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CRAYER (GASPAR DE), peintre d'Anvers, fut d'abord élève de Raphael Coxcie de Bruxelles qu'il surpassa bientôt. Son application au travail et surtout son heureuse organisation étendirent bientôt sa réputation jusqu'à la cour de Bruxelles. Le portrait du cardinal Ferdinand, envoyé au roi d'Espagne, valut à Crayer des récompenses et des honneurs. Ce qui dut peut être le flatter encore plus, ce fut le suffrage de Rubens. Ce peintre immortel, supérieur à toutes les passions jalouses qui ne troublent que trop souvent la vie des artistes, ayant vu le tableau du réfectoire de l'abbaye d'Affleghem, où Crayer avait peint dans une immense composition le centenier se prosternant aux pieds de J.-C., lui dit: a Crayer, Crayer! personne ne » vous surpassera. » Paroles que toutefois il ne faut pas prendre à la lettre, et auxquelles les ouvrages de Rubens lui-même donnaient un démenti formel. L'amour que Crayer portait à son art lui fit refuser les offres les plus honorables et même une charge que la cour de Bruxelles lui avait donnée pour le fixer dans cette ville. Il se retira à Gand, où il jouit paisiblement de ce qui lui était le plus cher, le repos et l'exercice de son art. Infatigable et très laborieux, Crayer décora la plupart des villes de Flandre de ses tableaux ; la ville de Gand scule en posséda en peu de temps jusqu'à vingt-un. Malgré son assiduité au travail, sa manière de vivre, sage et réglée, lui permit d'atteindre à une grande vieillesse. Descamps prétend que l'âge même, contre la coutume, ne parut pas porter atteinte à ses talents. Un tableau du Martyre de S. Blaise, qu'il peignait à quatre-vingt-six ans, se soutenait contre les productions de son meilleur temps, mais Crayer ne put J'achever. Il mourut le 27 janvier

1669. D'Argenville, au contraire prétend, et l'on cite ici ses propres paroles, « que son talent se soutint » jusqu'à l'âge de soixante ans, mais » que depuis cette époque, on ne trou» ve plus dans ses ouvrages que les » tristes restes d'un talent flétri par » le ravage des années. » Lorsque des biographes sont ensemble dans une contradiction aussi formelle, le parti à prendre est celui que la raison indique. Croyons donc avec d'Argenville que le talent de Crayer fut soumis, comme tout autre, à la plus impérieuse de toutes les lois, qui veut que tout décroisse et finisse. Le musée Napoléon, enrichi dans l'origine de plusieurs tableaux de Crayer, n'en possède aujourd'hui que trois : S. Paul premier ermite, et S. Antoine abbé, dans le désert; Jésus recevant des roses de Ste. Dorothée; et Ste. Catherine parvenant au séjour des bienheureux ; ces deux derniers sont de vastes compositions. En général le dessin de Crayer est assez correct, mais tenant au goût de son pays, ses têtes sont expressives, et sa couleur est bonne, quoiqu'elle n'ait ni l'éclat ni la vigueur de celle de Rubens. D—T.

CRÉBILLON (PROSPER JOLYOT DE), né à Dijon le 15 février 1674, d'une famille noble et ancienne, le roi Philippe-le-Bon, ayant anobli deux frères Jolyot, pour leurs services militaires. S'il est vrai, comine l'ont dit plusieurs biographes, qu'il ait travaillé au college Mazarin, il ne paraît pas douteux qu'il ait commence ses études chez les jésuites de Dijon. D'Olivet rapporte qu'il était d'usage, dans cette société, de mettre sur une liste, à côté du nom de chacun des élèves, une épithète qui le caractérisait. Crébillon, étant membre de l'académie française, désira connaître celle qui lui avait été donnée. Les registres fu

:

rent consultés, et on trouva ces mots sous le nom de Prosper Joly ot de Crébillon Puer ingeniosus, sed insignis nebulo. « Enfant spirituel, mais franc polisson. Cette apostille, lue tout haut dans une séance particulière de l'academie, fit beaucoup rire Crebillon, qui se plut à raconter partout cette découverte. Lorsqu'il eut fait son droit et eut été reçu avocat au parlement, son père, Melchior Jolyot, greffier en chef de la chambre des comptes de Dijon, désirant qu'il se mît en état d'exercer sa charge, l'envoya à Paris chez un procureur. Celui-là était un homme d'esprit qui se nommait Prieur : il était fils de ce Prieur à qui Scarron avait adressé des vers. Le procureur et le clerc étaient tous deux de grands amateurs du théâtre, pour lequel l'étude était souvent négligée. Prieur reconnut bientôt que Grébillon ne serait jamais propre au barreau, et, à l'intelligence et à la chaleur que ce jeune homme mettait dans ses réflexions sur les ouvrages dramatiques, il pressentit que la nature l'avait appelé à en composer lui-même. Quoi que Crebillon n'eût encore fait que des chansons et des petits vers de société, Prieur l'excita à entrer dans la carrière théâtrale. Le jeune clerc résista long-temps, puis il céda à sa vocation, et composa une pièce sur la mort des enfants de Brutus. Il la présenta aux comédiens qui la refusèrent: sensible à ce contre-temps, il jeta son manuscrit au feu, et résolut de ne plus faire de nouvelles tentatives. Pri ur parvint à le faire changer de pensée, et c'est une circonstance dont la singularité n'est pas indigne d'être remarquée, que le zèle ardent avec lequel un procureur enflamma, pour la culture de la poésie dramatique, M11 eune homme confié à ses soins

pour étudier la chicane. C'est par la tragédie d'Idoménée, en 1705, que Crébillon marqua ses premiers pas dans la carrière dramatique. L'indulgence que l'on a toujours pour un premier essai lui fit pardonner un plan trop compliqué, de nombreuses incorrections, et un style souvent ampoulé et déclamatoire. Ces défauts étaient d'ailleurs rachetes par des morceaux énergiques et de belles situations. Le dernier acte avait déplu; au bout de cinq jours, la pièce reparut avec un cinquième acte tout nouveau. Cette facilité, jointe aux qualités supérieures dont on aperçoit le germe dans la tragédie d'Idoménée, fit naître un vif intérêt pour le jeune poète. On entrevit avec quel talent il pourrait un jour faire jouer ce grand ressort de la terreur, qui semblait avoir disparu de la scène depuis Rodogune. On attendait avec impatience un second ouvrage de Crebillon. Atrée parut. Cette tragédie eut dix-huit représentations dans le cours de l'année 1707. Le génie de Crébillon se montra tout entier dans cet ouvrage, où il a tracé avec tant d'énergie et de profondeur le caractère du principal personnage. On le vit tout à coup se placer près de Corneille et de Racine, sans les imiter en rien, et en s'attachant plus que le dernier, et peut-être autant que l'auteur du grand rôle de Cléopâtre, à ce qui constitue la véritable tragedie. Le pathétique qui règne dans cette pièce, l'heureux essai qu'il y fit d'une de ces reconnaissances, qu'à la vérité il a trop multipliées depuis, mais qui, employées avec sagesse, donnent à l'action tant de mouvement et d'interet, le beau rôle de Pisthène mis si habilement en contraste avec celui d'Atrée, la coupe savante des scènes, la vigueur du style, tout justifia son succès et mérita à l'auteur le surnom

d'Eschyle français, que l'on se plut à lui donner. Prieur était malade, lorsqu'on donna la première représentation d'Atrée. Il s'y fit porter dans unc loge, et Crébillon, à la fin de la pièce, l'étant venu voir: « Je meurs content, hui dit-il, en l'embrassant, » je vous ai fait poète, et je laisse un homme à la nation. » Si ce trait et la conduite constante de Prieur ne suffisent pas pour l'associer à la gloire de Grebillon, du moins la postérité ne la lui rendra pas étrangère, et le nou de cet amateur, si pénétrant et si judicieux, n'est pas indigne d'être conservé à côté de celui de l'illustre auteur d'Atrée. On prétend qu'après la représentation de cette tragédie, on demanda à Crébillon pourquoi il avait adopté le genre terrible. « Je n'ai pas eu à choisir, dit-il; Corneille » avait pris le ciel, Racine la terre; il ne restait plus que les enfers, et » je m'y suis jeté à corps perdu. » Si cette anecdote n'est pas apocryphe, on ne peut dissimuler que la réponse de Crébillon n'est ni juste, ni ingénieuse. Il serait difficile d'expliquer comment Corneille a pris le ciel et Racine la terre: si Crébillon s'est fait remarquer par des conceptions plus terribles que ses devanciers, ce n'est pas une raison pour dire qu'il a pris les enfers. Un Anglais qui avait assisté à la première représentation de cette tragédie, dit à l'auteur, que tout anglais qu'il était, la coupe pleine de sang l'avait fait fremir, ajoutant ces paroles de l'Écriture: Transeat à me calix iste. Electre, jouée en 1709, surpasssa Atrée, par son mérite comme par son succès. Elle offrit des beautés du premier ordre, mais aussi des défauts déjà reprochés à l'auteur, de la complication, de la prolixité et de la déclamation; mais les rôles d'Electre, d'Oreste et de Palamède sont

tracés d'une manière large et pleine d'énergie. Voltaire a fait une critique très sévère de cet ouvrage, avant traité le même sujet sous le nom d'Oreste. Il condamne surtout les amours d'Électre et d'Itis, d'Iphianasse et de Tydee. Crébillon se justifie dans sa préface, par des raisons qui ne sont point dépourvues de solidité, et cependant il ne s'attache pas à la prin cipale; c'est qu'à l'époque où la tragédie d'Electre a été représentée, les auteurs étaient obligés de payer ce tribut au goût de leurs contemporains. On ne concevait pas alors de tragédie sans amour, et Voltaire devait l'ignorer moins que tout autre, lui qui, dix ans plus tard, n'a pu faire passer sa tragédie d' OEdipe qu'à l'aide du ridicule amour de Philoctète pour Jocaste. Quoi qu'il en soit, il est encore douteux que l'Oreste de Voltaire, bien que plus rapproché de la manière antique et plus purement écrit que l'Electre, lui soit supérieur pour l'effet dramatique. Rhadamiste, jouée en 1711, mit le comble aux succès et à la gloire de Crébillon. Les meilleurs rheteurs, et notamment La Harpe, le regardent non seulement comme le chef-d'œuvre de l'auteur, mais comme l'un des plus beaux ouvrages de la scène française. On lui reproche avec raison une exposition lente, obscure, et qui se fait doublement, mais la force de la conception, la grandeur des caractères, l'énergie et la chaleur du style compensent amplement ce défaut. Dans tous les articles biographiques publiés jusqu'à ce jour, on a rapporté fort inexactement l'anecdote où l'on parle du jugement de Boileau sur Rhadamiste. Voici dans quels termes elle est racontée dans le Boleana de Montchesnay: « Leverrier s'avisa de lui aller lire une nouvelle tragédie (c'était Rhadamis

» te), lorsqu'il était dans son lit, » n'attendant plus que l'heure de la >> mort. Ce grand homme eut la pa>> tience d'en écouter jusqu'à deux » scènes, après quoi il lui dit: Quoi! » monsieur, cherchez-vous à me hâ» ter l'heure fatale? Voilà un auteur » devant qui les Boyer et les Pra» don sont de vrais soleils. Helas! >> j'ai moins de regret de quitter la » vie, puisque notre siècle enchérit » chaque jour sur les sottises. » On ne peut rien arguer contre Crébillon de ce jugement de Boileau mourant. D'abord, il n'avait entendu que les deux premières scènes, et la moindre incorrection suffisait pour faire éprouver une impression douloureuse à un écrivain aussi pur, aussi châtié que Despréaux; mais on peut ajouter qu'il y a plusieurs pièces du grand Corneille dont les premières scènes auraient produit le même effet sur l'auteur de l'Art poétique. En huit jours, il parut deux éditions de Rhadamiste, et le jugement de la cour lui fut aussi favorable que celui de la ville. L'auteur se reposa trois ans sur ses lauriers. Xercès parut en 1714, et ne soutint pas la gloire de Rhadamiste. C'était bien encore le genre terrible, poussé même au plus haut dégré, mais les caractères et le style sont loin d'être au niveau de la conception. Xercès disparut bientôt de la scène, et le public attendit encore trois ans un nouvel ouvrage de Crébillon. En il donna Sémiramis. Cette tragédie fut l'objet de beaucoup de critiques, malheureusement très justes. L'auteur la retira à la 7. représentation. On ne peut dissimuler que Sémiramis est un des plus mauvais ou vrages de Crébilion, mais nous devons faire ici justice de la remarque bien étrange d'un Dictionnaire historique: « La tragédie du même nom,

» par Voltaire, y est-il dit, beau» coup moins mauvaise, a fait ou»blier celle de Crébillon. » Ainsi voilà, d'un trait de plume, la Sémiramis de Voltaire mise au rang des mauvaises tragédies! Pyrrhus dédommagea le public du silence que l'auteur avoit gardé pendant neuf ans. Cette tragédie fut jouée en 1726. Ce n'était plus cependant le même genre de beautés qui jusque-là avait caractérisé le talent de Crébillon. Le ressort de la terreur s'était relâché dans ses mains, ou plutôt, il avait voulu prouver qu'il pouvait sortir avec avantage du cercle des sujets où ce ressort domine. Si cette tragédie n'est point terrible dans ses effets, elle a souvent dans le style cette dignité, cette élévation et cette énergie que nous admirons dans Corneille, et la correction s'y montre aussi soutenue que dans Rhadamiste. Crebillon fut satisfait, mais étonné du succès de cet ouvrage, qu'il appelait une ombre de tragédie. Après cette pièce, vingtdeux années se passèrent, sans qu'il reparût dans la carrière dramatique. Ce silence valait la peine d'être expliqué par les biographes. Ceux que nous avons déjà cités n'ont rempli cet intervalle de Pyrrhus à Catilina, que par cette phrase, aussi dépourvue de justesse dans la pensée que dans l'expression: « Ce poète travailla pour le » théâtre jusqu'à la fin de ses jours. » Il nous semble qu'il eût été nécessaire d'expliquer pourquoi Crebillon resta vingt-deux ans sans rien produire. Les raisons de ce retard paraissent avoir été des chagrins, des embarras domestiques, et, il faut le dire, la pauvreté dans laquelle ce grand tragique passa la plus grande partie de sa vie. Crébillon était fier, et incapable de se plier à ces complaisances qu'on appelle devoirs de société, à

ces soins obséquieux que les grands
et les riches exigent en paiement de
leurs onéreux bienfaits. A la mort de
son père, son patrimoine fut absorbé
par le paiement des dettes et des frais
de justice. Il avait épousé Charlotte
Péaget, fille aimable et vertueuse d'un
apothicaire de Paris. La mort de sa
femme, qui suivit de près celle de
son père, l'isola de plus en plus, et
augmenta le sentiment de son état voi-
sin de l'indigence. Des hommes opu-
lents voulurent, dit-on, réparer les torts
de la fortune; mais ils mettaient à leurs
services un prix que Crébillon aurait
dédaigné de leur payer. Il ne savait
ni flatter, ni ramper. Il aimait mieux
rester libre et pauvre. Cette fierté,
qui lui était naturelle, avait redoublé
de force et d'énergie depuis l'éclatant
succès de Rhadamiste. Honoré, à
cette époque, des suffrages univer-
sels, placé par l'opinion publique à
côté de Corneille et de Racine, Cré-
billon se flatta d'obtenir les récom-
penses dues au génic. L'auteur de
Rhadamiste ne recueillit à la cour,
que froideurs et dégoûts. Déçu dans
de si justes espérances, ne fut-il pas
excusable de repousser toutes les pro-
tections et toutes les promesses dont
on cherchait à le bercer? Ce ne fut
qu'après de longues années, écoulées
dans un état voisin de la misère, que
la bienveillance de Mme. de Pompa-
dour, plus excitée peut-être par le
désir d'humilier Voltaire que par le
mérite de Crébillon, le sauva du dé-
couragement. Nommé à l'académie
française en 1731, il n'avait depuis
long-temps pour vivre que les petits
émoluments de cette place et de celle
de censeur de la police; Mme. de
Pompadour lui fit accorder par le roi
une pension de 1000 fr., et une place
à la Bibliothèque. C'est dans cette si-
tuation plus favorabie qu'il termina

il

la tragédie de Catilina; il y travail-
lait déjà, il est vrai, pendant les re-
présentations de Pyrrhus. Le pre-
mier acte en fut fait en six semaines;
mais il suspendit bientôt son travail,
et l'on doit regretter vivement que
l'oubli du gouvernement envers Cré-
billon ait arrêté trop tôt l'essor de
son génie. Que ne devait-on pas at-
tendre de l'auteur d'Atrée, d'Electre
et de Rhadamiste, si son talent eût
été encouragé par des bienfaits et des
titres d'honneur dignes de lui? Il n'a-
vait que cinquante ans, lorsqu'il s'ar-
rêta au milieu de sa course, après la tra-
gédie de Pyrrhus, sinon le plus beau,
du moins le plus sage, le plus cor-
rect, le plus classique, peut-être, de ses
ouvrages. Pendant les vingt-deux an-
nées où Crebillon s'exila de la scène,
on disait de l'auteur : « Il a fait,
» fait, il fera toute sa vie Catilina. »
On répétait avec Cicéron : « Jusques
» à quand, Catilina, abuserez-vous
» de notre patience?» Enfin, cet ou-
vrage fut représenté en 1749. L'au-
teur avait alors soixante-douze ans.
Cette représentation fut promise long-
temps d'avance, on en prépara le suc-
cès par tous les moyens. La cour, en
haine de Voltaire, voulut arranger
un triomphe pour Crebillon. Le roi
fit les frais de tous les habits des
acteurs. La première représentation
eut lieu devant une assemblée des
plus nombreuses et des plus brillan-
tes. Elle réussit complètement; le
premier acte surtout excita le plus
vif enthousiasme; elle fut jouée vingt
fois de suite; mais à la lecture, ou
la jugea plus sévèrement; on trouva
que tout le génie de Crébillon s'était
épuisé dans le caractère de Catilina,
tracé avec énergie et profondeur,
mais que les autres personnages
étaient trop petits, que le rôle de Ci-
céron n'offrait aucune des qualités que

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