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LIVRE VI.

INFLUENCE DU CHRISTIANISME SUR LE MONDE ROMAIN.

CHAPITRE I.

LES MOEURS.

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$1. La morale chrétienne et le matérialisme païen.

Après avoir prêché l'Évangile, Jésus Christ laisse sa croix sur la terre c'est le monument de la civilisation moderne. Du pied de cette croix, plantée à Jérusalem, partent douze législateurs pauvres, nus, un bâton à la main, pour enseigner les nations et renouveler la face des royaumes » (1). Le grand écrivain auquel nous empruntons ces paroles, fait ailleurs une comparaison des sociétés chrétiennes avec les plus célèbres républiques de l'antiquité; il conclut en disant que « le dernier des Chrétiens, honnête homme, est plus moral que le premier des philosophes de l'antiquité » (2).

Le progrès est incontestable, et nous croyons avec Chateaubriand qu'il est dû à l'influence du Christianisme. Mais la religion seule n'aurait pas eu la puissance d'opérer cette bienfaisante révolution. Lorsque la corruption, la décrépitude ont pénétré dans toutes les classes d'une société, elle ne peut plus être régénérée

(1) Chateaubriand, Études historiques.

(2) Génie du Christianisme.

par des croyances; elle doit périr pour faire place à des races. nouvelles. La religion, quelque pure, quelque divine qu'elle soit, ne peut rendre la vie à un corps mourant. Il y a plus : c'est qu'au milieu de la corruption générale, la religion risque de se corrompre elle-même et d'être entraînée dans la ruine universelle. Telle fut la destinée du Christianisme dans le monde romain. La société était en proie à un matérialisme abject : la morale chrétienne dépassait les limites du spiritualisme le plus exalté. L'opposition était trop violente pour que la transition pût se faire par la seule force de la foi.

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Les Pères de l'Église se plaisent à relever la supériorité de la morale chrétienne sur le paganisme. Écoutons S. Grégoire de Naziance (1): « Comment les païens se corrigeraient-ils de leurs vices, lorsque leurs dieux mêmes leur donnent l'exemple de toutes les mauvaises passions? Chez eux, être vicieux, loin d'être une chose honteuse, est une chose honorable; il n'y a pas de vice auquel ils n'aient élevé un autel, auquel ils ne fassent des sacrifices au nom d'une divinité. Les lois punissent les crimes les païens les adorent personnifiés dans leurs dieux. Tous les législateurs s'accordent à ordonner aux enfants de respecter et d'honorer leurs parents est-ce Saturne qui inspirera la piété filiale, lui qui, dit-on, fit outrage au Ciel pour l'empêcher d'engendrer? Jupiter suivit l'exemple de son père. Les philosophes enseignent le mépris des richesses, ils condamnent la soif de l'or, ils flétrissent les gains illicites: l'avidité, le vol même ont leurs patrons sur l'Olympe. La pudeur, la continence ne sont pas mieux garanties; qui ne connaît les innombrables adultères du maître des dieux? Mars réprimera-t-il la colère et l'emportement? Bacchus, l'intempérance? » S. Grégoire met en regard de l'immoralité divinisée, la haute moralité de la religion chrétienne : « Non seulement elle condamne les mauvaises actions, mais elle punit les mauvais désirs. La chasteté nous est si recommandée que nous n'avons pas la liberté de regarder les objets qui pourraient la blesser. Loin de nous permettre la violence, on nous défend la colère. Les

(1) Gregor. Naz. Orat. III, p. 107, sq.

parjures sont chez nous des crimes abominables. Nous devons renoncer aux richesses, nous condamner à une pauvreté volontaire. L'idéal de notre vie, c'est de vivre comme si nous n'avions pas de corps. Si on nous persécute, nous sommes obligés de céder; si on nous enlève nos habits, nous devons nous dépouiller volontairement; nous prions pour nos persécuteurs. Enfin on exige de nous que nous possédions la plupart des vertus, et que nous nous appliquions à conquérir celles qui nous manquent, jusqu'à ce que nous arrivions à la fin pour laquelle nous avons été créés » Celte fin est la perfection; la vie chrétienne est une marche incessante vers ce but « Ne pas faire de progrès dans la vertu, rester le même au lieu de travailler à sa transformation, est aux yeux du Christianisme un péché » (1).

L'opposition entre les exigences de la morale chrétienne et le matérialisme païen était absolue : il eût fallu que la société ancienne se transformât complétement, pour réaliser l'idéal du Christianisme. Cette renaissance était-elle possible? A en croire les témoignages sur la vie des premiers Chrétiens, la révolution se serait accomplie. La moralité païenne, telle que Sénèque la dépeint, et la moralité chrétienne, telle qu'elle nous apparaît dans les Apologistes, diffèrent autant que les dieux de l'Olympe et le Dieu des Chrétiens.

Écoutons le philosophe (2): « C'est une société de bêtes féroces, excepté que celles-ci sont pacifiques entre elles et s'abstiennent de déchirer leurs semblables: l'homme s'abreuve du sang de l'homme... Tout est plein de crimes et de vices... Une lutte immense de perversité est engagée; tous les jours grandit l'appétit du mal, tous les jours en diminue la honte... Déjà les crimes ne se cachent plus à l'ombre, ils marchent à découvert; la dépravation domine tellement que l'innocence n'en est plus à être rare, mais nulle. Il ne s'agit plus de quelques violations de la loi, individuelles ou peu nombreuses. De toutes parts, comme à un

(1) Gregor. Νaz. Orat. III, p. 109, D : τὸ μὴ προσβαίνειν τῷ καλῷ, μηδὲ νέους ἀντὶ παλαιῶν ἀεὶ γίνεσθαι, ἀλλ' ἐν ταὐτῷ μένειν, κακία δοκεῖ.

(2) Seneca, De ira, II, 8.

signal donné, tous les hommes se précipitent pour confondre le bien et le mal » .

Plaçons en regard de cet affreux tableau quelques traits de la vie des premiers fidèles; c'est l'Évangile en action : « Nous aimons notre prochain comme nous-mêmes, dit Athénagore. Nous avons appris à ne point frapper ceux qui nous frappent, à ne point faire de procès à ceux qui nous dépouillent. Si l'on nous donne un soufflet, nous tendons l'autre joue; si l'on nous demande notre tunique, nous offrons encore notre manteau. Selon la différence des années, nous regardons les uns comme nos enfants, les autres comme nos frères et nos sœurs, nous honorons les personnes plus âgées comme nos pères et nos mères... L'espérance d'une autre vie nous fait mépriser la vie présente. Chacun de nous, lorsqu'il prend une femme, ne se propose que d'avoir des enfants... Nous tenons pour homicides les femmes qui se font avorter, et nous pensons que c'est tuer un enfant que de l'exposer. Nous avons renoncé à vos spectacles sanglants, croyant qu'il n'y a guère de différence entre regarder le meurtre et le commettre » (1).

S. Justin oppose la vie des fidèles depuis leur conversion à leur vie antérieure; la transformation est complète : « Autrefois nous aimions la débauche, à présent nous n'aimons que la pureté... Nous n'avions qu'une ambition, un but, c'était d'acquérir des richesses; maintenant nous mettons en commun les biens que nous possédons pour en faire part aux pauvres. Nous nous haïssions jusqu'à la mort; divisés par les croyances, nous refusions la communauté du foyer à ceux qui n'étaient pas nos compatriotes. Depuis la venue de Jésus Christ, nous vivons ensemble familièrement et nous prions pour nos ennemis. Nous nous efforçons de convertir nos persécuteurs, afin que, vivant selon les préceptes de Jésus Christ, ils espèrent de Dieu le même bien que nous espérons... Nous pouvons montrer plusieurs des vôtres qui, ayant été avec nous, de violents et emportés, se sont changés et laissé vaincre, ou par la vie réglée de leurs frères, ou par la patience extraordinaire de leurs compagnons de voyage... Que dirai-je du

(1) Athenagor. Legat. pro Christ. passim.

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