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NOTE

SUR

CETTE QUESTION,

Les Déluges d'Ogygès et de Deucalion sont-ils des événemens réels et particuliers, ou des traditions altérées du Déluge universel ?

PAR Mr. CUVIER.

LES Géologistes ont reconnu, d'après l'état actuel des couches superficielles du globe terrestre, que la surface de notre planète doit avoir éprouvé, à une époque relativement peu éloignée, une grande révolution, qui abîma sous les eaux les continens alors habités par les hommes, et à laquelle il n'échappa qu'un petit nombre d'individus, seuls ancêtres des nations qui repeuplèrent ensuite les terres nouvelles que cette même révolution venait de mettre à sec. Divers peuples ont conservé un souvenir plus ou moins confus de cette catastrophe, où recommença nécessairement l'histoire des hommes, telle qu'elle a pu nous être transmise; et ce qui est fort remarquable, c'est que ceux de ces peuples, qui ont gardé le moins de relations entre eux, s'accordent cependant à placer cet événement à peu près vers le même tems, c'est-à-dire, de 4 à 5000 ans, avant l'année présente 1820.

a Voyez Livre 1 des Métamorphoses, vers 253 à 415, pag. 78 et suivantes.

Chacun sait, en effet, que les livres de Moïse, d'après le texte des Septante, (celui qui allonge le plus l'intervalle entre le déluge et nous,) ne font remonter le déluge qu'à 5340 ans ; et selon le texte hébraïque, dont la chronologie est la plus courte, à 4168, en suivant le calcul d'Usserius, ou à 4393, en suivant celui de Fréret. Mais ce que l'on n'a pas remarqué, c'est que les dates données à cette catastrophe par les Chaldéens, les Chinois, les Indiens et les Grecs, sont à peu près les mêmes.

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Les auteurs qui ont écrit en Chaldée, en Syrie, ou qui en ont consulté les vieilles traditions, Bérose, Hiéronyme, Nicolas de Damas, s'accordent à parler d'un déluge. Bérose le décrit même avec des circonstances tellement semblables à celles de la Genèse, qu'il est presque impossible que ce qu'il en dit ne soit pas tiré des mêmes sources. est vrai qu'autant que l'on peut en juger par les extraits embrouillés que Josephe, lib. i. c. 3, Eusèbe, Præp. Ev. lib. ix. cap. 12, et le Syncelle, p. 30, nous ont conservé de ses écrits, il en recule l'époque d'un grand nombre de siècles; mais ces siècles nombreux, cette longue suite de rois entre Xixuthre et Ninus, sont une chose nouvelle, et qui lui est propre. Ctésias, qui lui est antérieur, n'en a pas eu l'idée; ils n'ont été adoptés par aucun des auteurs profanes postérieurs à Bérose. Justin, Velleius, considèrent Ninus comme le premier des conquérans, et ne le font pas de plus de quarante-deux siècles antérieur au tems présent.

Les auteurs Arméniens du moyen âge, qui ont recueilli sur Xixuthre les vieilles traditions, et peut-être extrait les vieilles chroniques de leur pays, le font remonter un peu plus haut (à 4916 ans,) selon MM. Cirbied et Martin, Recherches sur l'anc. hist. de l'Asie, p. 26.

Il est vrai que le principal de ces auteurs, Moïse de Chorène, était chrétien, et a connu Eusèbe; néanmoins il est certain que la tradition du déluge existait en Arménie long-tems avant lui; la ville qui, selon Josephe, était appelée le lieu de la Descente, subsiste encore au pied de l'Ararat, et porte le nom de Nachidchevan qui a en effet ce sens-là. Voy. la préface des frères Whiston sur Moïse de Chorène, p. iv.

Les Chinois commencent dans le Chouking, leur histoire authentique, par un déluge arrivé sous Yao, et dont l'époque ne serait que de 4117 ans antérieure au tems présent.

Les Indous admettent dans leurs livres sacrés plusieurs révolutions, dont la dernière, appelée le Caliyoug, a eu lieu, il y a maintenant 4924 ans.

Les Grecs, qui ont toujours tout confondu, parce que les auteurs postérieurs ont voulu considérer, comme des faits positifs, les traditions vagues, ou les allégories mythologiques de leurs anciens prêtres et de leurs anciens poètes; les Grecs, dis-je, parlent de deux déluges, dont ils prétendent assigner les époques, mais auxquels ils ajoutent des circonstances inconciliables entre elles, et avec ces époques mêmes.

De ces déluges encore inconnus d'Homère et d'Hésiode, le premier est celui que l'on nomme d'Ogygès, et qui serait arrivé dans l'Attique et dans la Béotie: sa date, telle qu'elle a été fixée par Varron, et rapportée par Censorin, de Die nat. cap. 21, à 1600 ans avant la première olympiade, remonterait à 4196 ans, c'est-à-dire, à 28 ans près, à l'époque fixée pour le déluge de Noé par le texte hébraïque de la Genèse, selon le calcul d'Usserius. Varron place expressément ce déluge quatre siècles avant Inachus, et chacun sait que Varron a passé dans son tems, pour

l'homme qui avait mis le plus d'érudition et de jugement dans la chronologie. Cependant il paraît, qu' Acusilas et Hellanicus, les premiers auteurs connus, qui aient parlé du déluge d'Ogygès, et d'où Platon dans le Timée, pag. m. 524, Clément d'Alexandrie, Stromat. i. p. m. 321, et Eusèbe, Præp. Ev. x. p. m. 489, ont extrait ce que nous en savons, le plaçaient cent ans après Inachus, du tems de Phoronée, par conséquent plus de cinq cents ans plus tard que Varron; mais comme ce synchronisme n'empêchait ni eux, ni plusieurs autres de faire de Phoronée le premier des hommes, on voit de suite, que les traditions qu'ils en avaient, étaient mêlées de fables, et n'appartenaient en réalité qu'à la mythologie.

Le second de ces déluges serait celui de Deucalion. Le plus ancien auteur subsistant, où nous en trouvions la mention, est Pindare, Olymp. Od. ix. Il fait aborder Deucalion sur le Parnasse, s'établir dans la ville de Protogénie, (première naissance,) et y reformer son peuple avec des pierres; en un mot il rapporte déjà, mais en l'appliquant à une nation seulement, la fable généralisée depuis, comme on la voit dans Ovide, à tout le genre humain.

Cependant les plus anciens historiens grecs que le tems nous ait conservés, Hérodote, Thucidyde, Xénophon ne font mention d'aucun déluge, ni du tems d'Ogygès, ni du tems de Deucalion, bien qu'ils nomment ce dernier, et en parlent comme de l'un des premiers rois des Hellènes; ils semblent donc aussi avoir considéré ces grandes inondations, comme appartenant à des tems antérieurs à l'histoire, ou comme faisant partie de la mythologie.

Ce qu' Hérodote dit, que la Thessalie doit avoir formé

b Voyez plus bas Met. i. vers 399.

un lac, avant que le Pénée se fût ouvert une issue entre l'Ossa et l'Olympe, n'est qu'une de ces hypothèses géologiques, applicables à un pays particulier, et telles que nous en voyons tous les jours dans nos modernes. Hérodote n'en fait aucune application à Deucalion, ni à soņ déluge, quoique ce fût assurément une occasion bien naturelle de parler d'un semblable événement. Mais bientôt après le siècle d'Hérodote, des philosophes, pour accréditer ou des systèmes physiques, ou des romans moraux et politiques, s'emparèrent de cette tradition, et lui attribuèrent une extension plus ou moins grande, selon qu'il convenait à leurs idées.

Platon, dans le Timée, n'en dit que quelques mots, pour commencer le récit de la grande catastrophe, qui, selon lui, détruisit l'Atlantide; mais dans ce peu de mots, il place le nom de Deucalion immédiatement après celui de Phoronée, et sans faire mention d'Ogygès.

Aristote, Meteor. i. 14. semble considérer le déluge de Deucalion, comme une inondation locale, arrivée auprès de Dodone et du fleuve Achéloüs, lieux différens de ceux où on la place ordinairement, quand même il s'agirait de Dodone et de l'Achélous de la Phocide, ainsi que Clavier, Apollod. tome ii. p. 79, me semble l'avoir bien établi.

Dans Apollodore, Bibl. l. i. §. 7. le déluge de Deucalion reprend quelque chose de sa grandeur, et tout son caractère mythologique. Il arrive à l'époque du passage de l'âge d'airain à l'âge de fer; Deucalion est le fils du Titan Prométhée, du fabricateur de l'homme; après le cataclysme, il crée de nouveau le genre humain avec des pierres; et cependant, d'après Apollodore lui-même, il n'y a d'inondé que la Grèce en dehors du Péloponnèse et de l'isthme, comme si toute la Grèce en dehors de l'isthme

VOL. III.

b

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