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que de véritable critique, la mythologie envisagée surtout comme contenant des données historiques, les poëmes d'Homère, et le droit romain dont les subtiles recherches d'origines et les arguties s'assimilent aisément aux habitudes philologiques, tels sont les autres élémens de la doctrine que nous présente la Science nouvelle. Aussi cette doctrine est-elle conçue tout entière d'après la vue du passé, de l'histoire et de la fable. Le présent semble offrir à l'auteur peu d'intérêt; le caractère et les problèmes de la société moderne ne l'occupent presque point, peut-être parce qu'il lisait l'avenir de cette société dans son tableau du passé; peut-être aussi simplement, comme nous le croyons de lui ainsi que de Platon et d'Aristote, parce qu'il n'y songeait guère. La nature de son sujet avait beau l'amener à ces considérations, il ne les voyait pas, par la grande raison qu'il n'était pas tems encore. C'est ainsi qu'Aristote a eu beau composer des traités de morale et de politique; il n'a jamais conçu que le droit d'esclavage pût être mis en question. Il faut voir dans le premier livre de sa Politique avec quel dédain il traite cette hypothèse.

Enfin les formes même de l'ouvrage ont souffert des défauts de cette érudition minutieuse dont il est surchargé. Des preuves de faits ou de mots, sans consistance, appliquées à des principes très-étendus, et une multitude de spécialités trop étroites pour supporter un aussi vaste système, donnent à ce livre une sorte de sécheresse et de diffusion qui laissent peu regretter les retranchemens adoptés par M. Michelet, et qui font d'autant mieux goûter la manière large, rapide et intéressante de son Discours préliminaire.

Et cependant les principes sur lesquels est construit ce bizarre échafaudage sont pour la plupart des traits de bon sens et de génie qu'on est forcé d'admirer, surtout si l'on songe à la direction tout opposée que la philosophie empirique donnait aux idées de l'époque où parut Vico. Sa pensée, sinon sa manière, tient quelque chose de celle de Platon; et malgré les nombreuses illusions de sa critique et de sa manie interprétative, on sent presque partout qu'une sorte d'instinct vers la vérité, qu'une haute inspiration philosophique le porte à

consulter la fable, la poésie, les langues, les mœurs antiques, comme les documens de l'histoire du genre humain, de la formation et du développement des sociétés.

Les cinq livres dont se compose cet ouvrage sont intitulés, le 1er Des principes ; le IIa De la sagesse poétique; le III* Découverte du véritable Homère; le IVe Du cours que suit l'histoire des nations; le Ve Retour des mémes révolutions, lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines. On peut être surpris de la place qu'occupe ici la question sur Homère, mais on ne l'est pas moins de la sagacité qui a fait pressentir à Vico ce paradoxe retrouvé vers la fin de son siècle et approfondi par les plus célèbres critiques de l'Allemagne. On peut blâmer aussi le trop d'étendue donné à cette discussion; mais il faut songer que la prétention du philosophe napolitain, assez analogue à celle de Bacon, était de reconstituer tout l'édifice des sciences morales et littéraires sur les bases d'une critique nouvelle, et que ses digressions archéologiques ou philologiques, quel qu'en soit le succès, servent à faire voir la fécondité des principes, et l'esprit dont ils doivent animer les théories auxquelles ils s'appliquent.

La méthode synthétique domine partout dans cet ouvrage. Elle était nécessaire pour réduire en aussi peu d'espace tant de grandes questions; mais, outre qu'elle cause quelque fatigue par la multiplicité de ses divisions, elle a l'inconvénient de supprimer au gré de l'auteur les démonstrations qu'il lui convient de supposer toutes faites, ainsi que de cacher le lien de ses idées et la manière dont elles naissent les unes des autres.

Le livre Ier, des Principes, s'ouvre par un tableau chronologique des histoires les plus anciennes. Les dates en sont souvent plus ou moins hasardées; mais cette revue offre à l'auteur comme le chan.p de son système depuis le déluge, en traversant l'age divin où les géans apprirent à cultiver la terre, l'âge héroïque, celui des fondateurs des sociétés et des poëtes théologiens, Hercule, Zoroastre, Orphée, le second Hermès, etc., l'époque des colonies grecques de l'Italie et de la Sicile, placée ici trois siècles au-dessus de sa date ordinaire; le tems certain, T. XXXVIII. Avril 1828.

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celui des olympiades et de la fondation de Rome; après lequel, par un retard de plus d'un siècle, l'auteur fait venir Homère, ou plutôt la civilisation dont les poëmes homériques lui paraissent être l'œuvre populaire et spontanée; enfin, l'époque des historiens grecs jusqu'à celle de la seconde guerre punique, qui est le terme du scepticisme de l'histoire ancienne.

La matière étant ainsi mesurée, suivent les axiomes. C'est une suite de pensées d'un grand sens, dont les premières paraissent être en opposition surtout avec les propositions de Hobbes, mais sans avoir la même force de connexion; un grand nombre d'autres s'appliquent plus spécialement à l'histoire morale des peuples, des langues, de la poésie, des législations.

Trois principes fondamentaux, attestés par le sens commun du genre humain, révèlent la moralité et la sainteté de ses destinées; 1° Dicu, ou la religion, loi première et universelle des nations; 2o le mariage, ou l'ordre moral imposé partout aux passions humaines ; 3° le devoir sacré de la sépulture, ou le pressentiment également universel d'un ordre de choses auquel notre vie terrestre est subordonnée. De ces trois faits ainsi dégagés il résulte que les sociétés ne sont point livrées à la merci du hasard, et que la Providence, en présidant à leur organisation et à leurs institutions fondamentales, a tracé sans doute le cours de leurs développemens, de leurs périodes diverses et de leur renouvellement sur un plan que Vico a cru découvrir, mais qui nous paraît aujourd'hui très-incomplet, tel qu'il l'imagine.

La méthode propre à la science nouvelle consiste à envisager successivement les questions sous les points de vue philosophique et philologique, c'est-à-dire à rechercher les mêmes résultats par la voie rationelle et par la critique des faits, des traditions et des langues. L'autorité du sens commun des siècles et des peuples doit présider à tous les procédés de cette méthode.

Le livre second est le plus étendu et le plus difficile à faire connaître par une analyse rapide. On y traite de la sagesse

poétique, ou, en d'autres termes, de la vérité pratique contenue dans les créations instinctives de l'époque de la crédulité et des fables. Parcourant toutes les parties de l'ordre moral et intellectuel au degré poétique, l'auteur, sans se passionner pour la civilisation informe de cet âge, se plaît à considérer dans son ensemble, dans son harmonie, et en quelque sorte dans sa nécessité, la pensée du genre humain à cette époque. C'est ainsi qu'il passe en revue ce qu'il appelle la métaphysique, la logique, la morale poétiques, l'économie (gouvernement de la famille) poétique, la politique, la physique, la cosmographie, l'astronomie, la chronologie, et la géographie poétiques. Il voit naître de ce premier état les législations et les doctrines réfléchies des âges postérieurs. Ce rapport entre les procédés spontanés et les procédés réflexifs de l'esprit humain, sur lequel notre philosophie contemporaine a tant insisté, est peut-être ce qu'il y a de plus saillant dans la doctrine de Vico; il constitue l'esprit et l'originalité de son système. Malheureusement ses applications ou corollaires, comme il les appelle, sont souvent bien aventurées, et traitées bien rapidement. Les géans dispersés dans les forêts sont effrayés par la foudre, et la terreur leur donne la première idée métaphysique, celle d'une cause puissante. Primus in orbe deos fecit timor. Ils se prosternent et adorent le feu céleste. Ainsi, dans les traditions de tous les peuples, Jupiter foudroie les géans. De cette adoration des forces naturelles naît l'idolâtric, fille de la crédulité, non de l'imposture, distinction ingénieuse et sensée sur laquelle Vico insiste à plusieurs reprises. L'idée de la dépendance des choses et des personnes dans le domaine humain suit de près celle de la dépendance des hommes par rapport aux dieux: origine du droit de propriété par le droit d'occupation et de longue possession. La divination, les sacrifices, complèteut les notions métaphysiques de cette époque.

La logique se produit et se forme par le langage, et ce langage est teint de la couleur superstitieuse des idées, c'est-à-dire éminemment poétique. Toutes les notions abstraites se revètent d'un corps, soit dans la parole, soit dans l'écriture. C'est là que doit

remonter l'étude des figures du style, celle des formes symboliques de la poésie, des langues, et des pratiques religieuses, légales, etc.

La pudeur, qui après la religion est le principal lien des sociétés, en faisant instituer les mariages, fut le principe de la morale des tems poétiques, morale toute guerrière d'ailleurs, et souvent féroce, mais souvent aussi généreuse et brillante, qui donne tant d'intérêt aux poésies antiques.

Le gouvernement de famille devint bientôt l'origine d'unc foule d'institutions politiques et civiles. Le droit d'asile, les fiefs, les cités, les contrats, l'aristocratie, les finances publiques, sont amenés un peu confusément par l'auteur et lui fournissent un assez grand nombre de conjectures archéologiques. Nous remarquerons en passant qu'il oublie de parler des établissemens et du droit judiciaires; l'imperfection ou plutôt l'absence de cette partie dans la jurisprudence romaine est sans doute la principale cause de cette omission. On peut aussi reprocher à Vico de s'occuper trop peu de la nature des divers gouvernemens, quoique cette matière appartînt essentiellement à son sujet.

Nous ne le suivrons point dans son examen des diverses branches de la science poétique: ce qu'on y observe le plus constanıment, c'est une méfiance sceptique de toutes les traditions de cette histoire, relativement aux personnages et aux faits merveilleux, en même tems qu'une foi entière à l'existence et à l'activité collectives des peuples représentés fabuleusement par des noms héroïques individuels.

Telle est, en particulier, la doctrine remarquable que Vico développe dans son livre III, relativement à Homère. Lorsque le célèbre Fréd.-Aug. WOLF publia, en 1795, ses Prolegomènes sur Homère, qui firent tant de sensation, et même une révolution assez importante dans le monde critique, il eût été bien surpris d'apprendre qu'il existait depuis soixante-dix ans un livre italien où sa doctrine, jugée alors si nouvelle, si paradoxale, se trouvait déjà tout entière, du moins quant à son esprit et à ses propositions principales. Mais il n'eut connaissance de

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