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Des amis de la science m'ont reproché d'avance les excursions que je faisais sur le domaine de la théologie. Ma justification est dans les faits. Depuis l'avènement du Christianisme, la religion est devenue un élément essentiel de l'histoire de l'humanité. Comment parler du moyen âge, de la Papauté, de l'Église, comment parler de la Réforme et de la Philosophie, sans aborder la question religieuse? Mon but est de suivre la marche progressive du genre humain vers l'unité; la religion doit donc occuper la première place dans mes Études.

On me fera un reproche plus grave, on m'imputera à crime de dire tout haut ce que des milliers d'hommes pensent comme moi. A mon avis, il n'y a pas plus de crime à cela que de mérite : je remplis un devoir. Il importe à toutes les opinions que la franchise prenne la place d'un silence qui ressemble à de l'hypocrisie. L'Église elle-même doit repousser des adhésions qui ne sont que calcul ou faiblesse. Que toutes les convictions sincères se produisent, la victoire restera à la vérité. Mais pour cela il faut la liberté la plus complète dans la discussion. Pour moi, je dis ma pensée tout entière; transiger avec ce que je regarde comme la vérité, par ménagement des opinions dominantes, serait plus qu'une lâcheté, ce serait un crime. Je ne puis croire du reste, comme quelques-uns de mes amis le craignent, qu'il y ait danger en Belgique à dire librement ce que l'on pense. La liberté n'estelle pas l'essence de nos institutions? Et dans un pays libre, la liberté de la pensée ne serait qu'un vain mot!

Gand, ce 15 juin 1855.

F. LAURENT.

LE CHRISTIANISME.

INTRODUCTION.

LE CHRISTIANISME ET LES BARBARES.

S 1. Appréciation du Moyen Age.

En sortant de l'antiquité, l'humanité entre dans une nouvelle phase de son existence. Quel est le rapport entre le monde ancien et le moyen âge? A entendre les philosophes et les historiens imbus de l'esprit du XVIIIe siècle, le moyen âge est une époque de barbarie et de ténèbres. Dans l'ordre politique règne le droit du plus fort (1); quelques rares privilégiés abusent de la force pour opprimer les peuples, et se déchirent entre eux par des guerres continuelles. Dans l'ordre intellectuel et moral, il y'a nuit complète; ni arts, ni sciences, ni industrie, ni sociabilité. La religion est un tissu de superstitions aussi grossières que les Barbares qu'elle domine (2).

On a dit que la philosophie du XVIIIe siècle montre dans l'appréciation du moyen âge une étroitesse d'esprit égale à l'ignorance qu'elle impute à ces temps de ténèbres (3). Le reproche est trop sévère. L'esprit qui animait les philosophes ne leur permettait

(1) Voltaire, Essai sur les Mœurs, ch. 17 : « Figurez-vous des déserts où les loups, les tigres et les renards égorgent un bétail épars et timide, c'est le portrait de l'Europe pendant tant de siècles. >>

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(2) Condorcet, Tableau des Progrès de l'Esprit humain, p. 136 : « Le triomphe du Christianisme fut le signal de l'entière décadence et des sciences et de la philosophie Ibid., p. 144 : « L'Europe, comprimée entre la tyrannie sacerdotale et le despotisme militaire, attend dans le sang et dans les larmes le moment où de nouvelles lumières lui permettront de renaître à la liberté, à l'humanité et aux vertus ».

(3) Macaulay, History of England, ch. 1 : « As narrowminded as any monk of the dark ages ».

pas l'impartialité. Leur mission était de détruire les derniers débris de la tyrannie féodale et de l'oppression religieuse : ceux qui sont appelés à démolir ne peuvent pas apprécier ce qu'il y a de grand, de légitime dans le passé; autrement comment mettraientils la main à l'œuvre ? Mais lorsque la destruction fut accomplie, lorsque l'Europe fut couverte de ruines, il se fit une inévitable réaction contre les jugements historiques du XVIIIe siècle. La poésie chercha dans l'existence aventureuse, héroïque de nos ancêtres l'inspiration que la vie sèche et régulière du présent semblait lui refuser; les artistes se prirent d'enthousiasme pour les mœurs, les croyances, les préjugés mêmes du moyen âge. Il n'y a pas jusqu'à la féodalité, qui avait si lourdement pesé sur les peuples, que l'école romantique ne dépeignit sous des couleurs idéales elle y vit les plus nobles sentiments de la nature humaine se déployant au milieu d'une société où régnaient la foi, la hiérarchie et l'unité.

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Les poëtes prêtaient la main sans s'en douter à une réaction politique et religieuse. La tourmente révolutionnaire menaçait d'emporter la société; l'inquiétude de l'avenir rejeta les esprits vers le passé; les uns de bonne foi, les autres par intérêt (1), représentèrent les institutions du moyen àge comme le port dans lequel il fallait se hâter d'abriter le genre humain.

La réaction a été aussi aveugle que l'attaque. Non, le passé n'est pas le mal absolu, mais le passé n'est pas non plus l'idéal. L'idéal n'est jamais derrière nous, il est devant nous. Vouloir ressusciter les institutions, les croyances du moyen âge, est une tentative coupable; si elle pouvait réussir, elle arrèterait la marche du genre humain vers l'accomplissement de ses destinées (2).

(1) Daunou, Essai sur les garanties individuelles : « Le moyen âge est l'âge de fer du genre humain, c'est l'âge d'or des oppresseurs; aussi voyons-nous les regards des oppresseurs se reporter sans cesse vers une époque aussi redoutable ».

(2) Ces folles tentatives ont inspiré à Hegel des paroles sévères, presque aussi sévères que celles des philosophes du XVIIIe siècle : « Es ist eine Abgeschmacktheit unserer Zeit die Vortrefflichkeit des Mittelalters zum Schlagwort machen zu wollen ». Hegel ajoute que la société du moyen âge offre le spectacle le plus révoltant, le plus repoussant; la Philosophic seule pent le comprendre et le justifier (Philosophie der Geschichte, p. 464).

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