuis cette révélation, sur Dieu, son essence et ses attributs?

Le dogme de la Trinité ne nous apprend rien sur Dieu, absolument rien, de l'aveu même des orthodoxes. Les témoignages abondent, et nous avons l'embarras du choix. Citons un écrivain qui a fait l'admiration du dix-septième siècle : « Ce mystère, dit Nicole, confond la raison et la révolte. S'il y a au monde des difficultés insolubles, ce sont celles qui suivent de ce dogme qui établit que trois personnes réellement distinctes n'ont qu'une même et unique essence, et que cette essence étant la même chose en chaque personne que les relations qui la distinguent, elle peut se

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. III, pag. 342.

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communiquer, sans que les relations qui la distinguent se communiquent. Si la raison humaine s'écoute elle-même, elle ne trouvera en soi qu'un soulèvement général contre ces vérités inconcevables. Si elle prétend se servir de ses lumières pour les pénétrer, elles ne lui fournissent que des armes pour les combattre. Il faut pour les CROIRE qu'elle s'aveugle elle-mème, qu'ELLE FASSE TAIRE TOUS SES RAISONNEMENTS ET TOUTES SES VUES POUR S'ABAISSER ET POUR S'ANÉANTIR SOUS LE POIDS DE L'Autorité divine (1). »

Que pourrions-nous ajouter à ces graves paroles? Un dogme contre lequel la raison se révolte, un dogme qu'elle ne peut accepter qu'en s'aveuglant, en s'imposant silence à elle-même, qu'est-ce, sinon une absurdité au premier chef? En doute-t-on ? Nous allons entendre Bossuet, l'aigle de Meaux. Il a employé la magie de son style pour rendre sensibles les sublimes vérités que renferme cet adorable mystère, et à quoi a-t-il abouti? Le lecteur jugera le dernier Père de l'Église.

La Trinité suppose qu'à côté de Dieu, le Dieu Éternel, il y a Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit. Comment se fait-il que Dieu a un fils? Bossuet répond : « Pourquoi Dieu n'aurait-il pas de fils? Pourquoi cette nature bienheureuse manquerait-elle de cette parfaite fécondité qu'elle donne à ses créatures? » Le bon sens répond que si la créature engendre, c'est par une raison qui ne convient certes pas au Créateur : c'est le seul moyen de perpétuer l'humanité. Dieu a-t-il besoin d'engendrer pour se perpétuer? «< Non, dit Bossuet, mais indépendamment de cette nécessité particulière aux natures mortelles et fragiles, n'est-il pas beau de produire un autre soi-même par abondance, par plénitude, par l'effet d'une inépuisable communication, en un mot par fécondité?» Le bon sens demandera : à quoi bon cette fécondité, à quoi bon cet autre soi-même, quand il s'agit de l'Etre des êtres? La perfection peutelle devenir plus parfaite? Notre question implique une hérésie. Elle suppose que Dieu a engendré dans le temps, comme font les hommes, tandis que l'Église nous apprend que le Fils est coéternel au Père. Dès lors toute idée de filiation devient un nonşens. Vainement Bossuet accumule-t-il les mots et les phrases pour expliquer l'éternité du Fils; ce sont des paroles vides de sens,

(1) Nicole, de la Perpétuité de la foi, pag. 118.

une vraie logomachie : « Si un père, dit-il, transmet à son fils toute sa noblesse, combien plus le Père éternel communique-t-il à son Fils toute la noblesse avec toute la perfection et l'éternité de son être (1). » Comparaison n'est point raison. La transmission de la noblesse est une absurdité, dont bientôt les peuples ne voudront plus; cette absurdité va-t-elle expliquer une plus grande absurdité, la transmission de l'éternité? S'il y a éternité, il ne faut plus parler de filiation, et s'il y a filiation, il n'y a plus d'éternité.

Qu'est-ce que le Saint-Esprit ?«< Il sort du Père et du Fils, comme leur amour mutuel, il est de même substance que l'un et l'autre; c'est un troisième consubstantiel, et avec eux un seul et même Dieu. » Ainsi le Saint-Esprit sort, ou il procède de Dieu. Pourquoi n'est-il donc pas Fils? Bossuet répond que Dieu ne l'a pas révélé. Ce qui veut dire que la théologie, en imaginant la filiation pour la seconde personne divine, et la procession pour la troisième, s'est engagée dans un dédale d'absurdités. Qu'on en juge par ce que dit Bossuet: « Le Fils est unique, il doit l'être, comme Fils parfait d'un Père parfait. » Le bon sens dirait qu'il ne voit point pourquoi Dieu n'aurait pas deux Fils également parfaits, puisqu'il y a bien trois personnes également parfaites. Mais laissons-là le bon sens, et croyons que, « s'il pouvait y avoir deux Fils, la génération du Fils serait imparfaite. » De là Bossuet conclut que, tout ce qui viendra après ne sera plus Fils, et ne viendra point par génération, quoique de même nature. Ainsi le Saint-Esprit vient après le Fils, et il est néanmoins coéternel avec le Fils et le Père. Quelle sublime conception! Et comme elle élargit nos idées sur Dieu ! Que sera donc cette production finale de Dieu, qui s'appelle SaintEsprit? Qu'est-ce que cette procession? Bossuet répond : « Taisezvous, raisonnements humains. Dieu n'a pas voulu nous le dire; c'est un secret réservé à la vision bienheureuse (2). » A en juger par ce qu'il a plû à Dieu de nous révéler, les libres penseurs qui n'auront pas la bienheureuse vision, n'y perdront pas grand'chose. Si l'on ne sait point ce qu'est le Saint-Esprit, sait-on au moins ce qu'il fait? Jésus-Christ, le Fils de Dieu, dit aux hommes : « J'ai

(1) Bossuet, Élévations sur les mystères, II, 1, 2. (OEuvres, t. III, pag. 421, 422, 424.) (2) Idem, ibid., II, 5. (OEuvres, t. III, pag. 429.)

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