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dénument absolu? » (1) Lors d'une peste qui ravagea une partie de l'Empire au IIIe siècle, les païens, délaissant leurs amis et leurs proches, ne songèrent qu'à se mettre à l'abri de la contagion: les Chrétiens prirent soin de tous les malades, fidèles et païens; cependant ces païens étaient leurs persécuteurs (2).

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N° 4. L'HOSPITALITÉ ANCIENNE ET LA PHILANTHROPIE CHRÉTIENNE.

Lactance fait une vive critique de l'hospitalité des anciens : Qui sont les hôtes célébrés par les poëtes? des princes, des héros, des chantres divins. Mais ce ne sont pas les hauts personnages qu'il faut recevoir à votre foyer, ce sont les humbles et les délaissés. Quel est le sentiment qui inspire cette hospitalité? Écoutons la réponse de Cicéron : « Les maisons des hommes illustres doivent toujours être ouvertes à des hôtes illustres. » Appellerez-vous bienfaisance des bienfaits qui vous seront payés? des services que peut-être vous ne rendez que dans l'espoir d'un retour? La bienfaisance, pour être une vertu, doit être pure de tout motif intéressé. Ne vous contentez pas de donner à vos proches, à vos amis, allez à la recherche des misères inconnues : voilà la véritable charité» (3).

(1) Julian. Epist. 49, fragm., p. 305.

(2) La peste fit des ravages terribles à Carthage. Quelle fut dans cette calamité publique la conduite des païens et des Chrétiens? Les premiers jetaient les malades, même leurs proches, hors des maisons, comme s'ils avaient pu chasser la mort avec les malades. Au lieu d'exciter les bons sentiments, le malheur commun semblait éveiller tout ce qu'il y a d'ignobles instincts dans l'homme. Écoutons S. Cyprien : « Les païens avaient aussi peu de compassion pour secourir les malades qu'ils avaient d'avarice pour s'enrichir de leurs biens après leur mort. Était-il question de les assister? ils craignaient tout. Fallait-il s'emparer de ce qu'ils laissaient? ils ne craignaient rien. Ils appréhendaient de les approcher lorsqu'ils mouraient, et couraient enlever leurs dépouilles dès qu'ils étaient morts. On aurait dit qu'ils abandonnaient ces malheureux pendant leur maladie, de peur qu'ils n'en échappassent, si l'on prenait soin d'eux » (Cyprian. ad Demetr. p. 436, D. E.). S. Cyprien assembla son peuple et l'exhorta à la miséricorde : « Ce n'est pas une chose fort considérable, dit-il, que de rendre à ses frères, à ceux qui sont membres de l'Église la charité qu'on leur doit, il faut faire plus, répondre à la grandeur du nom chrétien, imiter le Père Céleste, et parvenir à la perfection que l'Évangile demande, en assistant même les publicains et les païens ». La voix de Cyprien fut écoutée; il y eut une si grande profusion de charités que tout le monde s'en ressentit, et les croyants et les non croyants (Pontius, vita Cypr., c. 9, 10). (5) Lactant. Divin. Instit. VI, 12.

Lactance dédaigne trop l'hospitalité, cette vertu des anciens : elle contient en germe la charité chrétienne et l'humanité moderne. Mais il est certain que l'hospitalité paraît mesquine, quand on la compare à la charité chrétienne (1). La charité antique ne s'adressait qu'aux heureux du siècle; les faibles étaient opprimés : « On expose les enfants sous votre empire», dit S. Justin à l'Empereur;» on élève ensuite ces malheureux pour les prostituer » (2). Sans entrailles pour leurs enfants, comment les anciens auraientils eu de la compassion pour les misères d'autrui? L'histoire des républiques est remplie des guerres civiles provoquées par la dureté des riches et l'oppression des pauvres. On sait à quel point la nature humaine était méconnue dans les esclaves. Les étrangers étaient traités en ennemis, leur sort ne différait guère de celui des vaincus.

Telle était la philanthropie païenne. La charité avait une plus large part dans le sein du Judaïsme. La législation de Moïse est admirable, quand on la compare avec la froide indifférence des Grecs et des Romains. Mais la dureté de cœur est comme un vice inhérent à l'antiquité humain envers le circoncis, l'adorateur de Jéhova repoussait l'infidèle, au point qu'on accusait les Juifs de haïr le genre humain. Il a fallu que l'amour s'incarnât en Jésus Christ, pour ouvrir les âmes à la commisération. Il y eut alors «< comme un débordement de charité sur les misérables » (3). La bienfaisance s'organise; sous l'inspiration de la parole évangélique, des hospices s'élèvent, des ordres hospitaliers se fondent; le nombre des institutions charitables égale celui de nos misères : les enfants exposés, les orphelins, les malades, les pauvres, les vieillards ont leurs refuges. La véritable hospitalité naît avec le Christianisme : elle s'exerce en faveur des êtres faibles que l'antiquité opprimait ou détruisait.

(1) Voltaire lui-même rend cette justice au Christianisme; le bon sens l'emporte chez lui sur la passion : « L'hospitalité après tout n'était qu'un échange. Les hôpitaux sont des monuments de bienfaisance » (Dictionnaire philosophique, au mot Charité). (2) Justin. Apol. I. Comparez la critique que Lactance fait de la barbarie des mœurs anciennes (Divin. Instit. VI, 63; I, 21). (5) Chateaubriand, Génie du Christianisme.

La charité se déployant au milieu d'une société rongée par l'égoïsme, tel fut le plus grand des miracles accomplis par Jésus Christ. Un nouvel héroïsme prit naissance, celui de l'Amour. La religion alla chercher pour les consoler et les soutenir des hommes dont leurs semblables détournaient les regards. Il y avait dans l'antiquité des malheureux qui, renoncés de leurs proches, languissaient aux carrefours des cités, en horreur à tous les hommes les lépreux trouvèrent un appui dans la charité chrétienne (1). Les femmes n'étaient estimées chez les anciens, que comme instruments de production; les philosophes eux-mêmes les considéraient comme des êtres incomplets. Le Christianisme révèle leur mission, l'amour et le dévouement. La sœur hospitalière assiste, console les malades, leur prodigue les soins les plus rebutants (2). La fille de S. Vincent de Paule visite le vieillard infirme, panse ses plaies dégoûtantes, ou, devenue mère saus cesser d'être vierge, elle réchauffe dans son sein l'enfant abandonné (3). Les étrangers, les gentils participent aux bienfaits de la charité chrétienne. Le beau nom de Marie du Secours est resté à la fondatrice d'une congrégation de femmes qui se dévouaient au soulagement des pauvres étrangères. Les religieux bethléémites faisaient vou de servir les pauvres convalescents, << encore qu'ils fussent infidèles » (4).

L'étranger était un ennemi pour les anciens; pour les Chrétiens, c'est un frère. L'hospitalité était un devoir exceptionnel dans l'antiquité, le Christianisme en fait un devoir général. Jésus Christ vécut comme un étranger au milieu des siens, « n'ayant

(1) Les chevaliers de S. Lazare, dont on rapporte l'origine à S. Basile (Voir plus bas, Liv. VII, ch. 5), ont commencé par exercer la charité envers les pauvres lépreux dans les hôpitaux qui leur étaient destinés. Ils recevaient des lépreux dans leur ordre : leur Grand-Maitre devait être un chevalier lépreux de l'hôpital de Jérusalem. (Helyot, Histoire des ordres religieux, T. I, p. 262. 263).

(2) « Peut-être n'est-il rien de plus grand sur la terre que le sacrifice que fait un sexe délicat, de la beauté, de la jeunesse, souvent de la haute naissance, pour soulager dans les hôpitaux ce ramas de toutes les misères humaines, dont la vue est si humiliante pour l'orgueil, et si révoltante pour notre délicatesse ». (Voltaire).

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pas où reposer sa tête, pour montrer aux hommes, qu'ils sont tous étrangers dans ce monde, et que leurs demeures, abris passagers, doivent être ouvertes à leurs frères (1). L'obligation de recevoir les hôtes, imposée à tout chrétien par le lien de la fraternité, devient plus stricte pour les chefs des sociétés chrétiennes : une des qualités exigées des évêques par S. Paul, c'est qu'ils soient hospitaliers (2). « Qu'ils n'attendent pas, dit S. Grégoire, « que les étrangers fassent appel à leur générosité, qu'ils les cherchent, les invitent, les attirent par force » (3).

Les monastères innombrables qui couvrirent le monde chrétien, étaient autant d'établissements ouverts à l'hospitalité (4). Des hospices pour les voyageurs s'élevèrent de tous côtés (5) la charité veille partout où des dangers les menacent. Le moine maronite préserve la vie de l'étranger dans les précipices du Liban, le solitaire abyssinien le défend contre les tigres; le religieux du saint Bernard, établissant sa demeure au milieu des neiges, abrège sa vie pour sauver celle du voyageur égaré dans les montagnes (6).

L'esclavage avait détruit tout sentiment d'humanité chez les anciens; ils ne rougissaient pas d'avoir leurs propres concitoyens pour esclaves. Cicéron appela vainement la bienfaisance à racheter les prisonniers de guerre; sa voix ne fut entendue que par la charité chrétienne. Les évêques vendent jusqu'aux vases sacrés

(1) Augustin. Serm. 235, § 3: « Tene hospitem, si vis agnoscere Salvatorem.... An nescitis, quia si quem Christianum susceperitis, ipsum suscipitis.... Cum Christianus Christianum suscipit, serviunt membra membris, et gaudet caput, et sibi imputat quod membro ejus fuerit erogatum » (Serm. 256, § 3). - Cf. Serm. 239, S 2; 112, § 2.

S. Ephrem dit que recevoir un hôte, c'est recevoir Dieu (Ephraemi Testam. Op,

T. II, p. 244, B).

(2) S. Paul, Epit. à Tite, I, 8; à Timothée, III, 2.

(3) Gregor. Magn. Homil. 23 in Evang.

(4) Règle de S. Benoit, c. 53: « Omnes supervenientes, tanquam Christus, suscipiantur; quia ipse dicturus est: Hospes fui et suscepisti me ».

(5) Xenodochia, ¿ev@veç. Ces établissements sont aussi anciens que le Christianisme. Augustin. Tractat. 97 in Joann., § 4 : « Xenodochia postea sunt appellata novis nominibus, res tamen ipsae et ante nomina sua erant et religionis veritate firmantur ».

(6) Voyez sur les établissements de bienfaisance dus au Christianisme, les belles pages de Chateaubriand, Génie du Christianisme.

pour rendre la liberté aux captifs (1). Conquérants pacifiques, les Pères de la Merci reviennent entourés, comme des triomphateurs, non des vaincus qu'ils ont enchaînés, mais des captifs qu'ils ont délivrés, en s'exposant à mille dangers. Les Pères Rédemptoristes se privent des nécessités de la vie pour avoir d'autant plus de trésors à prodiguer aux Barbares.

Les anciens n'avaient pas conscience de l'unité humaine, ils ne voyaient pas des frères dans leurs semblables. Voilà pourquoi l'antiquité est restée en proie à la force brutale; c'est l'âge de l'oppression des faibles par les forts. Aujourd'hui l'unité humaine est reconnue; l'inégalité, produit de la violence, tend à faire place à l'égalité; le germe de cet immense progrès se trouve dans le Christianisme.

S 3. L'Égalité.

N° 1. L'INÉGALITÉ DU MONDE ANCIEN ET L'ÉGALITÉ CHRÉTIENNE.

L'inégalité régnait partout dans le monde ancien. Les peuples se considéraient chacun comme une race élue. En Orient où dominait l'esprit théocratique, on faisait remonter la division, l'inégalité au Créateur; la caste privilégiée avait seule part aux droits de l'homme; les autres castes, les étrangers, étaient des êtres plus ou moins impurs. Dans le monde occidental, l'opposition prit un caractère plus politique : les Grecs méprisaient les Barbares, ils se croyaient nés pour leur imposer des lois en vertu de leur supériorité intellectuelle; les Romains, hors de Rome ne voyaient que des ennemis. L'inégalité ne s'arrêtait pas aux relations internationales. Dans la cité, elle se produisait sous la forme la plus révoltante, l'esclavage. Les hommes libres n'étaient pas égaux, le patricien se croyait d'une nature différente de celle du plébéien; le riche exploitait le pauvre, la misère recrutait les

(1) S. Exupère, évêque de Tolose, se réduisit à une telle pauvreté pour racheter les captifs, qu'il portait, dit S. Jérôme, le corps de Notre Seigneur dans un panier, et le sang dans un calice de verre (Hieronym. Epist. 95 ad Rustic. T. IV, P. 2, p. 778). Acace, évêque d'Amide, fit vendre les vases d'or et d'argent de son Église pour nourrir sept mille prisonniers perses (Socrat. Hist. Eccl. VII, 21).

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