Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

HERODOTE

ET

DE LA MANIÈRE DE LE TRADUIRE.

Un homme de beaucoup d'esprit, qui savait supérieurement le grec, et qui avait fait de notre langue une étude particulière et curieuse, a traduit avec soin la moitié d'un livre d'Hérodote, et n'a pas réussi : voilà certes un préjugé tout fait et un argument a priori, contre toute entreprise pareille. Cependant, si l'entreprise manquée par M. Courier1 le fut, pour ainsi dire, à dessein; si l'écrivain ni la langue n'ont failli, mais seulement le système, alors l'exemple n'est plus décisif. Le savant et spirituel helléniste, le Swift de l'érudition, et le Lucien du pamphlet politique avait cela de

On ne saurait publier ces réflexions littéraires sans un triste souvenir. Tout le monde sait comment M. Courier fut enlevé aux lettres par une fin prématurée, et par un crime horrible, dont la justice n'a pas entièrement éclairci le mystère.

singulier, parmi les érudits, qu'il connaissait à fond tous les tours et tous les détours de notre langue, qu'il l'avait, pour ainsi dire, apprise par cœur, comme une langue morte, et la savait d'instinct, comme une langue vivante mais cette connaissance profonde, et si rare de nos jours, lui avait donné le goût du vieux langage, des formes surannées, des idiotismes. Comme ces tours anciens ont quelque chose de naïf, il avait pensé que l'emploi en paraîtrait toujours naturel, et il écrivait artificiellement avec des paroles simples, négligées, à la vieille française.

Quelque chose manquait à ce naturel, puisqu'il n'était pas involontaire : l'auteur, qui avait trop d'esprit pour ne pas se douter de cela, crut avec raison qu'il pourrait bien user de ce vieux langage appris, de cette langue morte ressuscitée, en l'appliquant à une traduction, œuvre d'imitation et d'industrie. Sur ce plan, il réussit à merveille à restaurer en gothique le Daphnis et Chloé d'Amyot, auquel les lecteurs français étaient déjà faits, et qu'il corrigea, revit, augmenta, rendit plus agréable à lire, plus naïf, et, s'il se peut même, plus français. La naïveté de ce joli roman est, comme on le sait, toute d'Amyot, qui a jeté ses tours simples, ses locutions un peu traînantes mais gracieuses, sur les descriptions arrangées et les subtilités élégantes du romancier grec. Courier acheva cette bonne œuvre, en traduisant du même style le fragment qu'il avait découvert, et en revoyant tout le reste de la version d'Amyot, souvent

inexacte, fautive, altérée par des éditeurs. Mais cet heureux travail qu'il avait fait sur la traduction d'un ouvrage, artificiel dans son origine, et, chose unique, rendu naturel par la traduction, il a voulu le tenter, de prime abord, sur le plus naturel des écrivains, sur un écrivain vraiment simple, sur Hérodote.

Il s'est dit que le français de notre temps, et, en remontant plus haut, que le français de cour et d'académie n'était nullement propre, avec ses formules de politesse, sa pompe et sa bienséance, à rendre les libres récits, les tours irréguliers, et les paroles expressives du vieux historien de la Grèce; il s'est moqué de Larcher, qui a traduit Hérodote dans un français moderne selon lui, et, selon nous, d'aucune époque, idiome froid, insipide, sans date ni caractère. Partant de là, il a voulu opposer notre naïveté refaite à la naïveté d'Hérodote, notre gaulois à son grec; et, comme il possédait Rabelais, Comines et tous nos vieux auteurs, il a mis Hérodote en leur langue, prenant non pas seulement les vives allures de leur langage, mais imitant jusqu'à leurs entorses, et, s'il faut le dire, boitant comme eux. « Hérodote, disait-il, a

[ocr errors]

་་

[ocr errors]

peint le monde encore dans les langes: son style dut

avoir, et, de fait, a cette naïveté bien souvent un peu enfantine, que les critiques appelèrent innocence de <«< la diction, unie avec un goût du beau et une finesse « de sentiment qui tenait à la nation grecque. »

Cela est très-bien dit, mais ne conclut pas; car notre moyen âge, et notre langue et nos mœurs d'alors n'ont

rien de semblable. Les temps décrits par Hérodote, les temps où il vivait et dont il dépose par ses récits, et plus encore par son langage, étaient simples, peu cultivés même, dans le sens moderne; mais ils étaient poétiques : les nôtres étaient barbares; nulle liberté, peu de grandeur, une rusticité bourgeoise, et non cette belle simplicité qui respire dans les pages d'Hérodote.

Voyons les faits : je sais bien qu'à la place Maubert, le cordelier Jean Petit, monté sur un tréteau, les grands et le peuple assemblés, prononçait une longue harangue, entremêlée de mots latins, pour justifier l'assassinat du duc d'Orléans, le tout dans un jargon digne de sa logique. Mais cela peut-il me donner quelque idée de cette assemblée de la Grèce aux plaines d'Olympie, de cette fête du patriotisme et de la poésie, où, parmi les courses de chars, les jeux, les hymnes, Hérodote vient réciter aux Grecs les livres de son histoire, qu'ils applaudissent avec transport, et qu'ils nomment du nom des muses? A cette fête, un jeune homme jeté dans la foule se fait remarquer, dans l'ivresse commune, par son ardeur, et les larmes qu'il verse en écoutant l'historien de la Grèce; quelqu'un lui dit alors : « Fils d'Oluros, «<et toi aussi, tu seras grand, puisque tu répands de si « nobles larmes. » Ce jeune homme devint Thucydide. Je voudrais bien savoir si, au pied de l'échafaud où déclamait le cordelier Jean Petit, il y avait quelque historien ou quelque orateur qui reçût l'enthousiasme en l'écoutant. Monstrelet ou le religieux de Saint-Denis

« ZurückWeiter »