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» Je dis plus, messieurs, c'est qu'il est tel acte (1), selon moi très innocent, qui circule maintenant dans le public, et qui pourrait être l'objet d'une accusation en jugement : cet acte dit, par exemple, que l'Assemblée nationale a enlevé par certains décrets, les plus authentiquement délibérés, le seul moyen qui existe d'établir un gouvernement en France; avec un peu de malveillance un accusateur public pourrait dire de cette protestation, déclaration, considération, comme on voudra l'appeler, qu'elle tend véritablement non pas seulement à discréditer les pouvoirs constitués, mais même le pouvoir constituant dont l'autorité n'est pas moins importante à garder que celle des corps constitués. On pourrait donc faire le procès, selon moi, avec cette phrase-là même, à des choses qui sont très licites; il faut donc retrancher ces mots : l'avilissement des pouvoirs constitués. Mais j'adopte ensuite la proposition faite par M. Dumetz : nul homme ne peut être recherché s'il n'a provoqué formellement la désobéissance aux actes légitimes des pouvoirs constitués. »

M. Chapelier. « Je pense contre l'opinion de M. Barnave que ce qu'il y a de plus constitutionnel dans ce qui regarde la presse c'est la détermination des délits et l'interdiction des lois extensives.

Je vais examiner très rapidement les diverses propositions qui vous sont faites.

» J'avoue que je ne suis pas d'avis de laisser subsister l'expression qu'on vous a fait adopter dans un décret rendu assez récemment, le mot formellement.

» Je vous prie, messieurs, de considérer que le mot directement ni celui formellement ne conviennent à la matière; que d'abord la loi semble inviter le citoyen à ne pas provoquer formellement, mais à provoquer d'une manière indirecte, et alors on lui dit ceci n'est pas un délit. Or dans toute société bien réglée un homme qui aurait été assez adroit pour ne pas conseiller formellement, mais qui cepen

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(1) La déclaration faite par M. Thouret au nom des comités. (Voyez plus haut, page 131.)

dant par ses expressions, bien senties de tout le monde, aurait provoqué un délit, indubitablement cet homme serait punissable dans une société bien réglée, et ce ne serait nullement attenter à la liberté que de lui infliger une peine. Quelle doit être la règle déterminante à cet égard? C'est la règle du premier sentiment des jurés. Quand on lit un ouvrage il n'y a besoin que du bon sens pour apercevoir que les expressions de cet ouvrage annoncent une intention coupable et la volonté de détruire l'ordre public: voilà ce que les jurés assurent positivement, et ce qui sera fait. Ce mot à dessein les avertit de ce qu'ils ont à faire; ce mot leur déclare que la loi ne permet pas de déclarer punissable un ouvrage alors même qu'il serait conçu dans des termes très forts, alors même qu'il exprimerait publiquement des pensées très vives, si l'intention de l'auteur, d'après le sentiment intime des jurés, était de ne pas inviter à commettre un délit. Je pense donc que pour la liberté le mot à dessein est véritablement le mot propre je soutiens qu'employer le mot formellement c'est même interdire aux jurés la faculté de décider qu'un homme qui se serait très indirectement avancé, qui paraîtrait conseiller formellement un délit, n'est pas cependant un homme coupable, parce qu'il n'a pas eu dessein de commettre ce délit. Voilà mon observation sur le premier membre de la phrase.

» Ma seconde observation porte sur ces mots, à retrancher ou à conserver : l'avilissement des pouvoirs constitués. Il ne faut pas confondre ici les pouvoirs avec les personnes; il ne faut pas encore confondre l'avilissement avec la censure. On peut demander qu'une autorité établie soit réformée ou dans ses parties ou dans ses bases; on peut examiner quels sont les effets de tel ou tel gouvernement pour la chose publique; mais autre chose est de censurer ainsi un gouvernement ou de chercher à l'avilir; c'est la même différence qu'il y a entre la résistance à la loi et la censure de la loi. Il n'est permis à personne d'avilir les pouvoirs constitués, car les autorités constituées appartiennent à l'ordre public, et ce sont elles qui le gardent, qui le maintiennent; si vous les avilissez vous détruisez le gouvernement; mais il est

permis à tout le monde de censurer, de critiquer la forme qu'on a donnée à telle ou telle autorité, et d'appeler l'opinion publique sur la réforme qui serait nécessaire pour que cette autorité fût plus utile.

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J'opine donc, messieurs, pour la conservation de ces mots, l'avilissement des pouvoirs constitués, expression dont le sens me paraît tellement déterminé qu'il est impossible qu'il puisse se confondre avec la critique de la loi et du gouvernement, avec la proposition de changer et d'améliorer les différentes parties de l'administration. »

M. Goupil propose un amendement ainsi conçu l'avilissement de la dignité royale dans la personne du roi. Cet amendement provoque quelques applaudissemens et beaucoup de murmures; il est combattu par M. Rewbell, qui le regarde comme une mesure de circonstance dans une Constitution qui doit être durable, et dans laquelle tous les pouvoirs sont également respectables : néanmoins M. Thouret adopte la proposition de M. Goupil, et l'introduit dans le premier paragraphe, dont il donne lecture; les murmures de la majorité s'élèvent de nouveau contre cet amendement, qui est définitivement rejeté. Les autres amendemens sont mis aux voix ; un seul est conservé; il est de M. Pétion, et consiste à ajouter après ces mots : qu'il aura fait imprimer ou publier, ceux-ci : sur quelque matière que ce soit ; et l'Assemblée décrète ainsi amendé le premier paragraphe de l'artiche premier du projet des comités.

Séance du 23.-M. Thouret. « Voici le second paragraphe du premier article sur la répression des délits par la voie de la presse. (Il en donne lecture. Voyez plus haut, page 145.)

» Les comités ont été provoqués pour adopter deux propositions diamétralement contraires, et qui nous ont paru tenir à des excès également nuisibles. L'une de ces propositions était qu'il fût non pas défendu d'imprimer, mais qu'on fût punissable d'avoir fait imprimer des faits faux contre la conduite des fonctionnaires publics, quoiqu'on n'eût rien imprimé de taxatif personnellement contre l'hon

neur et la probité de ces fonctionnaires. Nous n'avons pu, messieurs, adopter cette première proposition, qui renferme la presse dans un espace si étroit que sa liberté serait une chimère.

» La seconde était qu'on ne fût pas punissable pour avoir imprimé, relativement aux fonctions de l'administration, des imputations même calomnieuses, attaquant directement la probité, l'honneur, la droiture des intentions des fonctionnaires publics. Nous n'avons pu de même adopter cette seconde disposition, qui nous jetterait dans un océan sans bornes de calomnies excitant sans cesse des orages politiques.

» Nous avons dû donner à la liberté de la presse, relativement à la conduite des fonctionnaires publics, toute la latitude dont elle est raisonnablement susceptible.

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» En fixant cette ligue de démarcation que tant qu'on n'imprimerait que contre les opérations faites en administration, blåmant les opérations en elles-mêmes; donnant soit d'après la loi, soit d'après des intérêts politiques, les raisons de la censure faites sur les opérations des administrations et des fonctionnaires; nous avons cru qu'on ne faisait alors qu'exercer cette surveillance très nécessaire pour le maintien de l'intérêt public et de l'intérêt national, et qu'on ne devait pas gêner cette faculté d'exprimer son opinion et d'appeler l'opinion publique sur les actes de l'administration; que tant qu'on s'arrêtait là et qu'on n'allait pas jusqu'à attaquer l'honneur on devait avoir une pleine latitude. Nous n'avons donc rédigé l'article que pour déclarer qu'en cas de calomnie volontaire il doit y avoir répression; car si sous prétexte d'exercer l'utile surveillance que donne la censure sur les fonctions administratives il est permis d'ajouter faussement, calomnieusement, à dessein de nuire et de diffamer la personne publique, des traits inculpatifs sur ses sentimens, sur son honneur et sur sa probité, il est impossible qu'il n'y ait pas là un désordre social il n'est pas nécessaire pour la société que cette censure soit exercée de cette manière. Il faut qu'elle soit exercée, il faut qu'on dénonce tout ce qu'on voit de mal dans les opérations des administrations, il faut rappeler à la règle ceux qui s'en

écartent en censurant sous ce rapport ce qu'ils font ; l'intérêt public est gardé tant qu'on a cette latitude; mais dire, par exemple tel fonctionnaire public aurait dû porter telle partie de la force armée sur telle frontière du royaume, et cependant il ne le fait pas; c'est donc par négligence pour l'intérêt public, par coalition avec les ennemis; c'est parce qu'il a reçu des sommes d'argent; c'est parce qu'il est vendu...... Si le fait est faux, si d'ailleurs la calomnie est volontaire et qu'elle soit faite à dessein de nuire à l'administrateur, il n'est pas possible de l'autoriser.

» Dès que l'opinion publique ne réclame pas une telle latitude c'est que cette latitude est très opposée à l'intérêt public, car il ne serait pas possible de conserver des hommes soigneux de leur réputation, des hommes qui s'appliquent patriotiquement, avec zèle à la chose publique, s'ils devaient recueillir pour récompense de leur travail la faculté donnée à tout écrivain de les calomnier tous les jours volontairement. Ceci, messieurs, paraît contraire à l'objet d'utilité qui est attaché à la liberté de la presse; ainsi le paragraphe qui vous est proposé est conçu dans cet esprit.

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Après cette explication donnée par le rapporteur M. Pétion prit la parole; il lut un très long discours sur la liberté de la presse en général : cette dissertation, quoique travaillée avec soin, fit éprouver quelques mouvemens d'impatience;

on n'avait pas mis en question la liberté de la presse, et M. Pétion en retraçait la nécessité, les bienfaits et pour ainsi dire l'historique devant une Assemblée qui l'avait solennellement reconnue et proclamée. Cependant l'attention fut rendue à M. Pétion lorsqu'après avoir démontré que sous le despotisme un écrit séditieux et même incendiaire est un écrit patriotique et vertueux, il aborda directement l'objet du paragraphe mis en délibération : il s'agissait des effets de la calomnie volontaire sous le rapport des personnes publiques; nous ne citerons que cette partie

du discours de Pétion.

M. Pétion. ( Séance du 23 août 1791.) « Les hommes publics tendent sans cesse à agrandir leur autorité; c'est la

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