nombre dont ils se promettoient de diriger les effets, et qui n'ont amené que le malheur et la destruction. La philosophie peut quelquefois considérer les malheurs passés comme des leçons utiles, comme des moyens réparateurs dans la main du temps; mais cette idée n'autorise point à s'écarter soi-même en aucune circonstance des loix positives de la justice. L'esprit humain ne pouvant jamais connoître l'avenir avec certitude, la vertu doit être sa divination. Les suites quelconques des actions des hommes ne sauroient ni les rendre innocentes, niles rendre coupables; l'homme a pour guide des devoirs fixes, et non des combinaisons arbitraires; et l'expérience même a prouvé qu'on n'atteint point au but moral qu'on se propose, lorsqu'on se permet des moyens coupables pour y parvenir. Mais parce que des hommes cruels ont prostitué dans leur langage des expressions généreuses, s'ensui vroit-il qu'il n'est plus permis de se rallier à de sublimes pensées? Le scélérat pourroit ainsi ravir à l'homme de bien tous les objets de son culte; car c'est toujours au nom d'une vertu que se commettent les attentats politiques. Non, rien ne peut détacher la raison des idées fécondes en résultats heureux. Dans quel découragement l'esprit ne tomberoit-il pas, s'il cessoit d'espérer que chaque jour ajoute à la masse des lumières, que chaque jour des vérités philosophiques acquièrent un développement nouveau; persécutions, calomnies, douleurs, voilà le partage des penseurs courageux et des moralistes éclairés. Les ambitieux et les avides, tantôt cherchent à tourner en dérision la duperie de la conscience, tantôt s'efforcent de supposer d'indignes motifs à des actions généreuses : ils ne peuvent supporter que la morale subsiste encore ; ils la poursuivent dans le cœur où elle se refugie. L'envie des méchans s'attache à ce rayon lumineux qui brille encore sur la tête de l'homme moral. Cet éclat que leurs calomnies obscurcissent souvent aux yeux du monde, ne cesse jamais d'offusquer leurs propres regards. Que deviendroit l'être estimable que tant d'ennemis persécutent, si l'on vouloit encore lui ôter l'espérance la plus religieuse qui soit sur la terre, les progrès futurs de l'espèce humaine? J'adopte de toutes mes facultés cette croyance philosophique : un de ses principaux avantages, c'est d'inspirer un grand sentiment d'élévation; et je le demande à tous les esprits d'un certain ordre, y a-t-il au monde une plus pure jouissance que l'élévation de l'ame? C'est par elle qu'il existe encore des momens où tous ces hommes si bas, tous ces calculs si vils disparoissent à nos regards. L'avenir des idées, l'avenir de la vertu, l'avenir de la gloire, inspirent une force nouvelle; des impressions vagues, des sentimens qu'on ne peut entièrement se définir, soulèvent le poids de la vie, et tout notre être moral s'enivre du bonheur et de l'orgueil de la vertu. Si tous les efforts devoient être inutiles, si les travaux intellectuels étoient perdus, si les siècles les engloutissoient sans retour, quel but l'homme de bien pourroit-il se proposer dans ses méditations solitaires? Je suis donc revenue sans cesse, dans cet ouvrage, à tout ce qui peut prouver la perfectibilité de l'espèce humaine. Ce n'est point une vaine théorie, c'est l'observation des faits qui conduit à ce résultat. Il faut se garder de la métaphysique qui n'a pas l'appui de l'expérience; mais il ne faut pas oublier que, dans les siècles |