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milieu de la sainte milice, dégagé de tous les liens du monde qui enlacent ses parents, il pût plus facilement prier pour leur salut. L'enfant, nommé Geoffroy, fut reçu par dom Albert et par les autres frères bien plus par amour de Dieu, pour son salut et à cause des rapports intimes qui existent avec son père, dont les pieuses habitudes et la crainte de Dieu sont bien connues, qu'en considération d'un avantage temporel.

« Le susdit Hildebert donna à Saint-Martin, dans l'assemblée des frères, une terre située dans la varenne de Vendôme, pouvant suffire au travail d'une charrue, et qui paye, à la Saint-Martin d'été, deux sous d'or à Salomon de Lavardin. Et afin que cette donation soit confirmée et assurée à perpétuité, Salomon, de qui Hildebert tient la terre, et le comte Thibault', de qui Salomon la tient à son tour, y consentirent volontiers. Il ajouta à cette donation un arpent de terre arable, situé à Melche, du fief et avec l'assentiment de Salomon, dont nous avons fait connaître la position. Le même Hildebert accorda encore aux frères du grand monastère douze deniers de cens sur un arpent de terre appartenant à son frère Archambert, et qu'il payera aux moines, à la fête de la Saint-Martin d'été, de la même manière et dans les mêmes conditions que le paye ledit Archambert à la même solennité. Hersende, épouse d'Hildebert, et ses fils Hildebert, Salomon et Drogon, ont volontairement consenti toutes les clauses de la présente donation. Et ceux qui sont intervenus comme témoins de cette donation, pour si besoin était, ont été inscrits; ce sont Garnier l'aîné, Roger Hilduin, Gilebert et Raynald. »

On voit, d'après cette charte, que le père d'Hildebert appartenait à la noblesse, et qu'il possédait un de ces fiefs, qui, comme d'innombrables anneaux, se rattachaient les uns aux autres et formaient ce qu'on a appelé la féodalité. La terre qu'il donna au grand monastère, il la tient de Salomon de Lavardin, comme Salomon

'Thibault III, Vme comte de Blois.

lui-même la tient du comte Thibault. Par là se trouve clairement indiqué, en même temps que la situation de la famille d'Hildebert, le système féodal des fiefs et des arrière-fiefs. On se fait assez généralement de la féodalité et de la noblesse dans le moyen âge une idée inexacte; on se la représente comme une caste inaccessible et restreinte, composée de quelques descendants des vainqueurs germains, et l'on se figure que les habitants de ces sombres châteaux, dont les ruines couronnent les hauteurs, étaient francs d'origine, formaient à eux seuls la féodalité, et représentaient toute la noblesse.

Aujourd'hui que tant d'événements et tant d'idées nous séparent du régime féodal et aristocratique, nous pouvons abandonner tout esprit de système et juger les faits et les institutions avec l'impartialité de l'histoire, sans jalousie du passé, sans inquiétude de l'avenir, et sans crainte, dans le présent, de réveiller des espérances déraisonnables ou des susceptibilités rétrospectives.

La noblesse en France a eu trois sources, trois origines : elle venait ou de cet ordre équestre distingué des Druides et du peuple chez les Gaulois; ou des guerriers francs, compagnons de Clovis et conquérants de la Gaule, ou enfin des magistrats romains, lesquels joignaient l'exercice des armes à l'administration de la justice et au gouvernement civil et des finances. Ces derniers durent exercer sur les barbares germains une grande influence, dont le résultat fut la conservation de leur prééminence, de leur situation parmi la noblesse. C'est à cette noblesse, qui a sa source dans l'administration romaine, qu'appartenait la famille d'Hildebert. Au XIe siècle, les fonctions de l'administration romaine étaient sinon complétement détruites, au moins si profondément modifiées, que les termes qui les indiquaient et qui étaient encore conservés ne représentaient plus du tout les mêmes idées. La qualité d'agens in rebus attribuée au père d'Hildebert, dans l'acte de donation, n'a rien de commun avec les agentes in rebus romains, qui

faisaient partie d'un collége d'administrateurs placés sous la main de l'empereur, et qui étaient envoyés, à tour de rôle, dans les provinces, pour porter les ordres impériaux, seconder les magistrats et surveiller le pays. Au XIe siècle, les agentes in rebus avaient nécessairement de toutes autres fonctions; ils ne pouvaient plus être les agents d'une centralisation et d'un despotisme qui n'existaient plus. Peut-être leur principale mission consistait-elle alors à renouer à l'autorité féodale supérieure les droits et les devoirs si fractionnés et si multiples dans ce temps-là1?

Si cet acte de donation nous laisse incertains sur la nature des fonctions administratives qu'exerçait le père d'Hildebert, il nous initie, à huit siècles de distance, aux habitudes et aux dispositions de cette sainte famille. On se la représente unie dans un sentiment de commune piété, vivant au milieu de ce beau et fertile pays de Lavardin, avec la simplicité des mœurs du temps. Elle engage Geoffroy dans la sainte milice pour attirer sur elle les bénédictions du Ciel. Quant à Hildebert, l'aîné de la famille, c'est lui qui, sans le vouloir et sans le désirer, transmettra son souvenir, d'âge en âge, à la postérité

Il ne reste de l'ancienne ville de Lavardin, qui vit naître Hildebert et dans laquelle il passa son enfance, que l'église, curieux monument du commencement du XIe siècle. C'est là qu'il a été baptisé; c'est au pied de ce modeste et paisible sanctuaire que la foi si vive qui l'a soutenu au milieu des rudes combats de sa vie s'est fortifiée; c'est là que ce caractère si ferme et si doux tout à la fois a reçu cette trempe vigoureuse qui en a fait un des plus glorieux champions de la liberté de l'Eglise, une des gloires des temps où vivaient saint Bernard, saint Anselme, Geoffroy de Vendôme, Yves de Chartres, &c. Que d'hommes, que de générations, que d'événements ont passé depuis ce temps devant cette

1 Bergier, Histoire des grands chemins de l'Empire romain, t. II, p. 220.

vieille église! Au commencement du XVe siècle, la suave tranquillité de son sanctuaire fut troublée par l'immense mouvement de la reconstruction du château. Aujourd'hui, elle est toujours debout, et elle voit encore silencieusement émietter sous la main du temps ce château qu'elle a vu construire. Autour d'elle tout a changé, les mœurs et les institutions; en elle tout est de même : c'est le même sacrifice, le même culte, le même sacerdoce, les mêmes chants et les mêmes prières. Il y a dans cette unité, à travers le temps et les orages, comme un reflet visible de l'éternité1!

Lavardin n'était pas un lieu où un enfant annonçant les plus heureuses dispositions pût recevoir une éducation complète. Plusieurs écoles étaient alors célèbres. Chaque ville épiscopale, chaque grand monastère était le centre d'un enseignement qui rivalisait d'éclat et de solidité. Saint Hugues, saint Fulbert de Chartres, Lanfranc, saint Anselme, Bérenger, presque toutes les grandes intelligences de ce temps-là ont professé et réuni autour d'elles une jeunesse studieuse et enthousiaste.

Les auteurs ne s'accordent pas sur le lieu où il fit ses humanités et sa philosophie. Quelques-uns le font disciple de saint Hugues à Cluny, prétendent même qu'il fit profession dans cette abbaye, et le rangent parmi les grands moines qui ont exercé une influence si profonde et si légitime sur le XIe et le XIIe siècle. Certes nous sommes loin de méconnaître l'action bienfaisante des moines sur le temps d'Hildebert: c'était justice qu'après avoir défriché le sol, habitué les barbares à quitter l'épée pour se pencher sur le soc; après avoir combattu par de rudes pénitences les âpres passions du temps, c'était justice que les moines fussent les pricipaux champions de l'esprit, dans cette grande lutte du XIe et du XIIe siècle entre l'esprit et la matière, entre l'Eglise et la force. Saint Anselme était moine, Lanfranc était moine, Geoffroy de Vendôme était moine, Grégoire VII était

D'autres religions se sont perpétuées avec les mêmes rites, mais au sein de sociétés immobiles.

l'austère et inflexible moine Hildebrand. Hildebert, lui aussi, a-t-il été moine? Plusieurs auteurs sont pour l'affirmative1; ils s'appuient surtout sur la Chronique de Cluny, écrite par François de Rive, à la fin du XIVe siècle, d'après l'ordre de l'abbé de Cluny, Jacob d'Ambase; sur la dévotion d'Hildebert pour saint Benoît, dont la règle lui était si familière, que ses prescriptions se retrouvaient souvent dans ses discours. Ils s'appuient enfin sur certaines paroles d'Hildebert dans ses écrits, qui appelle l'ordre de Saint-Benoît notre Ordre, notre Signe, et qui définit le monastère dans lequel il affirme qu'il a laissé toute son âme, un jardin clos par un mur, une règle et un vœu, une fontaine scellée du sceau de saint Benoit. Les raisons semblent légères quand on les oppose aux faits qui indiquent qu'Hildebert n'a jamais été moine. On s'explique, du reste, fort bien qu'un évêque de ce temps-là, profondément pénétré de respect pour ce grand ordre de Saint-Benoît, cette pépinière de saints et de grands hommes, l'ait appelé notre Ordre. On conçoit aussi que l'auteur de la Chronique de Cluny ait trouvé ces raisons suffisantes pour rattacher à son ordre la grande figure d'Hildebert; mais on doit remarquer que personne avant lui n'avait dit qu'Hildebert ait été moine, ce qui fait croire que cet auteur a dit cela d'après son opinion ou son désir plutôt que d'après la tradition; et les autres auteurs qui ont soutenu cette opinion n'ont fait que de le copier. Les écrits d'Hildebert, sa vie, son élection comme évêque, tout semble éloigner l'idée de la vie monastique. Hildebert a écrit la vie de saint Hugues, ce grand abbé de Cluny dont on le fait disciple, et il dit qu'il n'avait jamais vu saint Hugues avant d'être archidiacre du Mans, et qu'il le vit pour la première fois lorsqu'il accompagnait Hoël, son prédécesseur, qui, allant à Rome, passa par Cluny pour voir

1 André Duchesne, savant investigateur, dit dans ses notes de la vie de saint Hugues : « Hildebert fut d'abord moine de Cluny et disciple de saint Hugues. » Les auteurs de la Gaule Chrétienne sont de son avis, &c.

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