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lui accordat du moins une retraite auprès de ses alliés, les rois d'Écosse ou d'Espagne, en le sauvant de mort ou de prison. Jeanne, d'a

près divers témoignages, dans son entretien secret avec le roi, relata expressément ces intimes particularités.

Cependant la méfiance du roi l'emporta derechef. Jeanne fut soumise à de nouvelles épreuves, sous la forme de longues et minutieuses enquêtes. Charles VII, non content de l'avoir fait questionner pendant plusieurs jours par les gens de son conseil et par des docteurs de facultés diverses, dont il fut toujours entouré, voulut qu'on la conduisit à Poitiers. C'est là qu'avaient été transferés de Paris l'université royale et d'autres grands corps de l'État. La conclusion de cet examen fut que les docteurs n'avaient trouvé dans le fait de Jeanne aucun mal. Il fallut encore que Ja jeune fille subit une dernière inquisition personnelle et physique, dont l'idée seule révolte aujourd'hui l'esprit et le sens moral. C'était l'opinion du temps que le diable, ou le génie du mal, ne pouvait avoir de prise sur une vierge. Trois semaines ou un mois furent consumés par ces préliminaires, qui irritaient l'impatience de l'héroïne. Enfin, Charles VII se résolut à ordonner que la Pucelle reçut un état ou commandement militaire avec un service attaché à sa personne; préparatifs qui entrainèrent de nouveaux retards. Cet état se composait d'un écuyer, homme considérable, nommé Jean d'Aulon; de deux pages, deux valets, deux hérauts d'armes, un maitre d'hôtel et un aumônier. Jeanne se rendit à Tours, où elle fut armée à blanc, c'est-à-dire d'une armure de guerre métallique. Sur la révélation de ses voix, elle envoya chercher une épée marquée de cinq croix, qui était enterrée derrière l'autel, dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois, et qui lui fut en effet apportée. Elle eut aussi une lance et une petite hache de main, qui pendait à la ceinture de sa cuirasse. De plus, Jeanne fit exécuter par Huvé Poulvoir, peintre de Tours', un étendard pour son usage personnel. Cet étendard présen. tait sur un champ semé de fleurs de lis l'image de Dieu le Père assisté de deux anges et tenant en ses mains le globe du monde.

La Pucelle se rendit ainsi à Blois, où elle se mit en campagne le 25 avril 1429. C'est de là qu'elle partit pour faire lever le siége d'Orleans.

On sait l'immense intérêt qui s'attachait à cette entreprise, par laquelle l'héroïne allait inaugurer sa merveilleuse carrière. Les Anglais, maîtres de la capitale et de toute la France septentrionale, avaient jusque là ménagé les États du duc Charles d'Orléans, prisonnier à Londres depuis la journée d'Azincourt, et dont le caractère doux, le commerce poétique et poli avaient su lui conquérir les bonnes grâces de ses vainqueurs. Orléans était le cœur de la France et la clef de la Loire. Cette barrière franchie, les provinces pau

vres du midi ne pouvaient offrir à l'ennemi qu'une faible résistance, et la perte finale de Charles VIL devenait imminente. Les Anglais poussèrent le 7 octobre 1428 une reconnaissance armée jusque sous les murs de cette ville, dont ils formèrent le siége le 12 du même mois. La population tout entière d'Orléans, sans acception de classes, ni même d'âge et de sexe, soldats, écoliers, bourgeois, femmes, vieillards, enfants, rivalisèrent de zèle, d'intelligence et de courage. Le patriotisme, l'intrépidité de ces habitants, suprêmes défenseurs d'une nationalité qui semblait près de périr, furent à la hauteur, de cette lutte grandiose, et méritent une place d'honneur dans l'histoire. Cependant ces nobles efforts, luttant vainement contre la force et le destin, paraissaient devoir succomber. Près de six mois se passèrent en escarmouches et en succès opiniâtrément disputés des deux parts. Le 12 février 1429 eut lieu la journée dite des Harengs. Ils s'agissait pour les Orléanais de faire une sortie par le nord pour arrêter un convoi de vivres de carême, qui, expédié de Paris, arrivait aux assiégeants. La rencontre eut lieu entre Angerville et Rouvray-Saint-Denis. Les Anglais n'avaient que deux mille cinq cents hommes, mais commandés par l'un des premiers capitaines de son temps, sir John Falstaf. Les Français comptaient de leur côté près de cinq mille combattants. Mais trois mille d'entre eux, par une circonstance fatale, ne furent d'aucun secours dans le combat. La funeste indiscipline et la pétulance des Français causèrent dans cette occasion un désastre comparable, eu égard aux conséquences de l'action et par l'analogie des circonstances, aux défaites de Poitiers et d'Azincourt. Les Anglais demeurèrent vainqueurs, et tout ce qui combattit dans les rangs opposés tomba en leur pouvoir ou fut tué sur le champ de bataille. Cet échec fit naître le découragement dans l'âme des Orléanais. Ils envoyèrent alors une ambassade au duc de Bourgogne, pour invoquer sa protection et même reconnaître au besoin son autorité. Le duc fit attendre pendant un grand mois sa réponse, qui du reste était favorable, et les parlementaires de la ville ne purent retourner à Orléans que le 17 avril 1429. Mais au moment où ils rapportaient les paroles bienveillantes du duc et venaient ainsi rendre le courage à leurs compatriotes, une impression bien autrement puissante avait ranimé la force et l'espoir dans le cœur des Orléanais. La Pucelle se dirigeait vers la ville assiégée, où le bruit de sa venue prochaine l'avait précédée. Le 29 avril 1429 était le jour convenu de son arrivée. Jeanne écrivit d'abord une lettre aux Anglais, dans laquelle, au nom de Dieu, elle les sommait de renoncer à une guerre injuste et de retourner immédiatement en Angleterre. Son plan était ensuite de se présenter à l'ennemi, en plein jour, par le chemin le plus direct, et sur le point où les Anglais avaient réuni le plus de forces, pour leur montrer, sans plus de délai, la supériorité de cette puissance

inconnue dont elle se sentait dépositaire. Cepen- | Jeanne s'abstint de prendre part immédiatement

dant une pareille tactique dépassait les idées militaires des capitaines placés sous ses ordres. Ceux-ci, abusant de l'ignorance de Jeanne, la trompèrent et la firent passer au delà d'Orléans jusqu'à Checy-sur-Loire. Là des bateaux expédiés d'Orléans devaient embarquer les renforts d'hommes et de vivres qu'envoyait le roi de France, ainsi que la personne de l'héroïne. Jeanne, en découvrant leur manque de foi, s'éleva en reproches contre ses lieutenants infidèles. Le vent n'avait cessé de souffler de l'est tout le jour, et les bateaux de la Loire, naviguant à la voile, n'avaient pu arriver. Jeanne leur démontra par cette preuve évidente combien la désobéissance à ses ordres était peu justifiée. Du reste, conformément à ses prévisions, les assiégeants, frappés d'une surprise étrange à sa venue, s'étaient, au lieu d'agir, renfermés dans leurs retranchements. Sur ces entrefaites, et pendant qu'on délibérait, le vent changea comme par miracle. La flottille de bateaux arriva jusqu'à la station des troupes; mais elle était insuffisante pour subvenir au transport intégral du convoi. Une portion des troupes fut donc contrainte de rebrousser chemin jusqu'à Blois, d'où elles étaient parties. Jeanne, conduisant le reste de l'expédition, se décida à s'embarquer pour la ville, et le soir même elle fit son entrée dans Orléans, aux flambeaux. Elle était montée, comme les chefs de guerre, sur un cheval blanc, armée de pied en cap, et marchait au milieu des flots pressés d'une population qui déjà saluait en elle un ange libérateur.

La Pucelle voulait commencer dès le lendemain les hostilités; mais, à l'exception de La Hire, qui se déclara prêt à marcher, la prudence et la sagesse des autres capitaines se tournèrent encore en une insubordination déguisée. Force lui fut, avant que de rien tenter d'énergique, d'attendre que les forces renvoyées la veille à Blois eussent accompli leur retour et rallié les troupes de la ville. Jeanne ajourna donc jusque là l'exécution du plan qu'elle avait conçu. Le mercredi 4 mai, de très-grand matin, l'approche de ces auxiliaires ayant été signalée, la Pucelle se rendit au-devant d'eux pour les recevoir. Elle plaça en tête de la colonne une cohorte de prêtres précédés d'une bannière qu'elle avait fait peindre, et qui entonnèrent le Veni Creator. A l'aspect de cette réalité inouïe, de cette armée conduite par une jeune fille; à l'aspect de ces ministres d'un culte qui courbait assiégeants et assiéges sous son commun empire, psalmodiant cet hymne majestueux dans la langue sacrée, les Anglais, consignés par leurs chefs, laissèrent passer encore une fois, immobiles, stupéfaits, cette apparition, ce renfort merveilleux. Les troupes, à peine rafraîchies, se livrèrent immédiatement à l'assaut de l'une des fortifications ou bastilles que les Anglais avaient pratiquées autour de l'église de Saint-Loup.

à cette sortie, et demeura dans son logis de ville. Une fausse alerte la rendait perplexe. On venait de lui dire que Falstaf arrivait avec de nouvelles recrues. Jeanne était incertaine si elle devait courir au-devant de lui. Dans cette anxiété, elle s'endormit. Ce recueillement de l'âme qui accompagne le sommeil lui apporta l'inspiration qu'elle cherchait. Un calme parfait régnait autour d'elle tout à coup Jeanne s'éveille en sursaut; elle appelle son page, s'écriant que

le sang français coule à terre. Puis, elle se fait armer à la hâte, saute à cheval, et, piquant des deux vers la bastille', elle « courut sur le pavé, tellement que le feu en sailloit, et alla aussi droict comme si elle eust sceu le chemin par avant; et toutefois oncques n'y avoit entré (1) ". Son secours était fort opportun. Les Anglais, attaqués dans leurs retranchements et remis de leur surprise, se défendaient avec une énergie que doublait l'amer déboire mêlé au souvenir de leurs succès accoutumés. La présence de la Pucelle vint ajouter une nouvelle force au courage des assaillants. A la suite d'un combat opiniâtre, Thomas Guérard, commandant de la bastille, demanda vainement à capituler. Il fut poursuivi dans le clocher de l'église de SaintLoup, où l'élite de sa troupe s'était réfugiée. Jeanne, armée de son étendard, marchait au premier rang, en disant: Au nom de Dieu, suivez-moi! Le clocher fut pris après une résistance désespérée. Les Français voulaient tout tuer. Plusieurs Anglais s'étaient revêtus des habits sacerdotaux qu'ils avaient trouvés dans cet asile. La générosité de Jeanne mit à profit pour eux ce stratagème. Elle les sauva en disant à ses compagnons d'armes « qu'on ne debvoit rien demander aux gens d'église, et les fist amener à Orléans (2) ». Les Français revinrent triomphants le soir dans la ville, après avoir brûlé et démoli la bastille, ramenant en outre force butin et prisonniers. Le lendemain, jeudi de l'Ascension, les hostilités demeurèrent suspendues, et ce jour fut employé à concerter les opérations de l'avenir. Les capitaines, au lieu de s'en remettre à sa direction, avaient résolu de l'abuser encore une fois sur leurs dispositions stratégiques. Au premier mot qu'elle en apprit, Jeanne pénétra leurs desseins, et se contenta de manifester un mécontentement silencieux. Le vendredi, Raoul de Gaucourt, bailli d'Orléans, voulut s'opposer à un mouvement qu'avait ordonné la Pucelle. Celleci aussitôt l'interpella vivement; et, appelant à elle le peuple et les bourgeois, qui, électrisés par son ascendant, lui obéissaient instinctivement, elle sut faire prévaloir sa volonté (3). Le

(1) Chronique de la Pucelle. (2) Ibid.

(3) Raoul de Gaucourt, chevalier, remplissait comme bailli les fonctions de préfet civil, réunies à celles de commandant de la place. Mais Jeanne, au titre de la commission royale, avait le commandement en chef de l'armée.

résultat de cette journée fut la conquête de la bastille des Augustins, autre ouvrage fortifié, où se reproduisirent les vicissitudes de la veille. Le samedi 7 mai, Jeanne se leva et s'arma de grand matin. Elle avait annoncé dès la veille que l'affaire serait chaude et que le sang lui partiroit du corps. Elle était cependant sereine et enjouée. Les velléités d'insoumission, vaincues par l'évidence, avaient fait place à la discipline d'une foi enthousiaste. Jeanne tenait déjà la victoire pour certaine. Au moment de passer la Loire pour aller combattre aux Tourelles, « on présenta à Jacques Boucher, son hoste, me alose; et lors il luy dit : « Jehanne, a mangeons ceste alose, avant que partiez. & En nom Dieu, répondit la Pucelle, on n'en « mangera jusques au souper, que nous repas<< serons par dessus le pont (1), et ramènerons «<un godon (2), qui en mangera sa part. » L'attaque des Tourelles commença à six heures du matin. C'était le poste principal des assiégeants. Pendant le cours des opérations militaires, Jeanne dressa elle-même une échelle contre une palissade. Un trait d'arbalète l'atteignit alors, et lui traversa de part en part les chairs, de la clavicule à l'omoplate, entre le cou et l'épaule droite. Bien qu'elle eût elle-même prédit cette blessure, la sensibilité de la femme reparut en elle à cet instant avec tout son abandon. Elle pleura, pria; puis, après s'être fait panser, elle se sentit consolée, et bientôt, remise sur pied, elle ramena ses soldats à l'attaque. L'assaut dura treize heures, et la plus grande bravoure fut déployée de part et d'autre. Le soleil se couchait, et déjà le bâtard d'Orléans faisait sonner la retraite. Jeanne, en cette conjoncture, s'écarta un instant, et confia son étendard à un écuyer. Pour elle, se dérobant dans une vigne, elle appela, isolée, cette communication extatique dont elle était pourvue. Bientôt elle revint, comman. dant qu'on appliquât de nouveau les échelles, et annonçant que lorsque la queue de sa bannière flotterait vers les retranchements, c'en serait fait des ennemis. En effet, à peine cet ordre étaitil exécuté, que le vent dirigeait en ce sens l'étendard de la Pucelle. Aussitôt Jeanne s'écria: « En nom Dieu, entrez donc, ils sont tous à vous! >> Nulle résistance n'existait plus de la part des Anglais; leurs forces ainsi que leurs munitions étaient effectivement épuisées. Les Français entrèrent en masse, ayant la Pucelle au milieu d'eux. Ils n'eurent qu'à prendre ou à poursuivre l'ennemi, qui, battant en retraite à son tour, s'enfuit par le pont-levis, vers la campagne. Dans la nuit du 7 au 8 mai 1429, les Anglais levèrent le siége, et se dirigèrent en deux corps, l'un sur Meun, et l'autre sur Jergeau (3).

Jeanne avait accompli le premier point de sa

(1) Occupé par les Anglais.

(2) Un god-dam, c'est-à-dire un prisonnier anglais. {Ibidem.)

(3) Ces deux villes étaient en leur puissance.

mission. Le lendemain de la levée du siége d'Orléans, bien que souffrante de sa blessure, elle partit pour chercher le roi à Loches et le conduire au sacre de Reims. Elle fut reçue à grand honneur par Charles VII, après avoir traversé en libératrice des populations enivrées d'amour et de reconnaissance (1). Mais la contradiction qu'elle avait déjà rencontrée de la part des lieutenants militaires s'éleva de nouveau devant elle, plus grave, plus opiniâtre, dans le conseil du monarque. La Trimouille et les autres ministres, peu sensibles à des exploits que certes ils n'avaient point conçus, et qui troublaient la quiétude de leurs mesquines ambitions, s'attachaient à enlacer le roi dans le réseau de leur égoïste influence. Le naturel du prince ne servait que trop ces vues, misérablement intéressées. Un mois se passa en stériles délibérations, en vains projets de tacticiens. Le roi finit par consentir à se laisser conduire; il imposa toutefois cette condition, que les abords de la Loire, encore occupés par les Anglais, seraient préalablement dégagés.

Baisant les mains du roi pour cette concession disputée, Jeanne reprit aussitôt l'offensive. Le temps perdu avait exactement suffi aux Anglais pour former une nouvelle armée. La Pucelle marcha droit à sa rencontre. Meun, Jergeau, Baugency, Janville furent emportés coup sur coup. Le 18 juin, la mémorable victoire de Patay anéantit les nouvelles troupes recrutées, et commandées par les Talbot et les Bedford. La Loire était affranchie. L'armée victorieuse accomplit le 26 juin sa jonction avec le cortège du monarque indolent. De part et d'autre on se dirigea vers Gien, lieu du rendez-vous, où se réunirent douze mille vassaux du roi ou combattants. Ces troupes, il est vrai, n'avaient ni argent, ni provisions, ni artillerie de siége; mais il ne restait plus à lutter que contre des demiFrançais. Jeanne tenait exactement ses promesses. Moins fidèle à sa parole de roi, Charles, de nouveau circonvenu, refusait de partir. La Pucelle partit d'autorité, et ouvrit la marche. Arrivée devant Auxerre, que défendait une garnison bourguignonne, Jeanne se préparait à lon. ner l'assaut. Mais La Trimouille, ayant reçu des ennemis un présent de deux mille écus d'or,

(1) Le 2 juin, Charles VII, avant de congédier l'héroine, lui accorda l'autorisation de prendre pour armes un blason emprunté à celui de ses propres armoiries, c'est-à-dire un écu ďazur, avec une épée en pal, accostée de deux fleurs de lis d'or et soutenant la couronne de France. Ce fait, ben connu, mals dont on ignorait la date et les circonstances précises, est attesté en ces termes, dans un document resté jusqu'à ce jour inédit. « Le ije juin M. CCCC. XXIX, le roy, connaissant les prouesses de la Pucelle et victoire du don de Dieu, et son conseil, donna, estant à Chinon, armoiries à la dicte Jeanne pour soy décorer, du patron qui suit, donnant charge au duc d'Alençon et à icelle Jeanne du siége de Jergeau.» (Hautin, Figures des Monnoies de France; ms. Histoire, 467 de la Bibliothèque de l'Arsenal, in-40, feuillet 402, verso, du texte. Le patron ou représentation figurée de ces armoiries se trouve gravé au feuillet cxlvij des planches qui accompagnent ce manuscrit,

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parlementa au nom du roi, et la ville fournit seulement de vivres les troupes de l'expédition. L'entrée en Champagne fut presque une marche triomphale. Saint-Florentin ouvrit ses portes instantanément. Troyes opposa quelque résistance: les ministres délibéraient de lâcher pied. Jeanne, avertie à temps, frappe à la porte du conseil; introduite, elle promet qu'avant huit jours la cité, pressée vigoureusement, aura capitulé. Pendant la nuit elle fait reprendre les opérations du siége; le lendemain, 9 juillet, la capitale de la Champagne reconnut l'autorité du roi de France. Les habitants de Châlons, leur évêque en tête, se portèrent en masse au-devant des libérateurs. C'est ainsi qu'après avoir traversé en dix-huit jours quatre-vingt lieues de provinces à reconquérir, la Pucelle amena Charles VII à Reims, où il fut solennellement sacré, le 17 juillet 1429. Citons ici quelques traits propres à peindre le caractère de Jeanne Darc, où la naïveté de la jeune fille et le sel de l'esprit gaulois se mêlent à l'inspiration la plus haute, à l'âme la plus tendre et la plus noblement douée. Frère Séguin, << bien aigre homme, » fut un des clercs savants et subtils qui l'interrogèrent à Poitiers. Il s'exprimait avec un accent peu français, étant né au pays de Limoges. « Quel idiome, dit-il à la Pucelle en son patois limousin, parlent vos voix?

Meilleur que le vôtre!» On connaît une jolie lettre, écrite par les jeunes Gui et André de Laval à leurs mère et aïeule, le 8 juin 1429. Elle est tout empreinte du plaisir que ces deux gentilshommes avaient goûté dans l'accueil de la Pucelle. Ils la visitèrent à Selles, en son logis. Jeanne fit venir le vin de l'hospitalité, ajoutant qu'elle leur en ferait bientôt boire à Paris (1).

On se ferait difficilement une idée de la renommée, de l'intérêt, de l'enthousiasme qui s'attachèrent à son nom et à sa personne. Dès

(1) L'aïeule était Anne de Laval, veuve du grand Duguesclin. Par courtoisie, la Pucelle lui avait envoyé un anneau d'or; elle y joignit ce compliment: « C'est bien petite chose, et vous eusse volontiers envoyé mieux, considéré votre recommandation. » Jeanne était très-sobre. La cohue, le tumulte lut répugnait; elle aimait fort la société des nobles. La vue des femmes effrontées qui abondaient dans les camps lui était insupportable.; A Château-Thierry, ayant rencontré une de ces amazones qui ne lui semblait pas à sa place, elle piqua vers elle, et l'éconduisit poliment. Mais elle en usa moins douceinent vis-a-vis d'une autre, à Saint-Denis; elle la chargea du plat de son épée, qu'elle lui brisa sur le dos; c'était l'épée de Sainte-Catherine de Fierbols. Elle ne pouvait pas non plus souffrir les jureurs et maugréeurs; elle fit tant que La Hire, pour lui complaire, réforma son langage au point de ne plus renter que son bâton. Elle même prêchait d'exemple, et jurait, mais son serment était Par mon martin (martin-bâton ). Le jeune duc d'Alençon, prince du sang, fut son meilleur ami; elle l'appelait mon beau duc, et l'avait vu pour la première fois à Chinon. Le roi les avait emmenés tous deux courir la lance au pré: c'était une des épreuves de Jeanne. Le duc lut trouva si bonne grâce, qu'il lui donna un coursier. Jeanne eut de tout temps pour le cheval un goût très-vif; elle excellait comme écuyère, et s'y montrait infatigable. La Pucelle était aussi éprise des belles armes, et, dans ses habits d'homme elle fit preuve d'une recherche et d'une élégance que ses ennemis, ses envieux, n'eurent point honte de lui imputer à crime.

1429 es magistrats de Ratisbonne assistaient en corps à l'exhibition d'un tableau qui se montrait pour de l'argent et qui représentait les exploits de la Pucelle. Nous avons vu le duc de Lorraine la consulter; le duc de Bretagne lui envoya son confesseur et un héraut la complimenter en ambassade. Jean IV, comte d'Armagnac, lui écrivit pour savoir en faveur duquel des trois antipapes, Martin V, Clément VII, ou Benoit XIII, il devait opter. C'est à elle que Bonne, vicomtesse de Milan, dépossédée, faisait requête afin d'être restaurée dans son duché de Milan. Les populations sur son passage s'agenouillaient; les plus hardis lui baisaient les mains, les jambes. Ceux qui ne pouvaient toucher ou faire toucher un objet qui leur appartint, à son anneau, à ses vêtements, touchaient les traces de son cheval, empreintes sous ses pas. Un enfant nouveau-né mourait à Lagny; Jeanne, par compassion, vint; elle pria: l'enfant, qui depnis trois jours ne donnait plus signe de vie, remua, poussa trois cris, puis il mourut, on dit qu'elle l'avait ressuscité. Son image fut mise dans les églises (1); des collectes, des offices se chantaient ou se disaient en son honneur. A la guerre elle était intrépide, et fut souvent blessée cruellement; mais, exposée à mille morts, elle ne tua jamais. Elle allait au feu son éten dard à la main; à la dernière extrémité, elle saisissait l'épée ou sa petite hache, et frappait de revers, à droite et à gauche, pour se frayer la route. En voyant ses ennemis morts ou blessés, elle pleurait, et les faisait confesser ou guérir. « Oncques elle ne vit couler (c'est une de ses paroles) le sang français que ses cheveux ne lui dressassent sur la tête. »

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Mais les trésors les plus exquis de son cœur avaient pour objet les pauvres, ceux qui souffrent, les tout-petits. Elle réchauffait et réconfortait les bonnes gens de douces paroles, d'aumônes et de bons offices. Elle allait de préférence communier avec les jeunes enfants. Souvent elle accepta d'être marraine; aux garçons, elle donnait le nom du roi Charles; Jeanne baptisait les filles du sien propre. En passant par Tours, elle avait connu la fille de son peintre, qui se nommait Héliotte Poulvoir, et l'avait prise en affection. Au milieu de ses travaux,'de sa gloire, l'héroïne n'oublia point sa jeune amie. En janvier 1430, Jeanne écrivit aux autorités de Tours que l'on mît de côté une somme de cent écus qui devait être donnée à Héliotte pour se marier. La municipalité répondit que l'argent de Tours servirait à réparer ses murs, abattus par l'ennemi; toutefois, pour l'amour et en l'honneur de ladite Pucelle, Héliotte fut mariée en présence des magistrats de la ville, qui lui firent remettre « du pain, un septier de froment et quatre

(1) Il existe à Paris une statuette en bronze qui remonte très-vraisemblablement à cette origine. Voyez I'Illustration du 15 juillet 1854, page 48, et la Revue Archéologique, t. XII (1855).

jalaies de vin (1) ». Lorsqu'elle conduisit le roi à Reims, en juillet 1429, des gens de Domremy accoururent à Châlons pour la voir passer. Jean Morel, de Greux, son parrain, reçut d'elle un habit rouge, que la Pucelle avait porté. Elle les accueillait tous comme autrefois, avec la plus cordiale bonté. Elle dit à un autre Domremois, Gérardin : : « Je ne crains rien, sinon d'être trahie. » Par lettres patentes données sur sa re quête en date du 31 juillet 1429, son village natal fut exempté à perpétuité (2) de tailles et d'impôts. La nuit elle regardait souvent les astres, et comparait leurs lumières; ses yeux se remplissaient spontanément de larmes. Plus d'une fois, dans sa lutte contre les politiques qui menaient le roi, elle leur disait : « Employez-moi, car je ne durerai guère plus d'une année! »

En sortant de Reims, la Pucelle entraîna le roi sur la route de Paris, où elle voulait qu'il se présentât résolument. On marcha de la sorte jusqu'à Soissons. Toutes les villes ouvraient leurs portes. De l'aveu même du Bourguignon Monstrelet, Saint-Quentin, Amiens, Corbie, Abbeville, toute la Picardie ne désirait autre « chose au monde que de recevoir le roi Charles à seigneur ». Arrivé à Soissons, les irrésolutions du monarque recommencèrent. Le chancelier Renaut de Chartres, archevêque de Reims, plein de confiance dans ses propres talents diplomatiques, prétendait résoudre par des négociations le problème de la conquête. Il fut décidé qu'on respecterait les terres du duc de Bourgogne, suzerain de la Picardie, et l'on signa une trêve de dupes pour quinze jours. L'armée fut contrainte de faire du côté de Bray-sur-Seine une diversion malheureuse. Jeanne revint à la charge, de son propre mouvement, sous les murs de la capitale, après avoir pris la ville de Saint-Denis. Blessée au célèbre assaut de la porte Saint-Honoré, qui eut lieu le 8 septembre 1429, elle criait aux assaillants de persévérer. Gaucourt, l'un des lieutenants militaires de Charles VII, survint; il la fit porter de force sur un cheval et ramener au camp, par ordre du roi. Le lendemain elle était sur pied au point du jour, et ralliait les troupes pour les ramener à l'assaut. Ce jour même le sire de Montmorency, premier baron de l'Ile de France, vint à la tête de ses vassaux se réunir à la Pucelle. Paris s'agitait incertain. Le duc d'Alençon, de concert avec Jeanne, avait jeté un pont pour tenter une attaque sur la rive gauche de la Seine. Par ordre du roi, le pont fut coupé, le siége levé, et la Pucelle reconduite dans les cantonnements, de l'autre côté de la Loire. Là elle fut accablée d'honneurs (3), de préve

(1) Extraits des archives de la mairie de Tours.

(2) Voyez sur ce sujet le Bulletin de la Société de l'histoire de France pour 1854, p. 103, et l'Athenæum français du 10 juin 1854, p. 528.

(8) Charles VII, par lettres patentes données en décembre 1429, anoblit Jeanne Darc et toute sa famille. Ce privilége fut accordé à la requête des frères de la Pucelle, qui furent autorisés à changer leur nom pa

nances peu sincères, et retenue dans une inaction ou dans des opérations stériles qui la désespéraient. Enfin, «<le 29 mars 1430, dit un chroniqueur, la Pucelle, qui avoit vu et entendu tout le fait et manière que le roi et son conseil tenoient pour le recouvrement de son royaume, elle, très-malcontente de ce, trouva manière de soy départir d'avec eux; et sans le sceu du roy, ni prendre congé de lui, elle fit semblant d'aller en aucun ébat, et s'en alla à la ville de Lagnysur-Marne, etc. (1). »

La sublime abnégation de Jeanne n'était nullement altérée. Mais à partir de ce moment elle fut complétement abandonnée des ministres de Charles VII; ceux-ci ne prirent même plus le soin de voiler cet abandon. C'était, du reste, toujours la même inspiration, la même lucidité surnaturelle; seulement ses voix ne lui apportaient plus que de sinistres appréhensions. « Jeanne, lui disaient-elles, tu seras prise avant la Saint-Jean ( 24 juin). Il faut qu'il soit ainsi fait, ne t'étonne point; prends tout en gré, Dieu t'aidera!»> Jeanne obéit, et marcha au-devant de cette fin tragique, évidente et inévitable. Pendant deux mois elle guerroya comme par le passé. Le 23 mai 1430, dans une sortie contre les Bourguignons, devant Compiègne, elle se vit entourée, presque seule, d'un gros d'ennemis. Jamais elle n'avait déployé plus de sang-froid ni d'intrépidité. La retraite lui était coupée. Renversée de cheval, accablée sous la presse, un homme d'armes artésien, nommé le bâtard de Wandonne, sujet du duc de Bourgogne, la fit prisonnière. Aussitôt Renaut de Chartres, ministre de Charles VII, écrivit une lettre abominable, connue depuis peu de temps, et dont l'analyse nous a été conservée. Après avoir raconté le fait en des termes que Warwick ou Bedford n'eussent point désavoués, il dit « que Dieu avoit souffert prendre Jeanne la Pucelle, pour ce qu'elle s'étoit constituée en orgueil et pour les riches habitz qu'elle avoit pris ; et qu'elle n'avoit faict ce que Dieu luy avoit commandé mais sa propre volonté (2). »

tronymique en celui de DULIS (voy. ce nom ), et le transmirent à leur postérité. Mais Jeanne affirma, quant à elle, n'avoir jamais pris aucune part à cette conces

sion.

(1) Voy. Procès de la Pucelle, etc., tome IV, page 32. Chronique de Lagny.

(2) L'idée d'une trahison, au préjudice de la Pucelle, passa et demeura pendant des siècles, dans Compiègne même, à l'état de tradition. Alain Bouchard, auteur des Chroniques de Bretagne, reproduites dans le Mirouer des Femmes vertueuses, rapporte que cette tradition lui a été communiquée à Compiègne en 1498, au mois de juillet, par deux vieillards de cette ville, âgés l'un de quatrevingt-dix-sept ans et l'autre de quatre-vingt-onze. Ces vieillards, d'après le chroniqueur breton, invoquaient à l'appui de leur rapport des paroles qu'eux-mêmes avaient entendu proférer par la Pucelle en l'église de Saint-Jacques de Compiègne, le matin même du jour où elle fut prise.

J'ajouterai sur ce point le témoignage d'un document inédit : « Ladite Pucelle estoit logée au logis du procureur du roi dudit Compiègne, à l'enseigne du Bœuf, et couchoit

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