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sident de Montesquieu appelle avec tant de raison une belle loi, quoiqu'il paraisse ne l'avoir connue qu'en partie; de cette institution qui éloigne de tous les droits politiques, de tous les conseils, le citoyen qui a fait faillite ou qui vit insolvable, et qui exclut de toutes les magistratures et même de l'entrée dans le grand conseil les enfans de ceux qui sont morts insolvables, à moins qu'ils n'acquittent leur portion virile des dettes de leur père.

>>

» Cette loi, dit Montesquieu, est très bonne; elle a cet effet qu'elle donne de la confiance pour les magistrats; >> elle en donne pour la cité même : la foi particulière y a encore la force de la foi publique.

>> Ce n'est point ici, messieurs, une simple loi de commerce, une loi fiscale, une loi d'argent; c'est une lei politique et fondamentale, une loi morale, une loi qui plus que toute autre a peut-être contribué, je ne dis pas à la réputation, mais à la vraie prospérité de l'Etat qui l'a adoptée, à cette pureté de principes, à cette union dans les familles, à ces sacrifices si communs entre les parens, entre les amis, qui le rendent si recommandable aux yeux de tous ceux qui savent penser.

elle

» Une institution du même genre, mais plus sévère (1), établie dans la principauté de Neufchâtel en Suisse, a créé les bourgs les plus rians et les plus peuplés sur des montagnes arides et couvertes de neiges durant près de six mois; y développe des ressources incroyables pour le commerce pour les arts, et dans ces retraites que la nature semblait n'avoir réservées qu'aux bêtes ennemies de l'homme l'œil du voyageur contemple une population étonnante d'hommes aisés, sobres et laborieux, gage assuré de la sagesse des

et

lois.

» Dans l'état présent de la France, dans la nécessité où nous sommes de remonter chez nous tous les principes sociaux, de nous donner des mœurs publiques, de ranimer la confiance, de vivifier l'industrie, d'unir par de sages liens la partie consommatrice à la partie productive, c'est à dire à la patrie vraiment intéressante de la nation, des lois pareilles sont non seulement utiles, mais indispensables.

>>

a

Assez longtemps une éducation vicieuse ou négligée dénaturé en nous les notions du juste et de l'injuste, a relâché les liens qui unissent le fils à son père, nous a accoutumés

(1) « La loi de Neufchâtel lie toute la postérité d'un homme à l'acquittement de ses dettes. »

à ne rien respecter de ce qui est respectable; assez longtemps une administration, dirai-je corrompue ou corruptrice, a couvert de son indulgence des écarts qu'elle faisait naître pour qu'on n'aperçût pas les siens propres : retournons à ce qui est droit, à ce qui est honnête ouvrons aux générations qui vont suivre une carrière nouvelle de sagesse dans la conduite, d'union dans les familles, de respect pour la foi donnée.

» Vainement, messieurs, vous avez aboli les priviléges et les ordres si vous laissez subsister cette prérogative dé fait qui dispense l'homme d'un certain rang de payer ses dettes ou celles de son père, qui fait languir le commerce, et qui trop souvent dévoue l'industrie laborieuse de l'artisan et du boutiquier à soutenir le luxe effréné de ce que nous appelons si improprement l'homme comme il faut.

» Laissons à cette nation voisine, dont la constitution nous offre tant de vues sages dont nous craignons de profiter, cette loi injuste, reste honteux de la féodalité, qui met à l'abri de toute poursuite pour dettes le citoyen que la nation appelle à la représenter dans son parlement; profitons de l'exemple des Anglais, mais sachons éviter leurs erreurs; et au lieu à e récompenser le désordre dans la conduite éloignons de toute place dans les assemblées, tant nationales que provinciales et municipales, le citoyen qui par une mauvaise administration de ses propres affaires se montrera peu capable de bien gérer celles du public. C'est dans ce but que je vous propose, etc. » (Voyez plus loin le décret, page 64, en note.)

M. Larochefoucault-Liancourt. «J'ai vu moi-même les heureux effets que cette loi a produits à Genève ; mais elle me paraît contenir une disposition trop rigoureuse à l'égard des enfans des pères banqueroutiers. Sans doute c'est un beau sentiment de la part d'un fils d'acquitter les dettes de son père; mais il faut laisser à la vertu à conseiller ce qui est honnête : les lois doivent se borner à prescrire ce qui est juste. Il ne faut pas étendre la punition sur les enfans, déjà trop malheureux des torts de leur père; les fautes sont personnelles; les enfans ne peuvent être punis de celles de leur père la justice rigoureuse et la morale la plus pure font une loi de ce principe. Je ne puis donc adopter une rédaction qui consacrerait cette absurde responsabilité, et je demande à cet égard la division de la proposition du préopinant.

>>

La division fut adoptée, et le premier article du projet de Mirabeau décrété sauf rédaction. Sur le second article,

mis à l'ordre du jour du lendemain (28 octobre 1789), M. Barnave ajouta aux observations de M. Liancourt.

:

M. Barnave. « En combattant la proposition de M. de Mirabeau je ne conteste point tout ce qu'elle peut avoir de inoral; mais si cette loi convient à Genève, qui pourrait être comparée à une grande maison de banque, elle ne convient pas à un grand empire comme le nôtre. C'est une loi de famille, une loi de commerce, une loi d'argent, qui ne peut regarder que les négocians; elle n'a pas en vue l'agriculture, qui doit être l'objet principal d'une nation agricole. L'article milite contre les droits de l'homme n'est-ce pas en effet un principe constitutionnel que nul ne peut être puni des fautes d'autrui ? Les fautes ne sont-elles pas personnelles? Ce serait donc la plus grande injustice de faire rejaillir sur les enfans le déshonneur d'un père banqueroutier. D'ailleurs n'avezvous pas admis pour principe que tout ce que la loi ne défend pas est permis, et que la loi ne peut punir ce qu'elle ne défend point? Or, messieurs, vous iriez directement contre ce principe. L'enfant ne peut donc être coupable; car de deux choses l'une, ou la loi l'oblige de payer, ou non : dans le premier cas c'est qu'il y a une action contre lui; alors le fait est personnel; mais si la loi ne l'oblige pas, s'il n'y a point d'action contre lui, le fait est personnel au père, et le fils ne doit point être frappé d'exclusion à l'éligibilité.

» Je conclus au rejet du second article du projet de M. le comte de Mirabeau. »

Cet article, faiblement appuyé par quelques membres, allait être mis aux voix, et probablement rejeté; Mirabeau paraît...

Mirabeau. « Messieurs, la vérité ne doit pas porter la peine de mon arrivée tardive dans l'Assemblée. J'apprends qu'on a travesti le sens de l'article que j'ai proposé; on a parlé de l'exclusion des enfans comme d'une peine infamante, tandis qu'elle n'est point une flétrissure, mais une simple précaution très sage et très politique. On prétend qu'elle est contraire au droit public et aux droits des hommes, et l'on convient cependant qu'elle est morale et pure dans ses motifs! Certes je ne saurais comprendre comment une loi morale est contraire au droit public et à celui des hommes.

» La morale est une, pour les grands états comme pour les petits, pour les commerçans comme pour les agriculteurs : il importe au commerce qu'un père pervers ne laisse pas par des arrangemens frauduleux une fortune considérable à ses

enfans; il importe aux mœurs qu'il se forme un grand esprit de famille, une solidarité de la foi publique et de la foi privée; il importe à la société que la réputation des pères puisse devenir celle des enfans. C'est une loi de famille, a-t-on dit; et à quoi devons-nous donc aspirer qu'à faire une grande famille?

» Trente mille personnes sont unies de foi, d'intérêt et de prospérité à Genève les liens moraux ne sont-ils pas de nature à embrasser également une société plus nombreuse? Les vues morales ne doivent-elles pas toujours diriger le législateur? La loi que je vous propose est une loi politique; elle a plus de latitude qu'une loi purement civile; et il est convenable d'exiger pour la représentation politique quelque chose de plus que cette probité vulgaire qui suffit pour échapper aux tribunaux. Je demande l'acceptation pure et simple de l'article que j'ai proposé.

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Mirabeau par ces quelques mots a rendu les esprits favo-. rables à sa motion; après de légers débats l'Assemblée en décrète le principe, et renvoie aux comités pour la rédaction; et c'est du projet de Mirabeau, alors adopté quant au fond, que les comités ont d'abord formé les articles 5 et 6 du décret du 22 décembre 1789 (1), puis l'article 5 de la sect. II, chap. Ier du titre III du projet de Constitution.

Revenons maintenant à notre objet principal, le renvoi de cet article 5 à un nouvel examen des comités pendant la discussion relative à la révision des décrets constitutionnels. (Voyez plus haut, page 60, pour reprendre le cours de cette discussion.)

M. Thouret. (Séance du 11 août 1791.) « Messieurs, vos comités ont pris en très sérieuse considération le renvoi que vous leur avez fait de l'article 5 : nous avons été unanimement d'avis qu'il devait être retranché de l'acte constitution

(1) « Art. 5. Aucun banqueroutier, failli ou débiteur insolvable, ne pourra être admis dans les assemblées primaires, ni devenir ou rester membre soit de l'Assemblée nationale, soit des assemblées administratives, soit des municipalités.

» Art. 6. Il en sera de même des enfans qui auront reçu et qui retiendront, à quelque titre que ce soit, une portion des biens de leur père mort insolvable, sans payer leur part virile de ses dettes, excepté seulement les enfans mariés qui auront reçu des dots avant la faillite de leur père, ou avant son insolvabilité notoirement connue. » (Décret du 22 décembre 1789. Voyez, tome V, l'Instruction de l'Assemblée sur ce décret.)

nel; voici, messieurs, en aperçu les motifs qui nous ont déterminés.

» On a voulu transporter dans notre acte constitutionnel un statut établi daus un petit état consistant en une ville toute commerçante. Cette disposition, favorisée par une de nos lois qui exclut les faillis de l'éligibilité des juges consuls, est d'une politique nécessaire et intéressante dans le lieu où elle a pris naissance, dans une ville où le principal intérêt de la chose sociale est le commerce; où l'esprit, les mœurs, les habitudes sont toutes relatives au commerce: pour nous, en tant que loi particulière, elle n'était pas injuste, car elle était réduite à la seule classe des hommes qui font le commerce, et n'appliquait qu'une sorte de dégradation dans l'ordre des prérogatives du commerce; ensuite elle était analogue ou du moins proportionnée à la faute contre laquelle elle étoit portée.

» Mais ici il y a deux différences essentielles. La disposition, introduite dans le code constitutionnel, ne serait pas bornée à la classe des commerçans; elle serait appliquée à un grand peuple beaucoup plus agricole que commerçant; et comme vous ne pouviez pas faire une disposition exclusive pour la classe des citoyens français commerçans, vous avez été obligés d'étendre la disposition de la faillite à l'insolva bilité, c'est à dire de la faire frapper sur la totalité des citoyens français.

>> Voici la seconde différence. Quelle est la peine que vous appliquez? C'est la perte des droits politiques de citoyen, droits qui sont d'une tout autre importance que la privation de quelques prérogatives ou de petites distinctions dans l'ordre commercial; en sorte que la peine ici n'a plus ni analogie ni proportion avec le fait dont il est question. La loi, ainsi généralisée et appliquée à une grande nation, est susceptible d'une infinité d'injustices individuelles et particulières dans son application.

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Je ne parle pas des banqueroutiers; ceux-ci sont coupables d'un véritable vol, car la banqueroute, qui est autre chose que la faillite simple, est criminelle: on ne pourrait pas poursuivre un homme dans des assemblées primaires ou

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