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exclut de l'éligibilité au corps législatif des hommes d'un mérite reconnu qu'on pourrait désirer d'avoir, qu'on se trouverait bien d'avoir, et cette exclusion ne part que de ce qu'ils ne paient pas la somme de contribution prescrite par la Constitution: cette condition de la contribution n'est cependant pas rassurante contre le résultat des élections, car en élisant même sans sortir de cette classe d'hommes qui paie la contribution constitutionnellement exigée on pourrait composer une très mauvaise législature.

» Il semble indubitable, messieurs, qu'on remplit bien mieux son objet si l'on porte la garantie sur les électeurs mêmes, parce qu'en assurant la bonne composition des corps électoraux on a la combinaison la plus favorable aux bous choix, même en y faisant entrer, si c'est une condition nécessaire pour la latitude de ces bons choix, en y faisant entrer la liberté aux corps électoraux bien composés d'élire tous les sujets qui méritent leur confiance.

» Il faut ajouter que c'est dans les électeurs que repose la base la plus essentielle de la sûreté de la chose publique, puisque c'est par eux que la société obtient non seulement ses représentans, qui font les lois, mais encore tous les fonctionnaires publics qui agissent par elle pour le maintien de l'ordre dans toutes les parties de l'administration politique ; puisque ce sont les mêmes électeurs qui donnent les administrateurs, les juges, même les ministres du culte.

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Quant aux citoyens ce système laisse la même latitude que la Constitution a établie pour le premier degré de l'activité des citoyens qui concourent à nommer ceux qu'ils chargent d'élire pour eux; ce système ouvre ensuite le dernier degré, celui qui doit être l'ambition de tout bon citoyen, celui de la représentation nationale. Je ne puis cependant pas /vous dissimuler, messieurs, car le devoir du rapporteur est de vous montrer l'objet sous toutes ses faces, qu'il aurait été infiniment avantageux d'adopter d'abord ce mode; que maintenant il peut avoir cet inconvénient qu'un nombre assez considérable de citoyens éligibles aujourd'hui au corps électoral peut cesser de l'être; mais d'un autre côté nous présentons cette compensation d'ouvrir l'éligibilité à la grande repré

sentation à ceux qui en étaient exclus par le mode que vous avez adopté d'abord.

» Nous ajoutons cette réflexion : l'effet du décret que vous rendriez aujourd'hui dans le sens de ma proposition ne serait applicable qu'à deux ans d'ici puisque la composition actuelle des corps électoraux ne peut pas être changée.

» Je termine par cette dernière réflexion, que ce serait ne rien faire dans notre sens que de ne porter sur l'éligibilité à la qualité d'électeur qu'une petite portion de contribution; qu'il vaudrait mieux conserver l'état actuel que de ne pas le bonifier réellement et efficacement; qu'en conséquence l'Assemblée doit se déterminer entre la conservation du mode qu'elle a déjà admis et la rectification réelle et efficace de ce mode en augmentant d'une manière convenable la contribution des électeurs. Nous avons pensé, messieurs, que la condition. de l'éligibilité des électeurs devait être une contribution de la valeur de quarante journées de travail, et en voici les résultats..... (Longs murmures à gauche.)

>> Il en faut examiner les résultats. Il y a d'abord un avantage à substituer au taux des valeurs du marc d'argent, qui étoit le mode proposé, le taux des valeurs des journées de travail; car le marc d'argent est en soi plus susceptible, avec le temps et par les événemens commerciaux et politiques, d'une plus grande variation de valeur réelle que les valeurs en journées de travail. D'un autre côté quel serait le résultat pratique de cette opération? La valeur de quarante journées de travail appliquée aux électeurs dans les pays où la journée de travail est à un prix très faible, par exemple, si elle était de dix sols.... (Une voix : il n'y en a pas.) Je ne propose ceci que comme une fraction, et elle n'est pas invraisemblable; le résultat ne serait qu'une contribution de vingt livres, qui, relativement aux propriétés mobilières, foncières ou industrielles, supposerait cent vingt livres de revenu ; dans les lieux où la journée de travail est de quinze sous le résultat de la contribution serait de trente livres, qui, à raison du sixième, supposerait cent quatre-vingts livres; et dans les villes opulentes, dans les départemens riches où la journée de travail serait au premier prix, c'est à dire à vingt sous,

le résultat serait de quarante livres d'imposition, ce qui supposerait deux cent quarante livres de propriétés foncières ou industrielles.

» Il est temps que l'Assemblée prenne notre proposition en considération, et qu'elle se décide ou à conserver l'ancienne garantie dans le taux de la contribution exigée pour être représentant; ou, si elle transporte ce mode sur les électeurs, il faut qu'elle prenne un juste milieu, et la quarantième journée que nous proposons y atteint. >>

M. Pétion, quoique membre des comités, s'éleva le premier contre cette proposition, à laquelle il préférait le maintien du marc d'argent, quelque vicieuse que lui eût semblé d'abord une pareille obligation: M. Prugnon le remplaça à la tribune pour appuyer l'avis des comités : ensuite parut M. Robespierre, qui se prononça contre toute condition, soit pour les électeurs, soit pour les éligibles.

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M. Robespierre. (Méme séance. ) « Le projet de vos comités tend à changer l'esprit de votre Constitution; jamais question du moins ne mérita de la part de l'Assemblée nationale une attention plus sérieuse. Les comités vous proposent de supprimer le marc d'argent à une condition qui me paraît infiniment plus injuste et plus onéreuse à la nation : les motifs qui déterminent les comités à proposer de supprimer ce décret du marc d'argent relativement aux députés s'appliqueront encore d'une manière bien plus forte aux électeurs. Un de ces principaux motifs est qu'il ne faut point gêner la confiance du peuple dans le choix de ses représentans..... Or le peuple est-il libre de choisir ses représentans lorsqu'il n'est pas même libre dans le choix des intermédiaires qu'il est obligé de commettre pour choisir ces mêmes représentans; ou plutôt n'est-il pas évident que sa liberté est gênée d'une manière encore plus dangereuse, puisque non seulement il ne peut pas atteindre tout de suite le but, mais qu'il ne peut pas même arriver librement à l'intermédiaire qui doit ensuite le porter vers le but?

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Un autre motif qui a déterminé les réclamations élevées de toute part contre le décret du marc d'argent c'est qu'il

ne faut point violer l'égalité ni concentrer les dignités dans la classe la plus riche de la nation; et il est évident que ce motif s'applique aux corps électoraux, et qu'il n'est pas moins important pour la nation que les assemblées électorales soient ouvertes à tous les citoyens sans distinction de fortune aussi bien que le coup législatif lui-même, puisque encore un coup ils ne peuvent envoyer leurs députés à la législature qu'en passant par l'intermédiaire des corps électoraux.

» Les comités, messieurs, me paraissent être continuellement en contradiction avec eux-mêmes dans ce système. Vous avez sur leur proposition reconnu que la Constitution devait garantir, et vous avez dit en effet qu'elle garantissait que tout citoyen français était admissible à tous les emplois sans autre distinction que celle des vertus et des talens; or je prie les auteurs du système que je combats de dire si la commission donnée à des citoyens de choisir pour eux des représentans au corps législatif n'est pas aussi un emploi? Il en résulte donc que la garantie promise au nom de la Constitution est violée par le système des comités...(Applaudissemens d'une partie du côté gauche et des tribunes publiques.) Messieurs, on conçoit les plus heureuses espérances lorsqu'on lit le début de votre Constitution, et qu'on voit le scrupule avec lequel vous vous êtes appliqués à arracher les racines mêmes de toutes les distinctions de la noblesse et de tous les autres préjugés qui mettaient une classe de citoyens au-dessus de toutes les autres; mais que nous importe, messieurs, qu'il ne reste plus de noblesse féodale, si à ces préjugés absurdes, si à ces distinctions humiliantes pour les autres citoyens vous substituez une nouvelle distinction plus réelle, qui a beaucoup plus d'influence sur le sort et sur les droits des citoyens, puisqu'on y attache un droit politique, celui de décider du mérite des membres qui doivent représenter la nation, et par conséquent du bonheur du peuple!

» Que m'importe à moi citoyen qu'il n'y ait plus de nobles, qu'il n'y ait plus de tous ces titres ridicules sur lesquels s'appuyait l'orgueil de quelques hommes, s'il faut que je voie succéder à ces privilégiés une autre classe à laquelle je serais obligé de donner exclusivement mon suffrage afin qu'ils puissent discuter mes plus chers intérêts!

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Qu'importe au citoyen qu'il n'y ait plus d'armoiries s'il voit partout la distinction de l'or! Il est évident qu'il est impossible d'imaginer une contradiction plus formelle et plus injuste que celle-là; il est évident que si vous adoptiez le système des comités cette garantie tant vantée ne serait qu'un vain appât présenté à la nation, et que vous tomberiez en contradiction vous-mêmes, contradiction qui lui permettrait de douter de votre bonne foi et de votre loyauté dans la défense de ses droits... (Murmures au centre; applaudissemens au fond de la gauche.) N'est-il pas évident encore que ce prétendu bienfait de la suppression du marc d'argent est illusoire, puisque l'usage sera établi et durera toujours de choisir tous les députés dans les corps électoraux dès qu'une fois vous aurez reporté sur les électeurs la charge du décret du marc d'argent? (Murmures.).

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Quels sont les motifs que le comité oppose à ces principes et à ces contradictions? Le comité dit : il faut une garantie de l'indépendance et de la pureté des intentions de ceux qui devront choisir les représentans de la nation........ D'abord, messieurs, je conviens qu'il faut une garantie; mais cette garantie est-ce la contribution, est-ce la fortune qui la donne? Est-il vrai que la probité, que les talens se mesurent réellement sur la fortune? Je dis que l'indépendance, la véritable indépendance est relative non pas à la fortune, mais aux besoins, mais aux passions des homines; et je dis qu'un artisan, qu'un laboureur qui paie les dix journées de travail exigées par vos précédens décrets est plus indépendant qu'un homme riche, parce que ses désirs et ses besoins sont encore plus bornés que sa fortune, parce qu'il n'est point accablé de toutes ces passions ruineuses enfans de l'opulence. Ces idées sont morales sans doute; mais elles n'en sont pas moins dignes d'être présentées à l'Assemblée nationale........... (A gauche on rit, on murmure; la droite applaudit. Une voix : C'est trop fort, M. Robespierre !) Ce ne sont pas là des surfaces sans profondeur, et des lignes sans étendue (1). (On rit.) J'examine donc avant

(1) Expressions employées par le préopinant, M. Prugnon.

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