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tion, étant encore dans le monde, ceux qui pensoient à elle n'étoient pas de très grands seigneurs. Il y eut un homme de qualité qui s'en approchoit, lorsqu'il arriva que mademoiselle de Rouanès, qui avoit mal aux yeux, alla faire une neuvaine à la Sainte-Épine, à Port-Royal. Je n'assurerai pas si c'est en 1656 ou 57; mais le dernier jour de sa neuvaine, elle fut touchée de Dieu si vivement que durant toute la messe elle fondit en larmes. Madame sa mère, qui y alloit tous les jours avec elle, fut surprise de la voir en cet état. Mademoiselle de Rouanès la pria de ne pas sortir sitôt de l'Église. Enfin, en étant sortie, et en retournant chez elle, elle témoigna à madame sa mère qu'elle vouloit se donner à Dieu. Elle resta quelques jours chez elle, et ensuite elle s'échappa un matin, et alla à Port-Royal demander à y être reçue. M. Singlin et la mère abbesse jugèrent à propos de lui faire ouvrir la porte; elle y entra, et se mit au noviciat avec une ferveur extraordinaire sous le nom de sœur Charlotte de la Passion, et y prit le petit habit. J'y étois alors, et j'en fus témoin. Madame sa mère l'ayant appris, alla à Port-Royal faire des plaintes; et enfin, ne pouvant obtenir qu'elle sortit, au bout de trois mois elle s'adressa à la Reine-mère, qui lui donna une lettre de cachet qui lui ordonnoit de sortir. Alors, avant que de sortir, elle prononça des vœux de chasteté, je ne sais si ce fut à l'église ou en présence des religeuses, et se coupa les cheveux; depuis cela, elle resta chez elle dans une retraite et une séparation entière du monde; cela dura jusqu'à la fin de 1663. Durant tout ce temps-là, elle renouveloit ses vœux toutes les fois qu'elle communioit: elle les écrivoit et les signoit, dans un petit livre qu'elle avoit exprès pour cela; elle y ajouta même le vœu d'être religieuse. Il arriva donc que madame sa sœur, la religieuse, qui étoit aux Filles

Dieu, voyant que monsieur son frère persistoit dans sa résolution de ne se point marier, fàchée de voir finir sa famille, forma le dessein au moins de faire marier sa sœur ; elle s'avisa, pour cela, de lui procurer une occasion de voir cet homme de qualité qui la voyoit lorsqu'elle fut touchée de Dieu à Port-Royal. Elle le fit done monter à son parloir, comme par hasard, lorsque mademoiselle de Rouanès y etoit. Cet homme lui marqua les mêmes empressements qu'il avoit eus il y avoit cinq ou sept ans. Mademoiselle de Rouanès fut touchée de voir qu'un si long intervalle n'avoit point refroidi cet homme; ce qui fut cause qu'elle lui permit de la venir voir, mais de sa part sans aucun dessein de le voir que comme ami. M. de Rouanès ayant découvert cela, en fut faché; il alla en faire ses plaintes à madanie Périer. M. Pascal étoit mort il y avoit quinze ou seize mois. Madame Périer vit mademoiselle de Rouanès, qui lui dit que monsieur son frère s'alarmoit mal à propos, qu'elle n'avoit nul dessein de se marier, que même elle ne le pouvoit pas, et elle lui montra ses vœux, et la pria de lui procurer chez elle un entretien avec M. Singlin, qui avoit été son directeur, et qui alors étoit caché; elle le vit donc, et, suivant ses avis, elle ne voulut plus voir cet homme qui la visitoit auparavant, et rentra dans son ancienne ferveur.

« M. Singlin mourut au mois d'avril 1644; elle en fut très affligée; cependant elle continuoit dans sa ferveur, et voyoit souvent madame Périer; mais madame Périer fut obligée de quitter Paris au mois de décembre 1664; M. de Rouanès en fut fort affligé, et lui dit qu'il craignoit beaucoup que cela ne fit encore changer sa sœur. En effet, cela ne manqua pas. N'ayant plus de soutien, ayant perdu M. Pascal, M. Singlin et madame Périer, elle recommença en 1665, de revoir le monde. Madame sa sœur, d'ailleurs,

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la sollicita de nouveau d'écouter des propositions de mariage. M. de Rouanès, voyant qu'il ne pouvoit plus espérer qu'elle demeurât ferme dans sa résolution, lui déclara que, pour lui, il étoit résolu de ne point changer, et qu'ainsi tout son bien devoit lui revenir: il falloit donc qu'elle n'écoutât que des propositions conformes à sa condition et à son bien alors elle écouta toutes celles qu'on lui fit. Il y en eut plusieurs qui n'eurent pas de lieu; enfin on proposa M. le marquis de Cœuvres, fils de M. le maréchal d'Estrées. M. de Rouanès le manda à M. Périer, en Auvergne, et le pria de lui donner cette marque d'amitié de venir à Paris pour régler toutes ses affaires, n'ayant de confiance qu'en lui. M. Périer y alla. Cela se rompit avec M. de Cœuvres; et, comme l'on voyoit qu'elle étoit absolument résolue de se marier, et que mème apparemment elle avoit une dispense de ses vœux, M. de la Vieuxville s'avisa tout d'un coup de dire : « Il lui faut un duc et pair; il n'y en a pas à marier; il faut penser à M. de la Feuillade; le Roi l'aime, et il fera revivre le duché sur sa tête. » Cette proposition fut du goût de mademoiselle de Rouanès; on en parla au Roi, qui y donna son agrément, et promit de le faire duc. Mais comme M. de la Feuillade étoit le cadet de M. l'archevêque d'Embrun, il n'avoit point de bien; le Roi en écrivit à l'archevèque, qui étoit alors en Espagne. La réponse fut une démission entière de tout son bien; le mariage se fit. Il fut mis dans le contrat que M. de la Feuillade prendroit le nom de duc de Rouanès. M. de Rouanès donna tout son bien à sa sœur, et la chargea de payer ses dettes, et se réserva seulement quelques terres de 45 20,000 de rente. Je ne sais s'il s'en réserva la propriété ou seulement la jouissance.

« Le mariage ne fut pas plutôt fait que madame de la

Feuillade reconnut sa faute, en demanda pardon à Dieu, et en fit pénitence, car elle eut beaucoup à souffrir, et reconnoissoit toujours que c'étoit Dieu qui le permettoit pour la punir. Elle eut un premier enfant qui ne reçut point le baptême; le second fut un fils tout contrefait par les jambes; le troisième fut une fille qui demeura naine depuis deux ans jusqu'à huit ou douze ans, sans croître du tout; ensuite elle crut un peu; mais elle mourut à dix-neuf ans subitement; le quatrième est M. le duc de la Feuillade d'aujourd'hui. Après avoir eu ces enfants, elle eut des maladies extraordinaires; il lui fallut subir des opérations cruelles qu'elle souffrit toujours en esprit de pénitence, et elle disoit « Je suis bien heureuse de ce que Dieu m'envoie des occasions de souffrir; cela me fait espérer qu'il veut recevoir ma pénitence. » Les chirurgiens étoient surpris de voir qu'elle marquât un air de jubilation quand ils venoient pour la panser de maux très douloureux. Elle est morte dans ces sentiments après une terrible opération.

«M. de la Feuillade prit d'abord le nom de dục de Rouanès; mais un ou deux ans après il fut envoyé pour commander en Candie, et demanda permission au Roi de prendre le nom de duc de la Feuillade, parce qu'il avoit fait peur aux Turcs sous ce nom-là en Hongrie; le Roi le lui permit, et depuis il l'a gardé.

« M. de Rouanès, de son côté, a eu beaucoup de peine de ce mariage, parce que M. de la Feuillade, qui s'étoit chargé de payer les dettes, ne les payant pas, les créanciers revenoient sur les terres qu'il s'étoit réservées; en sorte qu'il a passé le reste de ses jours fatigué d'affaires et de dettes; mais il fut toujours rempli de religion et de piété, même d'une piété tendre, que l'on remarquoit dans toutes ses paroles et ses actions. >>

LETTRES DE PASCAL

LETTRE DE PASCAL A SA SOEUR MADAME PERIER.

(Communiquée par M. Renouard, le savant libraire. L'adresse est : A Mademoiselle Périer, la Conseillère. On ne donnoit le nom de Madame aux femmes mariées que lorsqu'elles étoient d'une condition élevée.)

«Ma chère sœur,

Je ne doute pas que vous n'ayez été bien en peine du long temps qu'il y a que vous n'avez reçu de nouvelles de ces quartiers ici. Mais je crois que vous vous serez bien doutés que le voyage des Élus en a été la cause, comme en effet. Sans cela, je n'aurois pas manqué de vous écrire plus souvent. J'ai à te dire que MM. les commissaires étant à Gisors, mon père me fit aller faire un tour à Paris, où je. trouvai une lettre que tu m'écrivois où tu me mandes que tu t'étonnes de ce que je te reproche que tu n'écris pas assez souvent, et où tu me dis que tu écris à Rouen toutes les semaines une fois. Il est bien assuré, si cela est, que les lettres se perdent, car je n'en reçois pas toutes les trois semaines une. Étant retourné à Rouen, j'y ai trouvé une lettre de M. Périer, qui mande que tu es malade. Il ne

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