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nul sur ceux que vous avez intérêt et intention d'atteindre, est funeste pour tous les autres; pour punir quelques hommes vous les corrompez tous, car s'ils ne se rendent criminels vos peines au moins tendent à les rendre durs, insensibles, inhumains; ainsi, sans le savoir, sans le vouloir, vous empoisonnez la source du bonheur de la vie domestique et privée, et de toutes les jouissances sociales.

J'ose l'affirmer, messieurs, la peine de mort, fût-elle utile, ne compensera jamais les maux infinis qu'elle fait en altérant le caractère de tous. Croyez-vous donc que c'est pour sauver un assassin que je parle? Croyez-vous que je pense qu'il ne mérite pas la mort? Oui sans doute il la mérite; et si je ne la lui donne pas c'est pour apprendre aux autres par mon exemple à respecter la vie des hommes; c'est pour ne pas détruire en eux les sentimens les plus propres à entretenir parmi eux la bienveillance et la sûreté.

» Au lieu de ces ressorts impuissans unissez franchement votre puissance à celle de la nature : elle a horreur du meurtre; montrez une horreur semblable: elle se brise en voyant un homme massacré de sang froid par plusieurs hommes; éloignez ce spectacle de lâcheté et de barbarie ; que les hommes aient une règle constante et sûre d'obéissance, qu'ils n'aient plus à choisir entre des exemples et des lois, mais que les uns et les autres les amenent à respecter la vie et la sûreté de leurs semblables!

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Que rous oppose-t-on, messieurs? Des usages... Il en est de récens dont il nous serait facile de fortifier notre opinion; mais que sont aujourd'hui les usages devant les raisons!

Je cherche celles qu'on allègue en faveur de la peine de mort; toutes semblent se réduire à cet adage vulgaire, qu'il faut du sang pour du sang, qu'il faut tuer celui qui assassine!

» Analisons cette idée pour voir ce qu'elle peut produire de vérités. On conviendra aisément que c'est de la peine da talion que vient l'usage de tuer l'assassin, et que la peine du talion elle-même tire son origine de la vengeance individuelle, qu'elle tend à en perpétuer et consacrer l'idée. La nature à la vérité indique ce sentiment de la vengeance;

mais c'est précisément pour en prévenir les effets que les hommes se sont réunis en société, et leur premier acte a été de remettre à la société le droit de punir. Dans les premiers temps on conçoit facilement que la peine du talion a dû chez plusieurs peuples former elle seule tout le code pénal; elle semble conforme à l'idée primitive de la justice; elle paraît être la sanction de cette maxime ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit. Lorsque la doctrine de l'intérêt général est encore ignorée, lorsque l'intérêt particulier seul sert de mesure aux actions et de base aux lois, alors on doit naturellement désigner pour peine le traitement que chaque homme aurait fait subir sur le champ à son ennemi; mais à mesure qu'une société se civilise, lorsque les inégalités de toute espèce s'y introduisent et sont consacrées par les lois, on ne tarde pas à voir combien la peine du talion devient injuste, dangereuse, et même impraticable dans presque tous les cas; car comment punira-t-on par le talion le faux, le vol, l'incendie, l'effraction?

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L'expérience et la raison démontrent bientôt que l'être moral qu'on appelle la société ne doit pas agir, comme les individus, par l'effet d'aucun mouvement de colère ou de vengeance, dont elle n'est pas même susceptible; mais que, ramenant tout au seul principe de l'utilité publique, la société doit établir entre les délits et les peines le rapport et la proportion que cette même utilité publique indique.

» Le législateur, forcé de ramener à l'exécution d'une même loi tant d'intérêts divers qui s'y rapportent si inégalement, et d'unir ensemble des fils d'une longueur si différente, doit chercher un point commun et proportionnel entre toutes les parties; il doit établir son système de répression sur un sentiment qui soit parmi les hommes le plus fort, le plus constant, le plus général; il faut qu'il évite surtout de ravaler la justice à l'idée d'une vengeance particulière, et de justifier par ses exemples les moyens que cette vengeance n'est déjà que trop portée à employer; et s'il veut donner à un peuple un caractère élevé et un véritable esprit public il faut qu'il tâche d'ennoblir de toute la grandeur de l'intérêt général ces actes de justice que l'intérêt particulier

sollicite; il faut que les citoyens ne voient jamais dans les tribunaux les instrumens des passions privées, mais qu'ils les regardent comme des organes placés au milieu d'eux pour faire une application particulière et locale des lois que la raison publique a consacrées, comme des canaux par lesquels la volonté générale se répand sans cesse pour rectifier et corriger les aberrations de l'intérêt particulier. Rien n'est donc plus dangereux que l'idée du talion.

» Si maintenant on demande quel est ce sentiment universel et constant sur lequel on peut établir un système de répression et de peines, tous les êtres sensibles répondront de concert c'est l'amour de la liberté; la liberté, ce bien sans lequel la vie elle-même devient un véritable supplice; la liberté, dont le brûlant désir a développé parmi nous tant et de si courageux efforts; la liberté enfin, dont la perte, à laquelle on peut ajouter la privation de toutes les jouissances de la nature, peut seule devenir une peine réelle, répressive et durable, qui n'altère point les mœurs du peuple, qui rend plus sensible aux citoyens le prix d'une conduite conforme aux lois; peine susceptible d'ailleurs d'être graduée de manière à s'appliquer exactement aux différens crimes, et à permettre qu'on observe entre eux cette proportion si importante qu'exigent les différens degrés de perversité et de nuisibilité!

» Telle est la base du système de pénalité que vos comités vous présentent, messieurs; mais en détruisant toute l'atrocité des peines ils ne croient pas pour cela en avoir diminué la juste sévérité; ils pensent au contraire que celles qu'ils vous proposent d'établir sont plus répressives et plus fortes, ont un effet plus durable, plus profond et plus sûr dans l'âme des malfaiteurs, et qu'ainsi, la garantie que la société doit aux individus étant plus assurée, le véritable but des peines est mieux rempli.

» Les peines que nous établissons, messieurs, sont véritablement plus grandes et moins cruelles; cela même est un argument invincible et auquel je défie tous mes adversaires de répondre, d'autant mieux qu'ils nous fournissent euxmêmes la vajeure du raisonnement. Une prison longue,

pendant laquelle on est seul, privé de la lumière et de tous les bienfaits de la nature, est, disent-ils, une peine plus dure que la mort... Hé bien, messieurs, si c'est par compassion que vous établissez la peine de mort décernez-la donc aux simples voleurs, aux fripons, et réservez une peine plus forte pour ceux qui ont assassiné, empoisonné leurs semblables! Ne voyez-vous pas que, quelque chose que vous fassiez, il faudra que le faussaire, le voleur avec effraction soient punis par une dure et longue détention? Alors dans votre propre système ces individus sont plus punis que l'homme qui a assassiné son bienfaiteur. Voulez-vous donc favoriser ces attentats plus que les simples larcins, y inviter même en leur montrant une peine plus douce et passagère? Que devient alors la justice! Que devient l'ordre social, qui exige que la peine augmente en proportion de l'énormité du crime! Le voleur menacé de douze années d'une prison affreuse se dira: au lieu de dérober je n'ai qu'à tuer, assassiner; la peine sera moindre; je serai moins puni... Non seulement ainsi vous donnez un funeste encouragement au plus grand des forfaits, mais vous assurez un brevet d'impunité à tout criminel qui ne craint pas la mort. Il n'existe pas au monde un individu qui ne redoute d'être douze années au cachot; ainsi dans notre système la répression s'étend à tous ; mais si vous ôtez la vie pour punir le meurtre, tout assassin qui est affranchi de la crainte de la mort, ce qui n'est pas rare, peut impunément braver la société, la nature et les lois.

» Nous sommes bien éloignés néanmoins, messieurs, de vouloir remplacer la peine de mort par des supplices perpétuels. Il nous a paru que déraciner dans l'homme l'espérance c'était détruire en lui le principe même de la vie, le seul qui le soutienne au milieu de ses souffrances, et qui, en allégeant le poids de son malheur, le lui rende possible à supporter; c'est anéantir l'homme; il serait plus humain de le faire périr. La société, j'ose le dire, n'a pas le pouvoir de faire éprouver à un individu une si complète dégradation de lui-même ; et d'ailleurs la raison et la justice s'y opposent également, car jamais on ne doit désespérer de l'amendement d'un coupable; sa correction même est un des objets de la

peine; elle n'existerait plus si l'homme était condammé à un éternel supplice.

» Enfin, messieurs, vous avez paru désirer d'établir la révision des jugemens: mais cette institution ne devient-elle pas ridicule et même insultante pour les citoyens lorsqu'elle consiste à donner le moyen de prouver l'innocence d'un homme qui n'est plus!... (Murmures.) Je vois que je ne fais que retarder d'un quart d'heure la peine de inort!... Que dans le cas où l'erreur du jugement n'est rectifiée qu'après la mort du condamné on rétablisse sa mémoire j'y vois peu d'avantages; néanmoins cela me paraît possible : mais que la société ne préfère pas mille fois de conserver la vie et de rendre la liberté à un homme injustement condamné, voilà ce qu'il est difficile de concevoir. Lorsqu'un faussaire aura succombé par l'effet d'une erreur il pourra rentrer dans la société par l'effet de la révision de son jugement, et un citoyen faussement accusé, injustement condamné pour cause d'assassinat, sera provisoirement mis à mort!... Quelle disparate, quelle incohérence, quelle contradiction dans les principes! Toutes ces lois ne peuvent à la fois se rencontrer dans le même code, dans une constitution qu'un peuple éclairé s'est donnée à lui-même à la fin du dix-huitième siècle.

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Daignez, messieurs, considérer cet objet avec l'attention qu'il commande, et le traité avec toute la dignité du corps constituant, et non avec cet esprit tranchant et léger qu'on a quelquefois tenté d'introduire parmi vous, et qui tend à éloigner de vos décrets le respect et la confiance qu'ils doivent exiger! Gardez-vous de ceux qui voudraient reléguer dédaigneuseinent cette question dans le domaine de la pure philosophie, et lui refuser l'analogie directe qu'elle a avec. le succès de vos travaux!

» Pour ceux qui observent avec attention il en est bien autrement. Parmi les opinions diverses qui agitent un peuple entier, à travers les combinaisons politiques et sociales qui le modifient, il est toujours quelques sentimens généraux qui ressortent et prédominent sur tous les autres. Parcourez les divers pays, vous en reconnaîtrez les habitans à ces senli

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