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violette que Cuvier portait encore il y a trente ans ; mais quant à l'âge, il voulut qu'on s'éloignât le plus possible de l'âge auquel on met aujourd'hui les gens à la retraite, sûrs qu'ils seraient de s'attirer, par un certain air de jeunesse, beaucoup plus d'égards et de confiance.

Ils s'embarquèrent donc sur un translantique qui devait les porter à Saint-Nazaire, au pays de France, terre natale des invincibles armées, de la vapeur, du chemin de fer, de l'aérostat, de la photographie conceptions qu'Hipparque surtout admirait. De là, le Grec devait se rendre, par la cité phocéenne de Marseille, à Rhodes, qu'il avait autrefois illuminée de son génie, et il n'était pas fâché d'aller voir, un peu plus loin, comment les modernes s'y prennent pour percer des isthmes; le Hollandais devait se rendre dans les Pays-Bas, puis dans sa chère Lorraine, dont il avait, par ordre du duc Charles III, dressé la carte savante interrompue par sa mort.

La traversée fut heureuse. On causa beaucoup, non des cieux, mais de la terre; on lut tous les journaux et toutes les revues qui se trouvaient à bord, et l'une de ces feuilles renfermant précisément les détails de l'affreux tremblement de terre qui venait d'ensevelir Rhodes sous les ruines de ses principaux monuments, Hipparque renonça à visiter sa patrie; mais il consentit à poursuivre son voyage en compagnie de Mercator, pourvu que celui-ci le ramenât sur la terre de France, en Lorraine s'il le voulait, puisqu'il lui donnait l'assurance que la Lorraine était devenue un pays français. Il fut donc arrêté que de Saint-Nazaire on reprendrait la mer pour se rendre d'abord au port d'Ostende.

Mercator conduisit promptement d'Ostende à Amsterdam son illustre compagnon de voyage, et, déjà témoin de l'étonnement et de l'émotion que lui avait causés la navigation de long cours inconnue aux temps anciens, il se réservait, dans une intention qui n'était pas exempte d'amour-propre, de lui faire contempler en Hollande d'autres merveilles. Hipparque, en effet, ne put retenir les élans de son admiration à la vue de cette riche cité bâtie sur 90 iles communiquant entre elles par 280

ponts. « Vous avez vu, disait Mercator, l'Océan dompté «par nos immenses pyroscaphes, ici voyez-le captif et <<< repoussé loin de son rivage. Voyez ces plaines immen«ses, plus basses que la mer, conquises sur elles et dé« fendues par la main de l'homme. Cette merveille vaut <«< assurément mieux que votre colosse de Rhodes, qui << n'a vécu que 56 ans, juste la vie d'un mortel assez or<< dinaire. >>

De là à Nancy, terme convenu du voyage, les étapes étaient tout naturellement tracées pour Mercator: Ruremonde, sa ville natale; Juliers, près de Cologne, où il avait pris le titre de cosmographe; Aix-la-Chapelle, où l'empereur Charles-Quint l'avait attaché à sa maison; et enfin Nancy, qui avait été la patrie de ses dernières années.

C'est donc au chef-lieu de la Meurthe que nous les trouvons, installés dans un comfortable hôtel de la place Royale, avec le dessein bien arrêté de faire, dans le voisinage, une pointe sur Châlons, où le grand Hipparque voulait absolument voir manœuvrer les premiers soldats du monde. Mais en se rendant à la gare, Mercator, qui de son vivant perdait, assure-t-on, le boire, le manger et le dormir, lorsqu'il était question de géographie, Mercator, arrêté devant la vitrine d'un libraire, perdit cette fois l'heure du chemin de fer; de sorte que l'astronome fut obligé de partir seul, et que l'ex-cosmographe du duc de Juliers rentra à l'hôtel, chargé d'atlas et de fournitures de mathématiques, comme au temps où il se rendait à l'école et où on ne l'appelait encore que le petit Gérard.

Ce ne fut donc qu'au retour d'Hipparque que le dialogue suivant put s'établir.

DIALOGUE.

MERCATOR, à sa table de travail, HIPPARQUE rentrant.

HIPPARQUE. Me voici revenu, monsieur le déserteur. Après un traité d'alliance bien cimenté, vous me laissez faire l'expédition tout seul: cela n'est pas beau.

MERCATOR. (Sans interrompre son travail.) Figure 1re, pour la longitude au 80 degré, de celle à l'équateur, 13 tandis que nos tables ne portent que; évidemment les longueurs horizontales y deviennent doubles.

HIPPARQUE. Allez, mon cher Mercator, vous avez beaucoup perdu. Je reviens plus enchanté que jamais ; car ces Français sont incroyables. J'ai vu leurs tonnerres rayés dont un seul eût suffi pour arrêter l'armée d'Alexandre-le-Grand. J'ai retrouvé dans leur tactique toute une géométrie mouvante: des lignes pivotant sur un centre, et dont tous les points vivants décrivaient des arcs concentriques aussi exacts que pourrait le faire le compas que vous tenez à la main; ces lignes se transforment rapidement en rectangles; ces rectangles, en carrés équivalents, lesquels redeviennent des lignes. Infanterie, cavalerie, génie.... Mais je crois que vous ne m'écoutez pas.

MERCATOR. Pardon, seigneur Hipparque! J'entends très-bien que vous parlez de surfaces équivalentes: et c'est aussi ce qui m'occupe dans ce moment; mais l'équivalence des surfaces n'entraîne pas du tout la similitude des figures.

HIPPARQUE. Assurément.... Je vous disais donc combien j'étais satisfait de ma journée; et pour la finir, quel spectacle inattendu! Un nouveau globe dans l'espace, sur lequel je lisais en lettres de feu le Géant, emportant avec lui sept satellites humains, tous intrépides, y compris la dame qui en faisait partie. Si nous étions restés un jour de plus à Amsterdam, vous l'auriez observé aussi, mon cher Mercator, ce nouvel astre; car, selon ce que j'ai pu juger de l'orientation du pays, ils seront cette nuit sur votre belle mer de Zuiderzée....... Pourva qu'ils n'en fassent pas une nouvelle mer d'Icare!.... Mais, décidément, vous n'écoutez pas la description que je prends la peine de vous faire.

MERCATOR. Je vous écoute, au contraire, seigneur Hipparque. Vous parlez d'un ballon, météore industriel qui me touche peu jusqu'à ce que les formules algébriques qui démontrent son avenir soient résolues, non

pas par «, ou, mais par la pratique. Le globe dont je m'occupe est moins fragile et plus sérieux : c'est le globe terrestre. Je vérifiais une projection nouvelle de sa surface, et ma vérification étant faite, je suis tout à

vous.

HIPPARQUE. A la bonne heure! car je ne pense pas que nous soyons revenus un instant sur cette terre pour y recommencer nos travaux. Dites-moi d'abord pour

quoi vous m'avez laissé là si subitement?

MERCATOR. C'est au nom de la science que je vous demande pardon, seigneur; car, toujours animé de son feu sacré, dès qu'il est question d'elle, je ne vois plus rien au dehors. Vous l'avouerai-je? En présence des cartes géographiques qui paraient le magasin du libraire, la pensée me vint de rechercher si quelques-unes de ces cartes de Lorraine, qui m'ont coûté la vie, existaient encore depuis 300 ans. Je n'en ai retrouvé aucune; mais, à leur place, quantité d'atlas dits modernes, dits nouveaux, comme s'ils ne l'étaient pas tous au moment de leur apparition! et parmi eux, celui-ci, à la couverture duquel est surajoutée, entre les titres, la petite bande rose que vous voyez et où nous lisons: Géographie actuelle. Comprenez-vous bien toute la portée de ce mot? << actuelle » cela implique un suffrage général, universel peut-être si tout le monde savait lire. Je n'ai donc pu, comme tant d'autres, résister à la tentation de posséder l'ouvrage un instant, et l'impatience où j'étais de l'examiner est la seule cause de l'abandon où je vous ai laissé.

HIPPARQUE. Je pardonnerai volontiers à l'atlas, s'il en vaut la peine.

MERCATOR. S'il en vaut la peine? mais assurément : vous allez voir. Il est dressé sur une projection inventée depuis peu et qu'on appelle la projection homalographique.

HIPPARQUE. Je comprends; cela veut dire plane ou ou unie; mais... j'y pense; est-ce que toutes les projections ne le sont pas, comme étant faites sur le papier?

MERCATOR. Voyons. J'aperçois ici une parenthèse où il est écrit (Omalos, régulier.)

HIPPARQUE. (S'échauffant. ) Régulier!... Et en quoi? Quant à la polissure du papier, oui; quant à la loi mathématique, non. Omalos signifie plan, uni, sans aspérités. Je sais peut-être le grec, moi? Tous les dérivés de cette racine ne présentent qu'une idée matérielle et une idée d'aplanissement. Omalotės, niveau; omalizô, j'aplanis; omalodermos, qui a la peau lisse; omalistêr, la plane du tourneur... Je défie qu'on me cite aucun exemple de....

MERCATOR. Allons! allons! seigneur Hipparque, calmez-vous. Vous donneriez à penser que Strabon avait raison de dire que vous étiez pointilleux sur les mots et que vous aimiez la chicane.

HIPPARQUE. Qui? Strabon: ce plagiaire qui a profité de mes travaux sans en rien dire; je le méprise souverainement, ainsi que son imitateur Ptolémée. Je soutiens qu'il n'y avait ici de possible que norma ou canonikos.

MERCATOR. Mais considérez donc qu'on n'a déjà que trop abusé de ces deux termes; et à tout prendre, le mot choisi n'est-il pas sonore et commercial? C'est ce qu'il faut aujourd'hui.

HIPPARQUE. Alors, je m'incline. Mais, sous ce faux titre, l'ouvrage à votre avis n'est donc pas mauvais?

MERCATOR. Comment voulez-vous qu'il soit mauvais? L'auteur est un membre de l'Institut de France; l'éditeur, un ancien élève de l'Ecole Polytechnique; le libraire, un ancien élève de l'Ecole Normale supérieure : c'est une triple garantie. Je ne dis pas qu'il n'y ait un petit écart dont je vous parlerai tout à l'heure, mais en somme la projection est excellente, et mon avis est que tous les savants doivent accueillir ce nouveau système avec reconnaissance, en raison de l'important service qu'il va rendre à la géographie.

HIPPARQUE. Je vous disais bien que ces Français sont capables de tout. Mais, voyons, expliquez-moi un peu ce nouveau système.

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