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continent, et l'on n'en a jamais trouvé que dans quelques provinces sur les bords de la mer ou qui en sont peu éloignées. »

Je n'ai pas besoin de faire ressortir tout ce qu'il y a de singulier dans cette inconcevable assertion, présentée avec tant d'assurance par un homme qui était alors à la tête de la science archéologique, tandis que dans les provinces les plus voisines de Paris des centaines de monuments pareils à ceux de la Bretagne étaient connus des paysans. Quoi qu'il en soit, cette surprenante ignorance des faits avait conduit Caylus à se prononcer, d'accord avec la Sauvagère, pour exclure la race gauloise de toute participation à ce qui avait été fait sur le sol occupé par elle depuis les temps les plus reculés auxquels l'histoire nous permette de remonter.

Néanmoins, doué d'un esprit judicieux et de ce tact particulier que donne une longue pratique de la science, Caylus ne pouvait aller jusqu'à admettre de confiance la ridicule supposition du camp romain et des appuis de tentes. Il entrevit même une partie de la vérité en reconnaissant que ces pierres étaient des monuments religieux qui donnaient l'idée d'un culte bien établi. Mais arrêté aussitôt par les préjugés dominants, il s'empressa d'ajouter que l'on savait assez quelles étaient les mœurs et la religion des Gaulois pour ne point leur attribuer cette espèce de superstition. Il finit donc par conclure que cet usage était étranger aux deux pays qui nous en avaient conservé la mémoire, la Bretagne et l'Angleterre, et qu'on ne pouvait douter qu'il n'eût été apporté par des hommes venus par mer et qui s'étaient établis sur les côtes sans pénétrer que médiocrement dans les terres. Cependant, ajoute-t-il, la quantité de ces pierres placées sur les côtes de la Bretagne constate la longueur du séjour fait dans cette partie de la Gaule par des peuples dont la façon de penser était uniforme au moins sur cet article ; mais il est plus simple et plus dans l'ordre de vraisemblance de convenir que ce genre de monuments est l'ouvrage d'un même peuple. Ces réflexions augmentent la singularité du silence absolu que la tradition même a

gardé sur un usage si répété. On peut en inférer que du temps des Romains la trace en était perdue. César aurait parlé de ces monuments singuliers; car personne ne voudra soutenir qu'ils aient été élevés depuis la destruction de l'empire romain. » Dans cette dernière phrase, Caylus ne tenait pas assez de compte des bizarreries de l'esprit humain. Il s'est trouvé des érudits pour attribuer les monuments celtiques aux Scandinaves, aux Normands du moyen âge et même aux nations germaniques qui ont envahi la Gaule au Ve siècle. Nous nous bornerons à répondre qu'avant de former des établissements fixes sur le territoire de l'empire tous ces peuples étaient devenus chrétiens. S'il restait parmi eux, comme parmi les populations gallo-romaines elles-mêmes, quelques traces de paganisme, c'était uniquement dans des pratiques secrètes que les lois de tous les rois barbares punissaient sévèrement. On ne peut donc leur attribuer l'érection de monuments que le christianisme proscrivait et dont précisément à cette époque le clergé provoquait de toutes ses forces la destruction. Quant aux Saxons et aux Normands, ils étaient encore païens au temps de leurs invasions; mais, à l'exception de quelques points du littoral, ils ne se fixèrent nulle part jusqu'à leur établissement définitif dans la Neustrie, cédée par Charles le Simple à leur chef Rollon, et la première condition de cet établissement avait été le baptême chrétien. Ne craignons pas de le dire, l'histoire du moyen âge est aujourd'hui trop bien connue, trop riche en documents écrits, pour que l'imagination puisse en disposer à son gré comme de ces continents inexplorés où les anciens géographes placaient des peuples imaginaires et des animaux monstrueux. Depuis que tous les points de notre globe ont été successivement visités et parcourus, les fictions repoussées de proche en proche n'ont plus un pouce de terrain où elles puissent se réfugier. Nous croyons qu'il en est de même pour l'histoire de l'Europe du Ve au Xe siècle; elle a cessé d'être au rang des terres inconnues, et les faits authentiquement constatés pourront seuls désormais y trouver place.

Comme nous venons de le voir, Caylus ne doutait pas de la haute antiquité des monuments en pierres brutes de la Bretagne; il avouait leur destination religieuse, il comprenait que, présentant tous des caractères identiques, ils devaient être l'œuvre d'un seul et même peuple, tandis que leur masse et leur nombre prouvaient le long séjour de ce peuple sur le sol où ils existaient. Et pourtant il ne consentait pas encore à admettre qu'ils eussent été élevés par les seuls habitants de ce sol que l'histoire nous fasse connaître ; il ne voulait pas que les monuments de la Gaule appartinssent aux Gaulois!

Quelles objections se faisait-il donc à lui-même pour repousser une idée si simple, si raisonnable et si logique ? On peut les réduire à trois. La première et la principale était l'absence de monuments semblables à ceux de la Bretagne dans l'intérieur de la Gaule; la seconde reposait sur la prétendue incompatibilité de ces monuments avec ce qu'on savait des mœurs et de la religion des Gaulois; la troisième sur le silence des auteurs et particulièrement de César.

Nous avons déjà vu que la première objection était uniquement fondée sur l'ignorance d'un fait matériel. Tout le monde sait aujourd'hui que les diverses espèces de monuments en pierres brutes qu'on voit en Bretagne se retrouvent en grand nombre dans les provinces intérieures de la France. Partout où l'on a voulu faire des recherches, ces monuments ont semblé se multiplier sous les pas de l'observateur. La Société des Antiquaires de l'Ouest ayant donné des instructions dans ce sens, on découvrit en peu de temps vingt-cinq dolmens dans le seul arrondissement de Loudun. On en a signalé soixantetreize dans la Lozère; M. Jaubert de Passa a indiqué plusieurs groupes remarquables de pierres druidiques dans les Pyrénées, Baraillon dans la Creuse, Laréveillère-Lépaux dans l'Anjou, Pesche dans le Maine.

Me sera-t-il permis d'ajouter que les recherches de M. de La Saussaye et les miennes ont constaté l'existence d'un ensemble de monuments celtiques très

remarquable dans la Sologne et dans le Vendômois, contrées que personne jusqu'alors n'avait imaginé d'explorer sous ce point de vue.

(La fin au prochain Bulletin.)

EPISODE DE VOYAGE.

UNE MÉDAILLE & UNE ÉTYMOLOGIE,

Par M. DEVAUX.

Messieurs,

A défaut d'autre mérite, j'avais à cœur de vous prouver ma bonne volonté; c'est dans ce but que je prends la liberté de vous entretenir quelques instants aujourd'hui d'un épisode de mes courses passées. Il y a dans cet épisode un point de bien mince importance, il est vrai, mais qu'il m'a semblé du moins n'être pas tout à fait hors de propos de mettre sous vos yeux: le nom même de la rue que j'habite à Vendôme en rafraîchit pour moi continuellement le souvenir.

Je me trouvais à Anvers quand il me passa tout à coup par la tête de visiter aussi sa grande rivale, Amsterdam. Pour comble d'à-propos, c'était en plein hiver, au commencement de l'année 1843. Nous traversâmes sans incident la Campine, dont l'aspect à cette époque et dans cette saison justifiait surabondamment le nom de Sibérie belge qu'on lui a donné, puis le Brabant septentrional ou hollandais. Mais le pays qui mérite, à proprement parler, le nom de Hollande ou Pays creux (Hohles Land) ne me parut vraiment commencer que là où la route est coupée par une branche de la Meuse qu'il nous fallut passer en bac. Notre diligence roula ensuite sur une de ces belles chaussées dont la masse protége contre l'invasion des eaux les terrains d'alluvion transformés par les Hollandais en ces gras pâturages que nous connaissons sous le nom de Polders. Au relai suivant on nous fit descendre de voiture pour nous colloquer avec les bagages sur trois grandes barques destinées à nous transporter au delà de la Merwe ou Merwede. C'est un énorme renflement de la Meuse unie au Wahal, bras gauche ou méridional du Rhin, beaucoup plus considérable que le bras

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