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ne nous a jamais détournés d'un seul crime; la roue seule étonnait notre farouche courage.

» Je prévois l'objection qu'inspireront quelques-uns des exemples que je viens de citer.

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Pourquoi, dira-t-on, tant de gens s'exposent-ils sans peine à la mort? C'est que le danger n'exclut pas la possibilité et l'espoir d'y échapper. Pourquoi une mort certaine paraît-elle douce et supportable? C'est parce que l'honneur, et non l'infamie, l'accompagne.

» Je réponds d'abord que pour le criminel l'espérance d'éviter la peine est à coté du crime; de même que le soldat qui monte à l'assaut voit l'espérance placée au haut des tours qu'il escalade. Je conviens ensuite qu'on ne peut comparer l'effroi d'une mort glorieuse à l'effroi d'une mort infâme; mais voici l'argument que je tire de cette objection c'est donc l'infamie et non la mort qui prête au supplice le plus d'horreur? Hé bien, réservez le coupable pour une longue infamie, au lieu de le délivrer par la mort du sentiment pénible et salutaire de l'opprobre.

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» Je conclus de ces réflexions que la mort sans douleur étant affrontée on supportée sans effort, et par l'effet d'un sentiment assez ordinaire à l'homme, la peine de mort simple, la seule que l'humanité vous permette de conserver, est une peine très peu efficace pour la répression des

crimes.

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J'ajoute que cette considération devient bien plus décisive encore si vous remarquez quels sont les attentats que vous voulez réprimer par la crainte de cette punition.

» Vous en menacez les grands crimes; mais les grands crimes ne sont pas commis par des êtres ordinaires : l'atrocité en est le principe; mais l'atrocité tient à la force dont elle est l'abus. Ce sont des âmes d'une trempe peu commune qui animent les grands scélérats; et si en général tout homme est aisément capable de courir le hasard d'une mort prompte et sans tourmens, ou de la supporter sans désespoir, une farouche philosophie armera bien plus facilement un cœur vigoureusement féroce, endurci par un grand attentat, et qui, tranquille à la vue du sang huntain versé

par son crime, a déjà remporté sur la nature une affreuse, inais une bien pénible victoire.

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Déjà par une longue expérience l'inefficacité et l'inutilité de cette peine sont prouvées.

» En France plusieurs espèces de vol, notamment le vol domestique, étaient punis de mort; la loi s'exécutait à la rigueur avant que le cri de la raison se soit fait entendre. Cette peine a-t-elle réprimé le crime? et quel est l'homme qui, au moins une fois dans sa vie, n'a pas été volé par un serviteur infidèle?

» En Angleterre la peine de mort menace presque tous les vols; et dans nul pays on ne vole plus habituellement qu'en Angleterre.

» A Rome jamais les crimes ne furent plus rares que lorsque la peine de mort était bánnie du code des Romains libres; jamais ils ne furent plus multipliés que lorsque la peine de mort entra dans les institutions de la république dégradée.

» Enfin la Toscane, le premier État moderne dont les lois humainement novatrices aient osé tenter l'essai de supprimer la peine de mort, la Toscane présente un registre bien précieux pour le philosophe sensible et le législateur éclairé; les anuales criminelles de ce peuple offrent la preuve certaine qu'il y a été commis moins de crimes pendant le cours des années qui ont suivi l'abrogation de la peine de mort que pendant celles qui l'ont précédée.

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Daignez, messieurs, pour appuyer ces réflexions, fixer votre attention sur un aspect bien important de la ques

tion.

Si nous étions un peuple neuf qui formât aujourd'hui le premier recueil des lois sous lesquelles il doit vivre peutêtre serait-il convenable de placer la privation de la vie à la tête de l'échelle des peines, et de prononcer cette privation contre quelques grands attentats.

» Mais il s'en faut bien que telle soit la position où nous

nous trouvons. •

>> Nous sommes dans un pays où la peine de mort était prodigieusement multipliée, et où la peine de mort se pro

duisait sous les formes effrayantes des supplices les plus longs et les plus douloureux.

» Si vous conservez cette peine, mais la mort simple, et réservée pour quelques grands crimes, quel effet produirezvous dans l'esprit du peuple? Vous allez y opérer un mouvement très-funeste: vous baisserez d'une manière claire et visible l'échelle des peines; tel crime puni de la peine de mort va s'en trouver affranchi; tel autre crime donnait lieu à la condamnation aux plus cruels supplices, et désormais ce même attentat ne sera réprimé que par une mort prompte et sans douleur : voilà le ressort de la terreur affaibli; votre code pénal, si l'on peut parler ainsi, paraîtra mis au rabais; par un calcul facile le méchant se démontrera à lui-même cette dangereuse vérité qu'il gagne aujourd'hui dans les chances nouvelles que lui présente l'avenir d'un crime; et quelle efficacité pourrez-vous vous promettre de la conservation de la peine de mort pour quelques grands attentats, lorsque le peuple verra appliquer à l'empoisonneur, à l'assassin, le même supplice qu'il a vu subir pendant longtemps au serviteur infidèle qui avait volé cinq sous à son maître?

» Il n'est qu'un seul moyen d'adoucir la barbarie des peines sans affaiblir le sentiment du salutaire effroi qu'elles doivent inspirer; c'est de frapper l'esprit des hommes en renouvelant le système pénal dans sa totalité vous évitez par-là l'évidence et l'inconvénient des rapprochemens et des comparaisons; vous inspirez certainement aux malfaiteurs un plus grand effroi par l'établissement d'une peine, d'un exemple imposant, et jusqu'alors inusité: vous produirez l'effet tout contraire en descendant visiblement la punition terrible d'une action atroce au degré moins rigoureux d'une peine bien connue qu'autrefois on appliquait à de moindres crimes.

« Mais si la peine de mort, ainsi tempérée, perd toute l'efficacité que l'ancien code pénal trouvait dans son atrocité même, cete peine, tout insuffisante qu'elle soit pour l'exemple, n'en perd rien de son immoralité ni de son influence funeste sur les mœurs publiques : dans un pays libre toutes les institutions doivent porter dans le cœur du citoyen l'énergie et le mépris de la mort; vos lois au contraire auront

pour effet de lui en inspirer l'épouvante, en présentant la mort comme le plus grand des maux qu'on ait pu opposer aux plus grands des crimes.

» Considérez cette foule immense que l'espoir d'une exécution appelle dans la place publique; quel est le sentiment qui l'y conduit? Est-ce le désir de contempler la vengeance de la loi, et en voyant tomber sa victime de se pénétrer d'une religieuse horreur pour le crime? Le bon citoyen est-il meilleur ce jour-là en regagnant sa demeure? L'homme pervers abjure-t-il le complot qu'il méditait? Non, messieurs, ce n'est pas à un exemple, c'est à un spectacle que tout ce peuple accourt; une curiosité cruelle l'y invite; cette vue flatte et entretient dans son âme une disposition immorale et farouche: souvent le même crime pour lequel l'échafaud est dressé trouve des imitateurs au moment où le condamné subit sa peine, et plus d'une fois on volait dans la place publique au milieu de la foule entassée pour voir pendre un voleur.

» Malheur à la société si dans cette multitude qui contemple avidement une exécution il se trouve un de ces êtres disposés au crime par la perversité de leurs penchans! Son instinct semblable à celui des animaux féroces, n'attend peut-être que la vue du sang pour s'éveiller et déjà son âme est endurcie au meurtre à l'instant où il quitte l'enceinte trempée par le sang que le glaive des lois a versé.

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Quel saint et religieux respect vous inspirerez pour la vie des hommes lorsque la loi clle-même abdiquera le droit d'en disposer! Tant que le fer sacré n'est pas suspendu au fond du sanctuaire le peuple qui l'aperçoit pourra céder à l'illé-gitime pensée de s'en attribuer l'usage; il offensora la loi en voulant la défendre; il sera peut-être coupable et cruel par patriotisme et par vertu; dans les secousses d'une révolution, dans les premiers élans de la liberté, n'avons-nous pas vu.... Mais détournons de funestes souvenirs, et, sans déplorer des erreurs passées qui nous affligent, tarissons-en la source en adoucisant, en tempérant, en sanctifiant les mœurs publiques par la grande et touchante leçon d'hunamité que nos lois peuvent donner aux peuples.

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" L'effet que produit la peine de mort est immoral sous tous ses rapports: tantôt il alimente le sentiment de la cruauté; nous venons de développer cette vérité; tantôt aussi par la pitié cette peine va directement contre son objet. C'est un grand malheur lorsque la vue du supplice fait céder le souvenir du crime à l'intérêt qu'inspire le condamné ; or cet effet est toujours auprès de la peine de mort : il ne faut que quelques circonstances extérieures, l'expression du repentir, un grand calme, un courage ferme dans les derniers instans pour que l'indignation publique se taise, et tel sur l'échafaud a été plaint par le peuple dont le peuple avant le jugement demandait la tête à grands cris.

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Jusqu'ici nous avons raisonné en supposant la peine de mort justement prononcée; mais un innocent ne succombera-t-il jamais? De trop funestes exemples n'ont-ils pas réalisé cette hypothèse? Si la forme des jurés est tutélaire contre les fausses accusations, les jurés ne sont-ils pas pour- tant des hommes, et entre tous les avantages que nous présente la suppression de la peine de mort n'est-ce pas une pensée consolante d'imaginer qu'à chaque instant les erreurs de la justice peuvent être efficacement réparées, et que l'innocence reconnue respire encore?

» C'est beaucoup sur la grande question que nous agitons d'avoir montré les inconvéniens de la peine de mort; mais ce n'est pas tout; il faut mettre une autre peine à la place, et l'homme sage ne saurait prendre le parti de détruire le moyen de répression usité jusqu'à présent sans s'être convaincu de l'efficacité d'une autre mesure pour défendre la

société contre le crime.

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Voici, messieurs, ce que nous vous proposons de substituer à la peine capitale.

» Nous pensons qu'il est convenable d'établir une maison de peine dans chaque ville où siége un tribunal criminel, afin que l'exemple soit toujours rapproché du lieu du délit : c'est une maison par département.

» Avant d'y être conduit le condamné sera exposé pendant trois jours sur un échafaud dressé dans la place publique; il sera attaché à un poteau; il paraîtra chargé des mêmes

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